Marie-Antoinette y a laissé sa tête. Le dernier tsar de Russie aussi. Galvanisant les foules, la faim a entraîné la chute de plus d'un régime politique. Et elle pourrait frapper encore alors que la hausse des prix des aliments soulève la colère aux quatre coins de la planète.

Marie-Antoinette y a laissé sa tête. Le dernier tsar de Russie aussi. Galvanisant les foules, la faim a entraîné la chute de plus d'un régime politique. Et elle pourrait frapper encore alors que la hausse des prix des aliments soulève la colère aux quatre coins de la planète.

Égypte, Haïti, Cameroun, Sénégal, Côte-d'Ivoire, Philippines: au cours des dernières semaines, des manifestants ont pris d'assaut les rues, accusant la plupart du temps les autorités en place de ne rien faire pour pallier la montée vertigineuse des prix du maïs, du blé et du riz.

«De tous les temps, les gens sont sortis dans la rue pour crier du pain, du pain. C'est la base de toutes les grandes révolutions. Dès que les manifestations tournent aux émeutes, il y a des risques de renversement de gouvernements», expose Aziz Fall, spécialiste de l'Afrique qui enseigne les sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal.

Des membres de l'armée ou des opposants politiques qui voient dans ces effusions de colère une occasion en or peuvent canaliser les énergies des foules pour faire tomber les dirigeants en place.

Ventre affamé n'a pas d'oreille

La situation est particulièrement explosive dans les pays où il y a déjà de l'instabilité politique. «La faim vient exacerber les tensions», ajoute Aziz Fall.

Conscients des dangers de dé-stabilisation politique, plusieurs gouvernements ont appelé à l'aide au cours des dernières semaines. Le week-end dernier, le président haïtien a annoncé la diminution du coût du sac de riz.

Le Burkina Faso et la Côte-d'Ivoire se sont résignés à réduire les taxes sur les denrées alimentaires de base.

Jacques Fisette, expert en développement urbain attaché à l'Institut d'urbanisme de Montréal, note que l'onde de choc politique risque de secouer surtout les grandes villes des pays en voie de développement, et tout particulièrement de l'Afrique.

Ces dernières comptent sur les produits étrangers pour nourrir leurs populations sans cesse grandissantes.

«Une variation minime du coût des denrées de base crée une situation très tendue dans ces grandes villes. Et dans une situation où l'État contrôle l'approvisionnement et se finance en taxant les produits d'importation, le lien est facile à faire entre le gouvernement et la hausse des prix», note-t-il.

Il a lui-même été témoin des manifestations des chauffeurs de taxi à Yaoundé au Cameroun. C'est d'abord le prix de l'essence qui a soulevé l'ire. Faisant face à des coûts plus élevés, les chauffeurs peinent à acheter le riz et le blé qui pèse de plus en plus dans leur portefeuille.

La Banque mondiale estime d'ailleurs qu'en monopolisant une plus grande partie de leur revenu, la hausse des prix des denrées pourrait faire régresser économiquement plus de 100 millions d'individus.

Ces derniers, qui ont réussi à échapper aux griffes de l'extrême pauvreté au cours des dernières années, pourraient retomber dans ses bras avec le coût du panier d'épicerie qui a augmenté de 86% en un an.

Titulaire de la chaire C.-A. Poissant de recherche sur la gouvernance et l'aide au développement à l'Université du Québec à Montréal, Bonnie Campbell ne doute pas que la crise alimentaire aura raison de plusieurs gouvernements, mais elle note que les révolutions de palais ne changeront rien à la situation actuelle.

«C'est l'agriculture mondiale qui doit être revue de fond en comble. Depuis 20 ans, on met en place des politiques qui favorisent l'exportation de denrées plutôt que d'assurer la sécurité alimentaire des pays vulnérables«, note-t-elle.

La situation en Côte-d'Ivoire illustre ses propos. «Pour produire du coton, on a transformé un pays indépendant dans sa production de riz, complètement dépendant des importations», dit-elle.

D'autres pays ont abandonné la culture du manioc et d'autres denrées de base au profit des plantations de café et de cacao. À la recommandation du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, les revenus issus de ces cultures lucratives ont servi à rembourser de lourdes dettes de pays pauvres plutôt qu'à développer les campagnes.

«Et aujourd'hui, c'est inacceptable de voir que c'est le FMI et la Banque mondiale qui crient au feu en constatant qu'il y a une crise alimentaire. Ils sont largement responsables», conclut la politologue.