Une ancienne retraitée qui vit seule dans la pauvreté hors de sa ville natale, un conseiller financier qui fait de l'hypertension et un débosseleur de 68 ans. Voici les conséquences du scandale Norbourg.

Une ancienne retraitée qui vit seule dans la pauvreté hors de sa ville natale, un conseiller financier qui fait de l'hypertension et un débosseleur de 68 ans. Voici les conséquences du scandale Norbourg.

Les représentations sur sentence se sont amorcées mercredi matin après le verdict de culpabilité au procès pénal de Vincent Lacroix. Le procureur Eric Downs, qui représente l'AMF, a présenté une série de témoignages afin de démontrer les conséquences négatives des infractions commises par le PDG déchu.

Des investisseurs victimes de Vincent Lacroix se sont présentés devant le juge Claude Leblond, de la Cour du Québec, pour illustrer leurs malheurs.

Le cas le plus frappant a été celui de Diane Ruest, 61 ans. Ayant pris sa retraite d'Hydro-Québec en 1997, elle a perdu plus de 60 000 $ dans les fonds Evolution.

Ne pouvant trouver un emploi dans sa région natale de Rimouski, elle a dû déménager à Trois-Rivières pour trouver un revenu grâce à un poste déniché dans un centre d'appels.

Elle vit maintenant seule, dans la pauvreté. Elle ne voit que rarement sa petite soeur, affectée par des problèmes cognitifs entraînés par un anévrisme en 1996.

Le scandale Norbourg a donc détruit la vie qu'elle avait auparavant. En plus, trouver un emploi était difficile à son âge.

«C'était anéanti, je n'avais plus d'avenir, a dit Mme Ruest, luttant contre les sanglots devant le juge. Je me suis cogné le nez à bien des portes. J'ai dû quitter mon logement avant la fin de mon bail. Je n'avais plus d'argent quand j'ai reçu ma première paie.»

Travaillant à temps plein, Diane Ruest a dû diminuer le rythme à 34 heures par semaine. Affectée par l'hypertension, le cholestérol et le diabète, elle a aussi vendu sa voiture pour se procurer un véhicule usagé.

«J'ai sérieusement pensé au suicide», a avoué cette femme originaire de Rimouski.

Son témoignage s'est terminé sur une très mauvaise note: «Je vais passer Noël et le jour de l'An seule et pauvre.»

Le débosseleur de 68 ans

Michel Vézina, 68 ans, a aussi goûté à la médecine Norbourg. Ayant perdu 310 000 $ avec sa femme dans les fonds Évolution, Après 48 ans de travail comme débosseleur et estimateur automobile, il croyait bien pouvoir connaître une retraite normale.

Faux. Il a dû liquider des biens et redevenir débosseleur à temps partiel pour remettre ses finances à flot, n'ayant reçu aucune indemnité pour les fonds perdus.

«Ça change une vie, a dit M. Vézina au juge. Je suis obligé de travailler 20 à 25 heures par semaine. Je n'ai pas les capacités physiques d'en faire plus. Ça demande tellement d'énergie qu'à 20h ou 20h30 le soir, je suis couché.»

«Je n'ai pas de pouvoir d'emprunt et je ne peux pas prendre une hypothèque sur ma propriété, ajoute l'homme. Je n'ai pas les moyens de faire réparer mes appareils auditifs numériques qui valent 5000 $. Ma tension artérielle et mon cholestérol ont fait un bond assez impressionnant.»

C'est sans compter un suivi médical sur son système cardiovasculaire, des périodes dépressives et des sautes d'humeur qui affectent sa vie personnelle. Décidément, les 115 M$ pigés dans l'épargne des investisseurs ne sont pas que des chiffres sur des feuilles de papier.

En marge des audiences au palais de justice de Montréal, Michel Vézina s'est dit déçu de la Caisse de dépôt et placement qui a vendu les fonds Évolution à Norbourg. «Je les tiens tous entièrement responsables» du scandale.

Il a écrit à la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, sur le sujet. Il n'a pas apprécié de se faire rappeler que la mission de la Caisse est entre autres de générer du rendement. Quand une situation du genre se produit, «tu veux tuer tout le monde. Il n'y a personne d'humain là-dedans.»

Le conseiller financier hypertendu

Un autre témoignage remarqué aura été celui de Gilles Viel, conseiller financier de 61 ans. Cet homme porte deux chapeaux: il a perdu 260 000 $ dans les fonds Evolution et ses clients en ont perdu 1,2 M$.

M. Viel a monté le ton à plusieurs occasions en témoignant, exprimant la rage qui habite certains investisseurs victimes de Vincent Lacroix et de Norbourg. Il a bien reçu un chèque de 27 000 $ à titre de dédommagement, mais ça ne lui donne pas la rente de 4000 $ par mois qu'il planifiait auparavant.

Ses clients, eux, comptaient sur son expertise et la réputation de la Caisse pour la sécurité de leurs placements quand ils sont passés sous la gouverne du groupe Norbourg.

«Je suis coincé entre la colère et la dépression, a confié Gilles Viel au juge Leblond. Mes clients sont comme mes enfants.»

Il a avoué avoir déjà eu le goût de s'enfermer dans une «petite cabane en Alaska», mais qu'il se lève chaque jour pour travailler au nom de ses clients, de ses six enfants et ses six petits-enfants.

Les questions des clients ont poussé M. Viel à faire des vérifications sur Norbourg à l'époque. Mais même la firme Morningstar donnait une belle cote aux fonds communs. De quoi se faire rassurant auprès des épargnants. Après le scandale, certains ont fui vers les banques, même s'ils aimaient bien leur conseiller financier.

«Norbourg a fait dérailler le train de la confiance, a dit le témoin. On a jamais pensé que quelqu'un pouvait piger [dans des fonds d'obligations]. J'ai pleuré avec des clients. C'était un méchant billet de loterie.»

«Je suis comme un volcan, ajoute Gilles Viel. Ma tension artérielle ne tient plus. Norbourg est comme un cancer dans mon corps.»

Après son témoignage, Vincent Lacroix a distribué à la poursuite et au juge un document reproduisant un courrier électronique que lui a envoyé M. Viel. Le contenu n'a toutefois pas fait l'objet de discussions.

L'audience a aussi permis à Jean-Guy Houle, 68 ans, de prendre la parole. Le grand-père de deux orphelines, Daphney et Abygail, a déjà fait les manchettes pour l'héritage perdu dans Norbourg deux ans après le décès de leurs parents dans un accident de circulation.

En fin d'avant-midi, une entrevue donnée par Vincent Lacroix au canal Argent à la fin d'août 2005 a été visionnée. Il y promettait que les investisseurs seraient remboursés.

Et en après-midi, la «séance vidéo» s'est poursuivie, avec des entrevues accordées par l'ancien PDG. Le rappel de ses déclarations, dans lesquelles il tirait à bout portant sur la Caisse de dépôt et placement, l'AMF et ses anciens collaborateurs n'a pas manqué de provoquer quelques sourires et sourcillements dans la salle d'audiences.