Le départ canon du prix du pétrole en ce début d'année a ravivé les scénarios apocalyptiques de pénurie, d'augmentation du coût de la vie et de crise économique.

Le départ canon du prix du pétrole en ce début d'année a ravivé les scénarios apocalyptiques de pénurie, d'augmentation du coût de la vie et de crise économique.

Faut-il courir aux abris? Non, croient les spécialistes interrogés jeudi par La Presse Affaires, qui estiment que contrairement à ce qui s'est passé lors des deux précédents chocs pétroliers, les économies canadienne et américaine ont la capacité d'absorber le coup.

La hausse du prix du pétrole accroît les risques de récession aux États-Unis, croit toutefois François Dupuis, économiste en chef chez Desjardins.

«Si le prix devait atteindre 120 ou 125$ US le baril, les États-Unis n'échapperont pas à la récession», prévoit-il.

Ce ne sera toutefois pas la faute uniquement du pétrole. «L'économie américaine est déjà fragilisée par la crise immobilière et par le resserrement du crédit. Les prix élevés de l'énergie pourraient être la goutte qui fera déborder le vase.»

À cause de la faiblesse du dollar américain, l'augmentation du prix du pétrole fait d'ailleurs plus mal aux États-Unis qu'au Canada.

Depuis le début de 2007, le prix du pétrole a augmenté de 88% en dollars américains, comparativement à 55% en dollars canadiens et à 69% en euros, souligne Desjardins dans une étude sur le prix du pétrole publiée hier et intitulée justement Dix raisons de ne pas céder à panique.

Maintenant qu'il a franchi la barre symbolique des 100$ US le baril, le pétrole pourrait bien atteindre un niveau comparable à celui de la dernière crise du pétrole en 1980, croit plusieurs observateurs, et précipiter les pays industrialisés en récession. Le pétrole a fermé hier à 99,18$ US à New York.

Mais la dépendance au pétrole a beaucoup diminué avec les années, malgré les apparences, rétorque l'économiste en chef de Desjardins. Aux États-Unis, il fallait 1500 barils de pétrole pour produire 1 milliard de dollars en biens et services avant 1973.

En 2006, il en fallait moins de 700 pour la même production.

Ça s'explique par le fait que l'industrie des services, moins énergivore, pèse plus lourd dans l'économie et que des progrès ont été réalisés dans l'efficacité énergétique, précise François Dupuis.

Toute augmentation du prix du pétrole fait augmenter le coût de plusieurs produits de consommation, de la voiture, aux billets d'avion, en passant par le chauffage des maisons.

C'est vrai, dit Maurice Marchon, économiste à HEC Montréal. Les consommateurs modifieront probablement leur comportement si les prix demeurent élevés, mais même au prix record actuel, ça ne leur fait pas encore très mal.

«Les dépenses totales en énergie représentaient 6% du revenu disponible à l'époque et c'est 4% seulement aujourd'hui», illustre-t-il.

En plus de l'augmentation du dollar canadien, qui atténue l'impact de la hausse des prix au Canada, les ménages canadiens profitent de la réduction de la taxe de vente fédérale et de la baisse des impôts, qui leur laissent plus d'argent dans leurs poches.

«Même si c'est modeste, ça aide à amortir le choc», estime Mauriche Marchon.

L'économiste de HEC Montréal croit que les mécanismes d'ajustement de l'offre et de la demande de pétrole se sont mis en oeuvre, même si le processus est très lent.

Ainsi, l'augmentation de la demande de pétrole est presque nulle dans les pays industrialisés, malgré leur croissance économique.

«Toute l'augmentation de la demande vient de la Chine et des pays émergents, qui subventionnent le pétrole», observe-t-il.

Comme l'économiste de Desjardins, Maurice Marchon souligne que le problème, c'est que la demande augmente plus vite que l'offre, ce qui tire les prix à la hausse.

Les économies s'ajustent normalement en augmentant l'offre et développant des produits de substitution. Si elles n'y arrivent pas, elles tomberont en récession, ce qui fera chuter la demande et le prix du pétrole.

On est encore bien loin de ça, selon lui. L'économie américaine a continué de créer des emplois en décembre, ce qui est un bon signe qu'elle tient le coup, dit Maurice Marchon.

C'est aussi l'avis de Vincent Delisle, stratège boursier chez Scotia Capital, qui prédisait à la fin de 2007 que l'économie américaine échappera à la récession. Le nouveau record du prix du pétrole ne change en rien ses prévisions pour 2008, a-t-il fait savoir jeudi.

Le prix du pétrole a passé le cap des 100$ US le baril, mais c'est plus symbolique qu'autre chose et c'était inévitable, dit-il.

Selon lui, il y a une bonne part de spéculation dans ces transactions de début d'année, où le volume est très restreint.

«Les dernières hausses n'ont rien à voir avec les raisons qui ont été invoquées et le prix actuel ne correspond pas au fondamental du marché».

François Dupuis, de Desjardins, est d'accord là-dessus. «Le vrai prix du pétrole est probablement autour de 80$ US, il y a une part de 20$ US qui est reliée à la spéculation», avance-t-il.