Pourquoi le prix de l'essence monte-t-il? Est-ce un phénomène passager ou une tendance lourde? La Presse a posé la question à deux spécialistes de l'industrie pétrolière, Carol Montreuil, porte-parole de l'Institut canadien des produits pétroliers, et Jean-Thomas Bernard, professeur d'économie à l'université Laval.

Pourquoi le prix de l'essence monte-t-il? Est-ce un phénomène passager ou une tendance lourde? La Presse a posé la question à deux spécialistes de l'industrie pétrolière, Carol Montreuil, porte-parole de l'Institut canadien des produits pétroliers, et Jean-Thomas Bernard, professeur d'économie à l'université Laval.

Q Lundi dernier, le prix du litre d'essence a franchi le seuil de 1,50$. S'agit-il d'une première?

R En septembre 2005, le prix de l'essence s'était envolé dans la foulée de l'ouragan Katrina qui avait mis hors d'usage des installations pétrolières en Louisiane. Brièvement, le litre de l'essence avait alors atteint 1,47$. Mais ce n'était qu'une poussée ponctuelle et la situation s'était rapidement rétablie.

Cette fois, signale Carol Montreuil, «nous sommes dans des eaux nouvelles» avec une montée graduelle des prix. Une tendance lourde qui est là pour durer, croit ce spécialiste. Mais ce n'est pas l'avis de Jean-Thomas Bernard, selon qui le prix de l'essence pourrait redescendre.

Q Pourquoi le prix de l'essence monte-t-il autant?

R Parce que la demande est trop forte par rapport à l'offre, notamment à cause des pays émergents tels que la Chine et l'Inde. Dans les années 90, la planète disposait d'un excédent de pétrole qui représentait 5% de la production totale. «Il y avait un coussin, on pouvait ouvrir les robinets pour soulager la pression à la hausse» signale Carol Montreuil, selon qui cette marge de manoeuvre a maintenant fondu.

Le déclin du billet vert contribue aussi à la hausse de prix. «Les 135$US d'il y a cinq ans ne valent plus que 65$US aujourd'hui», signale Carol Montreuil. Ce qui incite les pays producteurs à majorer les prix. Les consommateurs canadiens profitent d'ailleurs de la force de leur dollar: s'il avait suivi son voisin du Sud, nous pourrions payer le litre d'essence 25 cents de plus qu'aujourd'hui. Enfin, selon Jean-Thomas Bernard, entre 30 et 40$US du prix du baril de brut est attribuable à un effet de spéculation qui devrait s'apaiser avec le temps.

Q Pourquoi l'essence est-elle plus chère au Québec qu'aux États-Unis?

R Tout dépend des taxes prélevées par les gouvernements. Le prix de gros de l'essence est semblable partout sur la planète: environ 98 cents le litre. Alors que certains États subventionnent l'essence, qui se détaille alors beaucoup moins cher le litre, d'autres prélèvent des taxes qui augmentent la facture. Ainsi, en France, où l'essence coûte deux fois plus cher qu'au Québec, les taxes représentent 80% du prix de vente. Au Québec, c'est 30%. Et aux États-Unis, entre 15 et 20%.

Q Pourquoi le prix de l'essence augmente-t-il toujours en été?

R Parce qu'avec les vacances estivales, c'est la période où la demande connaît sa plus forte pointe. Les prix ont tendance à augmenter de 5% à 10% en été.

Q Qui profite le plus de l'augmentation du prix de l'essence?

R Les deux experts sont unanimes: ce sont surtout les grands producteurs de pétrole, comme l'Arabie Saoudite; 90% des réserves mondiales sont propriété de pays souverains. La marge du détaillant, qui récolte environ 5 ou 6 cents le litre, ne change pas avec les hausses de prix, idem pour les profits des raffineurs. Quelques pétrolières, comme Shell et Esso, qui font de l'exploration pétrolière, profitent aussi de la hausse de prix. Mais ce ne sont pas elles qui fixent les prix, souligne Carol Montreuil.

Q La flambée va-t-elle se poursuivre?

R Ça dépend d'une série de facteurs. Une récession mondiale pourrait réduire la demande de pétrole et donc ramener les prix à la baisse. Des tensions géopolitiques, comme une intervention militaire contre l'Iran, pourraient au contraire réduire l'offre de pétrole - et favoriser une hausse des prix.

Des prix élevés pourraient à leur tour favoriser de nouveaux projets pétroliers, et rentabiliser des méthodes d'extraction coûteuses. Le cas échéant, l'offre augmenterait, ce qui aurait pour effet de baisser les prix. C'est pourquoi Jean-Thomas Bernard est convaincu que le prix du baril de brut redescendra à 60$US d'ici quelque temps, alors qu'il vient d'atteindre un sommet de 139$US. Mais toutes les prévisions demeurent, bien sûr, aléatoires.