Deux événements marquants cette semaine. D'abord, 10 grandes entreprises américaines se sont unies pour demander une réglementation limitant les émissions de gaz à effet de serre.

Deux événements marquants cette semaine. D'abord, 10 grandes entreprises américaines se sont unies pour demander une réglementation limitant les émissions de gaz à effet de serre.

Et puis, au Forum de Davos, l'environnement occupe une place plus importante que jamais. Les entreprises québécoises suivent-elles le courant ? Pas certain...

Lundi dernier, 10 géants américains du monde des affaires sont sortis du placard. Ils se sont affichés ouvertement en faveur d'une réglementation limitant les émissions de gaz à effet de serre (CO2).

Ce cri du coeur a fait des vagues aux États-Unis à la veille d'un important discours du président Bush. Mais il n'a pas inspiré tout le Québec inc.

Au cours des deux derniers jours, La Presse Affaires a demandé à 30 grandes entreprises québécoises inscrites en Bourse ainsi qu'à Hydro-Québec et au Mouvement Desjardins de se prononcer sur le protocole de Kyoto et l'imposition de quotas d'émissions de CO2. Seul le papetier Cascades, l'aluminerie Alcan, le Mouvement Desjardins et l'imprimeur Transcontinental ont pris position en faveur du protocole de Kyoto et de l'imposition de quotas par le gouvernement fédéral.

Le PDG de Cascades, Alain Lemaire, ne mâche pas ses mots. «Certains veulent que nous nous désistions, mais nous avons les moyens de respecter Kyoto, dit-il. Les objectifs de Kyoto ne sont pas démesurés. Il faut s'occuper de l'avenir du Québec, du Canada et de nos enfants.»

«De plus en plus d'entreprises font des efforts, mais les initiatives volontaires ne sont pas suffisantes, dit M. Lemaire. Il ne faut pas juste penser à sa poche mais aux générations futures.»

Cascades prône l'instauration de quotas d'émissions de CO2 au Canada. Mais la société de Kingsey Falls veut que le système tienne compte des progrès réalisés au cours des dernières années.

«Que les entreprises qui émettent le plus de CO2 paient pour, dit-il. Que celles qui se préoccupent de l'environnement par conviction, comme Cascades le fait depuis 30 ans, soient récompensées. Nous avons fait des efforts et nous serions un peu désavantagés si les quotas ne tenaient pas compte des efforts qui ont déjà été faits par certaines entreprises.»

M. Lemaire a été agréablement surpris de la sortie des 10 entreprises américaines, dont General Electic, Alcoa, BP America, Duke Energy, DuPont et Lehman Brothers.

«Si nos amis du Sud peuvent embarquer, ce serait encore mieux pour l'Amérique, dit-il. Mais il faut prêcher par l'exemple si nous voulons que les autres suivent. Il faut aussi penser au reste du monde. Les Européens ont mis beaucoup d'emphase sur la réduction des émissions de CO2.»

Transcontinental, le Mouvement Desjardins et Alcan sont aussi en faveur du respect des cibles du protocole de Kyoto et de l'imposition de quotas sur l'émission de CO2.

«Nous sommes d'avis que ce sont des solutions avantageuses au plan environnemental et économique pour le Québec, dit André Chapleau, directeur des relations de presse du Mouvement Desjardins. Le marché du gaz carbonique peut être lucratif pour les entreprises du Québec, qui polluent moins que celles situées ailleurs au pays.»

«Un mécanisme d'échange du carbone encourage de meilleurs comportements, favorise la dynamique d'un marché ouvert et permet de mettre à profit la valeur économique du commerce du carbone», dit Daniel Gagnier, vice-président principal des affaires générales et externes d'Alcan.

En novembre 2005, un groupe d'hommes d'affaires canadien a appuyé le gouvernement de Paul Martin dans sa lutte pour «stabiliser la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère et minimiser les répercussions mondiales des changements climatiques».

Plusieurs entreprises québécoises, dont Alcan, Bombardier, Desjardins, Tembec et Power Corporation du Canada, propriétaire de La Presse, faisaient partie du Forum de la grande entreprise sur les changements climatiques, formé en marge de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques tenue à Montréal.

Le patronat s'oppose à Kyoto

Le Conseil patronal de l'environnement du Québec (CPEQ), qui regroupe 164 entreprises et 21 associations patronales, s'oppose aux cibles imposées par le protocole de Kyoto.

«Kyoto n'est pas réaliste pour le Canada, dit son président Michael Cloghesy. Le Canada s'est engagé là-dedans sans savoir dans quoi il s'embarquait. Kyoto est un champ de mines politique: aucun politicien ne veut être associé à des pertes d'emploi et d'investissement. Nous devons agir selon nos capacités en matière d'environnement. Ça implique aussi des changements dans nos habitudes de consommation.»

Le CPEQ mise plutôt sur une approche volontaire. «Nous ne voyons pas la nécessité d'imposer un fardeau additionnel aux entreprises, dit M. Cloghesy. L'imposition de quotas est une approche inéquitable qui pénalise les secteurs qui ont déjà atteint leurs objectifs, poursuit-il. L'approche doit être différente selon les secteurs. Le gouvernement doit s'asseoir avec chacun des secteurs.»

Le patronat est cependant favorable à la création d'une Bourse du carbone, une idée mise de l'avant par la Bourse de Montréal en partenariat avec le Chicago Climate Exchange.

«C'est un outil intéressant mais il ne faut pas imposer de seuil d'émissions obligatoire aux entreprises, dit M. Cloghesy. Mais si les États-Unis le font, c'est une autre paire de manches. Nous voulons un terrain de jeu et des règles égales pour tout le monde en Amérique du Nord.»

Québec inc. se fait discret

Le reste du milieu des affaires québécois a préféré se faire discret au sujet du protocole de Kyoto et de l'imposition de quotas d'émissions de CO2.

«Comme Hydro-Québec produit une source d'énergie non émettrice de CO2, nous avons de l'intérêt pour ces questions mais il est encore trop tôt pour se prononcer», dit Flavie Côté, porte-parole de la société d'État.

«Nous ne prenons jamais position sur des dossiers politiques dans lesquels nous n'avons aucun intérêt direct, dit Luc Lavoie, vice-président exécutif des affaires corporatives de Quebecor. Mais il est bien évident que l'entreprise et Pierre Karl Péladeau sont préoccupés par l'environnement. Nous sommes d'ailleurs à développer une qualité de papier recyclé qui nous permettra d'imprimer nos quatre à cinq millions de livres annuellement sur du papier recyclé. Nous examinons aussi la possibilité d'envoyer les factures de nos 1,5 millions d'abonnés à Vidéotron par voie électronique.»

Bombardier n'a pas voulu commenter le respect des cibles du protocole de Kyoto, précisant cependant que plus de 80 % de ses activités manufacturières ont lieu dans des pays qui ont ratifié le protocole.

«Nous avons réduit nos émissions de CO2 de 8 % en deux ans, précise Isabelle Rondeau, directrice des communications de Bombardier. En Europe, nous avons dû acheter des crédits sur les marchés mais l'impact est peu significatif compte tenu de notre niveau d'émissions qui est très faible.»

La Banque Royale du Canada, la Compagnie des Chemins de Fer Nationaux du Canada (CN), la Banque de Montréal, Metro, CAE, Gildan, le Groupe Jean Coutu et Molson Coors ont préféré ne pas commenter. BCE et la Banque Nationale du Canada ont indiqué ne pas avoir adopté de position officielle sur la question de Kyoto et des quotas.

Des courriels envoyés par La Presse Affaires aux responsables des communications des entreprises suivantes sont restés sans réponse : Power Corporation du Canada, Corporation Financière Power, Alimentation Couche-Tard, Groupe SNC-Lavalin, Industrie Alliance, Rona, Saputo, ACE Aviation (Air Canada), Domtar, Neurochem, Banque Laurentienne du Canada, Mega Bloks et Abitibi-Consolidated.