Le 6 décembre 1989, Marc Lépine débarque à Polytechnique et tue 14 innocentes. Ce que le tueur ne saura jamais, c'est qu'il a aussi changé la vie de plusieurs autres jeunes femmes. La nouvelle directrice générale d'UNICEF Québec, Lili-Anna Peresa, est de celles-là.

Le 6 décembre 1989, Marc Lépine débarque à Polytechnique et tue 14 innocentes. Ce que le tueur ne saura jamais, c'est qu'il a aussi changé la vie de plusieurs autres jeunes femmes. La nouvelle directrice générale d'UNICEF Québec, Lili-Anna Peresa, est de celles-là.

Mme Peresa est ingénieure chez Bell quand survient la tuerie. Diplômée de 1988, elle rentre chez elle ce soir-là bouleversée, en se disant qu'elle aurait très bien pu être la cible du tireur.

Elle prend deux décisions. D'abord, elle ressort son jonc d'ingénieur, qui avait été immédiatement rangé au fond d'un tiroir après la cérémonie de remise des diplômes. Son jonc d'ingénieur devient un jonc de solidarité.

«Pour moi, c'est ma façon de me rappeler ces jeunes filles tous les jours», dit Lili-Anna Peresa, en poste chez UNICEF Québec depuis à peine un mois.

Diplômée en récession

Deuxième décision: «La vie est trop courte pour ne pas faire ce qu'on veut faire», se dit-elle. Quand elle a fait son génie électrique à Polytechnique, c'était pour réaliser de grands projets à l'étranger, construire de grands barrages en Afrique et amener de l'électricité dans les zones reculées.

«Mais quand je suis sortie de l'école, il y avait une récession, se rappelle-t-elle. Donc, des projets à l'international, il n'y en avait presque pas. Et quand il y en avait, on n'embauchait pas les petits jeunes qui sortaient de l'école.»

Pas de barrage à construire? Elle trouvera autre chose à faire. En six mois, toujours en travaillant chez Bell, elle se dégote un poste d'enseignante de chimie et de physique au Malawi. La seule Blanche à enseigner dans cette école de niveau préuniversitaire.

Si un tireur misogyne agit comme déclencheur de ses nouvelles aventures, ce qu'elle découvre en arrivant au Malawi n'a rien de la terre promise des femmes libérées. Dans l'école qui l'accueille à l'automne 90, les petits garçons doivent baisser la tête pour s'adresser aux enseignants. Les jeunes filles, elles, doivent s'agenouiller.

La recrue canadienne refuse cela. Pas question que de jeunes filles se plient à ce jeu devant elle. «Je leur ai dit que si une d'elles faisait ça, je ne lui enseignerais plus. Le directeur m'a convoquée. Il m'a dit que je devais accepter la culture du pays.»

«J'ai dit non, ça, ce n'est pas culturel. Ça s'appelle de l'humiliation et moi, je ne vais pas entrer dans ce jeu-là.»

Si elle gagne face au directeur, elle doit quand même se plier aux coutumes du pays.

«Les femmes n'avaient pas le droit de porter de pantalons. J'ai porté des jupes pendant un an et je déteste porter des jupes», raconte-t-elle, en réalisant qu'elle en porte une au moment de l'entrevue.

«Oui, j'ai une jupe, là... J'ai un truc ce soir, dit-elle en s'esclaffant. J'ai mis mon kit!»

Du Malawi, elle part pour le Burkina Faso où elle travaillera pendant deux ans avec Oxfam.

Lili-Anna Peresa est donc là quand surviennent les massacres dans l'ex-Yougoslavie. La fille originaire de Laval sent de nouveau l'appel. Il faut dire que son père est d'origine croate. Elle a encore de la famille en Croatie, près de la frontière italienne.

«Je sentais que j'avais à intervenir», dit-elle.

«En Bosnie centrale, j'étais au coeur de ce qui se passait... Le fait que je parlais croate était un avantage, mais je le cachais bien. Quand j'allais sur le terrain faire mes évaluations, parler avec la population, je parlais croate. Mais au check point, je parlais anglais, avec l'aide de mon interprète. Ça donne un avantage stratégique. Tous les chefs d'État font ça.»

Ce qu'elle y a fait: distribution de denrées, organisation d'une clinique médicale pour les femmes violées et leurs enfants et distribution de matériel scolaire.

«Je l'ai fait dans tous les pays où je suis allée et la distribution de matériel scolaire, c'est absolument, totalement merveilleux. UNICEF a justement un programme...»

La voilà revenue à son nouveau bébé, celui qui arrive après Amnistie internationale France, le Y des femmes de Montréal et les Petits Frères des pauvres.

Elle préfère parler de ces organismes, du bien qu'ils font, plutôt que d'elle-même. En tout cas, c'est l'image qu'elle veut projeter.

À la fin de l'entrevue, elle prend bien soin de préciser qu'elle se plie aux questions parce qu'elle est consciente que les gens associent une personne à une cause, mais qu'elle s'en passerait bien. Elle sait que lorsqu'on pense à son amie, Michèle Thibodeau-DeGuire, on pense à Centraide. Elle espère qu'un jour, les gens penseront à UNICEF en entendant son nom.

- Mais c'est l'organisation qui prime, pas la personne.

- C'est votre passage chez les soeurs de Regina Assumpta qui ressort, non?

- Peut-être, peut-être. Mais si ce n'est pas moi qui suis là demain matin, UNICEF demeure une organisation importante.

Les leçons de Bell

Si Bell Canada a été pour elle «une fantastique école», Lili-Anna Peresa ne semble pas trop s'en ennuyer.

De toute façon, il n'y a plus grand-monde qu'elle connaît dans la boîte, ses ex-collègues ayant comme elle quitté le navire, dit-elle.

Qu'est-ce qu'elle y a appris? Des choses toutes simples comme gérer des projets concrets avec des budgets et des échéances, animer des réunions, faire des présentations.

Des choses essentielles que sa présence sur les bancs d'école ne lui avait pas permis d'acquérir. «Chez Bell, j'ai appris la vraie vie. Et c'est très confortable cette vraie vie: on se couche le soir et on n'a pas de maux de tête.»

«Ce n'est pas facile, mais bon, on n'est pas préoccupé par des questions existentialistes... Mais moi, ça me chicotait que mes énergies n'aillent pas nécessairement au profit de personnes, mais au profit d'individus qui faisaient des sous avec ça... Pis c'est correct, je n'ai aucun mal avec ça, faire des sous», s'empresse-t-elle d'ajouter.

Elle achève une maîtrise à la Sorbonne qui traite de la responsabilisation des organismes de bienfaisance, le type de contrôles qu'ils doivent mettre en place pour que l'argent se retrouve à la bonne place, et non dans les poches de quelques administrateurs sans scrupule.

Quand on vit grâce à la générosité de donateurs, les objectifs sont plus élevés que dans une entreprise privée.

«C'est plus exigeant dans un organisme à but non lucratif parce que ce n'est pas à des actionnaires qu'on doit rendre des comptes, mais à des donateurs. Ces gens-là nous donnent spontanément, généreusement, de l'argent pour pouvoir agir sur le terrain. Si on perd un actionnaire, il y a quelqu'un d'autre qui va acheter l'action. Mais si on perd le donateur...»

- Ce n'est pas évident qu'il va y en avoir un autre?

- C'est ça. Puis, au niveau de la réputation de l'organisation, c'est plus sérieux.