La compagnie minière Barrick Gold veut empêcher la diffusion d'un ouvrage québécois dénonçant les «horreurs» et les «nombreux abus qualifiables de crimes» qui seraient commis par des sociétés minières et pétrolifères canadiennes en Afrique. Les auteurs crient à la censure.

La compagnie minière Barrick Gold veut empêcher la diffusion d'un ouvrage québécois dénonçant les «horreurs» et les «nombreux abus qualifiables de crimes» qui seraient commis par des sociétés minières et pétrolifères canadiennes en Afrique. Les auteurs crient à la censure.

Une mise en demeure envoyée aux éditions Écosociété a forcé l'annulation vendredi soir à Montréal, du lancement du livre Canada Noir, pillage, corruption et criminalité en Afrique.

Selon la compagnie canadienne, il ne fait aucun doute que le livre «véhicule des allégations fausses et grandement diffamatoires à l'endroit de Barrick». Elle menace d'exiger, en Cour supérieure, des «dommages-intérêts substantiels» si «ne serait-ce qu'un seule copie du livre», dans sa version actuelle, est mise en circulation.

Barrick a été piquée par un résumé du livre publié sur le site web d'Écosociété et qui fait état de rumeurs au sujet de travailleurs qui auraient été enterrés vifs dans une mine en Tanzanie en 1996 alors qu'ils étaient au service de la société Sutton, rachetée deux ans plus tard par Barrick.

Barrick a exigé qu'Écosociété efface de son site web et de tout matériel promotionnel les mots «abus», «crimes» et toute référence à des «mineurs enterrés vivants en Tanzanie» en lien avec le nom de Barrick.

«Si Écosociété refuse de se plier à ces demandes, ce sera à ses risques et périls», a confirmé samedi à La Presse Vince Borg, porte-parole de Barrick.

La mise en demeure a eu l'effet d'une bombe dans les bureaux de la petite maison d'édition - un organisme sans but lucratif qui a notamment publié les livres de Laure Waridel Acheter, c'est voter.

La sortie du livre en librairie, prévue pour mardi, est sur la glace. Les avocats d'Écosociété évaluaient toujours hier les conséquences possibles pour les sept personnes nommées dans la mise en demeure (les trois auteurs et les quatre membres du conseil d'administration d'Écosociété).

Demande d'intervention

Le groupe compte demander l'intervention du ministre de la Justice Jacques Dupuis, qui s'est engagé la semaine dernière à légiférer pour limiter les poursuites-bâillons - ces recours qui sont généralement menés par une grande société contre un groupe de citoyens pour atteinte à sa réputation, le but étant de faire taire les opposants en les écrasant avec des frais judiciaires considérable.

«C'est ce qui nous arrive. Nous n'avons pas les reins assez solides pour affronter la Barrick», a dit hier Alain Deneault, principal signataire du livre.

Recensement de cas

Le site d'Écosociété présente Canada Noir comme un «thriller économique» qui recense plusieurs cas de crimes qui auraient été commis par des sociétés privées canadiennes, et déjà rapportés dans le monde par des journalistes d'enquêtes et diverses ONG.

La liste des prétendus méfaits est longue: ingérence politique et contrats outrancièrement avantageux, partenariats avec des vendeurs d'armes et des mercenaires, collusions mafieuses.

«Nous avons voulu porter à l'attention du public ces informations parce qu'il se trouve lui-même à financer, indirectement, une partie de ces sociétés cotées en bourses à Toronto, soit par ses investissements dans des portefeuilles d'actions privées, ses REER ou ses cotisations à des fonds de retraite», a indiqué Alain Deneault.

Mais au passage, Canada Noir écorche aussi le système politique canadien. «Il est extrêmement difficile, voire impossible de poursuivre une société canadienne pour ce qu'elle a fait ailleurs. Si les moyens existent, le gouvernement ne s'en sert pas», dénonce M. Deneault.

Au début des années 2000, le London Observer a été condamné à verser plusieurs milliers de dollars en dédommagement à la Barrick à la suite de la publication d'allégations de mineurs enterrés vifs en Tanzanie similaires à celles reprochées aux auteurs de Canada Noir.