Vous rappelez-vous de la frénésie des titres REA, dans les années 1980-90?

Vous rappelez-vous de la frénésie des titres REA, dans les années 1980-90?

Vous savez, ce régime qui permettait aux entreprises de vendre plus facilement leurs actions en Bourse parce que les acheteurs bénéficiaient d'un avantage fiscal du gouvernement du Québec?

L'une des entreprises vedettes de l'époque REA s'appelle Groupe Kaufel, nom dérivé du fondateur, Bruce Kaufman. L'entreprise fabriquait des appareils d'éclairage d'urgence. Fabriquait, parce que Kaufel a été vendue à l'américaine Thomas & Betts en octobre 1998 pour 242 millions de dollars.

Pour Bruce Kaufman, la vente de l'entreprise représente alors l'aboutissement de 25 ans de travail. Elle lui a permis d'empocher 30,3 millions de dollars. Kaufel avait vu le jour dans un sous-sol de Dollard-des-Ormeaux en 1974. C'est l'émission d'actions REA, en 1985, qui a donné à l'entreprise son allant.

Fin de l'histoire? Pas vraiment. Plutôt le début d'une longue bataille contre le fisc, a appris La Presse Affaires. Bataille qui a mené à un cessez-le-feu en 2005, selon des documents de la Cour canadienne de l'impôt.

Quelques mois avant de vendre, en 1998, Bruce Kaufman a habilement structuré ses affaires et déménagé à la Barbade pour économiser probablement 6 millions de dollars d'impôts. Mais selon Revenu Canada, la stratégie fiscale de Bruce Kaufman était limpide, mais viciée.

Avec ses fiscalistes, M. Kaufman a créé deux entités : une fiducie familiale dans les Îles vierges britanniques et l'entreprise Merlis, à la Barbade. La fiducie avait comme bénéficiaire les deux filles de Bruce Kaufman, résidentes du Canada, et deux organisations charitables juives d'Israël. Le gestionnaire de la fiducie familiale pouvait changer les bénéficiaires comme bon lui semble.

Pour minimiser l'impôt à payer, M. Kaufman a indirectement transféré ses intérêts de Kaufel dans la fiducie à l'automne 1997, entre autres. Le transfert a été fait six mois avant le début des négociations sur la vente de son entreprise à Thomas & Betts. Il a été réalisé à la valeur des actions ordinaires de l'entreprise négociée à la Bourse, soit 14,2 millions.

Le hic, c'est que les actions de M. Kaufel n'étaient pas ordinaires, mais multivotantes. De telles actions ont une valeur plus grande, car elle donne le contrôle de l'entreprise à son détenteur. Revenu Canada estime que cette prime de contrôle, cédé à Thomas & Betts ultérieurement, valait 10,8 millions de dollars. Les actions n'auraient donc pas dû être transféré à 14,2 millions, selon le fisc, mais à 25 millions de dollars. Cette différence augmente significativement l'impôt qui aurait dû être payé.

Les deux parties ont d'abord tenté de s'entendre sans recourir aux tribunaux, en vain. En juin 2003, Bruce Kaufman a contesté la décision de Revenu Canada à la Cour canadienne de l'impôt. Le fisc a présenté ses arguments en septembre de la même année.

«La vente de Kaufel à Thomas & Betts constituait le point culminant d'une série de transactions interdépendantes...dont l'objectif premier était d'obtenir un gain d'impôts pour M. Kaufman, Merlis et la fiducie», soutient Revenu Canada.

Bruce Kaufman et ses avocats ont bien tenté de faire valoir leur point. Mais le fisc, en invoquant notamment la règle générale anti-évitement, avait un dossier solide.

Les conclusions du litige ne seront jamais connues avec précision. En effet, entre juin et septembre 2004, les deux parties ont suspendues les procédures pour s'entendre hors cour. En novembre 2004, Bruce Kaufman s'est désisté et le dossier a été officiellement fermé en janvier 2005. Tout indique, toutefois, que Bruce Kaufman a été tenu de payer quelques millions de dollars de plus en impôts.

Joint au téléphone, son avocat, Al Meghji, de la firme Osler Hoskin Harcourt, n'a pas voulu faire de commentaires, ni dire si Bruce Kaufman réside toujours à la Barbade. Si c'est le cas, les revenus de l'homme d'affaires sont exempts d'impôts depuis son départ, en 1998.