Derrière le nouveau sommet atteint par la Bourse de Toronto se cache un panorama beaucoup plus sombre. Six des 10 grands secteurs accusent des baisses de 10% et plus. Les deux tiers des titres sont encore dans le rouge. Le marché baissier est-il vraiment terminé?

Derrière le nouveau sommet atteint par la Bourse de Toronto se cache un panorama beaucoup plus sombre. Six des 10 grands secteurs accusent des baisses de 10% et plus. Les deux tiers des titres sont encore dans le rouge. Le marché baissier est-il vraiment terminé?

Diversifiez-vous, qu'ils disaient. Malheureusement, les investisseurs qui ont appliqué cette règle de base de l'investissement ont très peu profité du rebond de la Bourse canadienne.

Lundi dernier, le baromètre de la Bourse de Toronto, l'indice S&P/TSX, a touché 14 666 points, dépassant de quelques poussières le précédent sommet établi le 19 juillet.

C'était juste avant le début de la crise du crédit qui a déclenché le ressac boursier. Mais depuis les bas-fonds du 21 janvier, la Bourse canadienne s'est relevée de 21%. Elle flotte maintenant à un sommet historique.

«Ce n'est pas la Bourse qui est à un sommet, c'est plutôt le prix du pétrole et des matières premières», lance Jean Duguay, chef des investissements chez Gestion de placements Eterna.

En effet, les deux tiers de la remontée boursière dépendent du boom des ressources naturelles, calcule Pierre Lapointe, stratège à la Financière Banque Nationale. Les secteurs de l'énergie et des matériaux, qui forment la moitié de l'indice, ont grimpé de 13% et de 16%, d'un sommet à l'autre.

Avec un gain de 38%, la technologie est le seul secteur qui surclasse les ressources. Mais encore-là, cette progression spectaculaire se résume à peu de chose, plus précisément à trois lettres: RIM, pour Research in Motion.

Le concepteur du BlackBerry a vu son titre grimper de 74% en moins de 10 mois. C'est le titre qui a le plus contribué au rebond de l'indice, après le celui de Potash Corp.

En fait, la remontée tient essentiellement à une poignée de titres. Sans la contribution de 10 poids lourds ultra performants, la Bourse pataugerait encore dans le rouge: l'indice serait en baisse de 8,8%.

Un tel recul s'approche des rendements des grandes places boursières mondiales, qui restent en baisse de 10,3% (indice MSCI World).

D'ailleurs, le Canada est le seul pays qui a récupéré toutes ses pertes. Il fait bande à part, même quand on le compare à d'autres Bourses à haute teneur en ressources naturelles, comme celles de la Norvège (-4%) ou de l'Australie (-8%).

Plus les ressources grimpent, plus la Bourse canadienne est concentrée et risquée. Plus l'indice est difficile à battre, ce qui place les investisseurs dans une situation frustrante.

«Ou bien ils font un pari qui est très concentré, ou bien ils se diversifient dans des secteurs qui sous-performent», résume Luc de la Durantaye, premier vice-président chez Gestion d'actifs CIBC.

Car à l'ombre des ressources, rien ne pousse.

Six des 10 grands secteurs de la Bourse canadienne demeurent en baisse de plus de 10% depuis juillet dernier. Les deux tiers des actions sont dans le rouge. Plus précisément, 172 des 256 titres de l'indice S&P/TSX sont en baisse. «Et les petites entreprises à faible valeur boursière n'ont pas fait mieux», ajoute M. de la Durantaye.

Vraiment, la diversification n'a pas été payante.

Les ressources, seules au sommet

Énergie: +12,8%

Que ce soit l'énergie ou les matières premières, les ressources sont au zénith. Les prix sont portés par la demande des pays émergents. Le pétrole, en particulier, a dépassé 125$US le baril. Le double de l'an dernier.

La baisse marquée du dollar américain a aussi pompé le prix du pétrole. «Pour les étrangers, il est moins cher d'acheter des ressources naturelles libellées en dollars américains», note M. Lapointe.

Avec la crise du crédit, les investisseurs ont fui les sociétés financières pour se réfugier dans les ressources naturelles, plus terre à terre mais désormais soufflées par un vent de spéculation.

Attrait: «Tant qu'il y a un déséquilibre entre l'offre et la demande, les prix vont se maintenir», estime M. Duguay. Pour cela, il faut que les marchés émergents maintiennent leur croissance, malgré le ralentissement américain. C'est la théorie du découplage. «On continue de penser que l'économie mondiale restera forte», dit M. de la Durantaye.

Risque: D'autres sont sceptiques. «On ne croit pas au découplage. Quarante pour cent des exportations de l'Asie du Sud dépendent de l'Europe et des États-Unis. La récession américaine aura des répercussions sur l'économie mondiale», dit M. Lapointe.

À surveiller de près: L'inflation en Chine. «Cela pourrait entraîner une intervention gouvernementale qui amènerait un ralentissement économique», dit M. de la Durantaye.

Matériaux: +16,1%

À l'image du pétrole, toutes les matières premières ont vu leur prix exploser. La Chine et l'Inde, qui s'urbanisent, ont besoin de cuivre, de nickel, etc. La population change ses habitudes alimentaires, mange plus de viande. Il faut que les bêtes broutent, mais les champs se font rares, car on utilise la terre pour la production de biocarburants. Conséquemment, le prix du blé, du riz, et de la plupart des denrées alimentaires, est au plafond.

Attrait: C'est encore le même thème: tout le monde fait un pari sur la croissance soutenue Chine.

Risque: L'élastique est étiré comme jamais auparavant. L'indice CRB du prix des matières premières a gagné 186% depuis 2001. Il s'agit de sa plus forte ascension historique, mais aussi de son plus long cycle de hausse (77 mois). Comme on l'a vu avec la crise alimentaire, «cette reprise menace l'équilibre mondial des prix», souligne M. Lapointe.

Les défensifs se défendent mal

Consommation de base: -17,45%

Secteur défensif par excellence, les titres de consommation de base au Canada ont bien mal servi les investisseurs dans la tourmente boursière. Il faut dire que Loblaws et Metro se livrent une guerre féroce. Et la hausse du prix des denrées gruge leur marge de profits.

Attrait: Après un tel recul boursier, le point d'entrée est indéniablement plus intéressant.

Risque: La guerre des épiciers n'est pas terminée.

Télécommunications: -13,58%

Généralement considérés comme des titres à l'épreuve des chocs, les télécoms n'ont pas rempli leur mandat.

Attrait: L'ouverture vers une déréglementation laisse présager de belles occasions de croissance pour les sociétés les mieux positionnées (ex: Rogers avec le iPhone), note M Duguay.

Risque: À court terme, on peut s'attendre à une guerre de prix qui minera les profits. Autre élément d'incertitude majeur: l'acquisition de BCE passera-t-elle la rampe?

Services publics: -1,01%

Pour leur part, les sociétés de services publics ont mieux joué leur rôle défensif: leurs profits sont stables, car les consommateurs ont besoin de gaz, d'électricité, beau temps mauvais temps. De plus, les baisses de taux d'intérêt donnent toujours un coup de pouce à ces titres qui versent de généreux dividendes (une solution de rechange aux obligations).

Attrait: Ces sociétés offriront une protection si la récession américaine s'accentue.

Risque: Leurs coûts de production augmentent, à cause de la hausse du prix du pétrole. Et les taux d'intérêt remonteront graduellement si l'économie repart, enlevant du lustre aux titres à dividende.

Du cas par cas

Consommation discrétionnaire: -22,6%

La hausse du prix du pétrole gruge le budget des ménages qui coupent dans leurs dépenses discrétionnaires (rénovation, vêtements, etc.). Les détaillants en ont bavé à la Bourse.

Attrait: Si l'économie redémarre, les profits se redresseront. Les sociétés qui sont plus présentes dans l'Ouest profiteront d'une meilleure croissance, souligne M. Duguay.

Risque: Les détaillants canadiens subissent la concurrence de géants américains.

Industrie: -9,49%

Les sociétés industrielles, qui dépendent aussi de la santé de l'économie, ont également piqué du nez. De quoi attirer les chasseurs d'aubaines qui misent sur une relance économique. La récession américaine sera-t-elle douce ou sévère, courte ou prolongée? Là est toute la question. "Présentement, la fourchette des prévisions économiques est très large, ce qui démontre une énorme incertitude", dit M. de la Durantaye.

Technologie: +39,2%

Aux États-Unis, le NASDAQ reste en baisse de 8,5%. Mais au Canada, la technologie est le secteur vedette grâce à un titre: Research in Motion (RIM), le fabricant du BlackBerry. Comment RIM réagira-t-il à l'arrivée du iPhone? Est-ce que ses marges bénéficiaires en souffriront? À suivre.

Santé: -25%

Une fois de plus, le secteur des soins de santé affiche le pire rendement de la Bourse. Mais au Canada, la contre-performance ne tient qu'à un titre: Biovail Corp. Or, les investisseurs prennent la société avec des pincettes: «On ne sait jamais quel lapin ils vont sortir de leur chapeau», dit M. Duguay.