À n'en pas douter, le fondateur de Provigo, Antoine Turmel, a eu une carrière exceptionnelle. Sa vie de retraité fut toutefois marquée par une phénoménale chicane de famille concernant la gestion de sa fortune, digne de la série La misère des riches.

À n'en pas douter, le fondateur de Provigo, Antoine Turmel, a eu une carrière exceptionnelle. Sa vie de retraité fut toutefois marquée par une phénoménale chicane de famille concernant la gestion de sa fortune, digne de la série La misère des riches.

Cette querelle familiale n'a jamais transpiré dans les médias jusqu'à ce jour. Elle se déroule dans le contexte où Antoine Turmel, octogénaire, est atteint de dégénérescence maculaire avancée, une maladie qui le rend presque aveugle.

Tout a commencé lorsque le pionnier de la distribution alimentaire a quitté le Québec pour les Bahamas, en 1996. Selon des documents déposés en Cour supérieure, Antoine Turmel cède alors à ses quatre enfants le contrôle de son holding personnel, appelé Turan, pour des raisons fiscales.

Les placements de Turan valent près de 50 millions de dollars, répartis en Bourse dans des titres bancaires et pharmaceutiques. Le transfert aux enfants a été minutieusement planifié depuis 1979 de sorte qu'aucun impôt n'est payé lorsque Antoine Turmel passe le flambeau, en 1996.

Dès le changement de garde, une des filles d'Antoine Turmel, Hélène, émet de sérieuses réserves sur la gestion du magot. Les tensions familiales augmentent au fil du temps jusqu'à déboucher sur une incroyable bataille judiciaire, en 2002, entre Antoine et son fils Jean-François.

En juillet 2002, Antoine, alors âgé de 84 ans, exige en Cour supérieure du Québec que son fils lui retourne toutes les actions du holding Turan, pourtant donnée gracieusement six ans plus tôt. Motif de la révocation : l'ingratitude de Jean-François!

Antoine demande même qu'à défaut de collaboration, il lui soit autorisé par la Cour d'utiliser les forces policières pour récupérer les actions de son fils, qui valaient alors près 15 millions de dollars.

Dans la requête en Cour, Jean-François est accusé d'avoir manigancé pour prendre le contrôle de Turan, en 1999, aux dépens de son frère et de ses deux soeurs et à l'encontre des souhaits du père. Entre autres, il aurait convoqué des réunions du conseil d'administration dans des moments inopportuns, en sachant que son frère André était incapable d'y assister, en vacances à l'extérieur.

Devenu président, Jean-François aurait retenu illégalement le versement de dividendes à sa soeur Marie-Josée, à un certain moment. Selon la poursuite, il aurait même rendu le versement de dividendes à Marie-Josée conditionnel à ce que cette dernière «s'habille de façon particulière selon ses goûts et directives»!

Toujours selon la poursuite, Jean-François a injurié son père devant sa famille et qualifié couramment sa conjointe de maîtresse, même si Antoine vivait alors avec elle depuis 19 ans. En outre, Jean-François aurait pris des décisions d'investissement contraire à l'intérêt de Turan et à l'insu d'Antoine. Bref, une vraie chicane!

Excédées, les deux soeurs Hélène et Marie-Josée ont quitté le conseil d'administration, au fil des années, et Turan leur a versé leur part du magot.

Pour régler le litige, en 2000, Antoine a racheté une petite part des actions de Turan (1,8%) des mains de Marie-Josée et fait front commun avec son fils aîné, André (49,1% des actions). Devenus majoritaires, Antoine et André ont évincé Jean-François de la direction de l'entreprise, en mars 2001.

Cette éviction n'est pas restée sans suite. Elle a provoqué une série de poursuites et de contre-poursuites qui ont finalement mené le père à exiger la révocation de sa donation, en juillet 2002.

Dans un document, Jean-François réplique essentiellement que ses décisions d'investissement ont souvent procuré d'excellents rendements. Il est le seul à s'être occupé des affaires courantes de Turan de 1997 à 2001, affirme-t-il, le tout pour un salaire modeste.

De toute façon, son frère André et sa soeur Marie-Josée ne pouvaient guère gérer l'entreprise de placement, plaide-t-il, n'ayant pas sa formation en administration. Qui plus est, son père Antoine n'avait plus de droit de regard légal sur la société, ayant cédé ses actions.

Le dénouement exact de l'histoire n'est pas connu, puisque l'affaire a été réglée hors cour, en 2003. Toutefois, le registre des entreprises du Québec indique qu'aujourd'hui, l'unique actionnaire de Turan est André Turmel, l'aîné de la famille. Selon toute vraisemblance, les parties ont dû s'entendre sur un rachat des actions de Jean-François.

En somme, famille, argent et paradis fiscal peuvent parfois devenir un enfer!

Antoine Turmel a une magnifique propriété aux Bahamas dans le territoire privé de Lyford Cay, où vivent des vedettes et de riches hommes d'affaires. Au moment de notre passage, en octobre, M. Turmel n'était pas présent et les gardiens de sécurité nous ont interdit l'accès. L'aîné André Turmel vit à Québec, mais n'a pas rappelé La Presse. Il n'a pas été possible de joindre Jean-François.