Quelle est l'influence des investisseurs dans les marchés à terme sur la flambée des cours du pétrole, des denrées alimentaires de base et des matières premières?

Quelle est l'influence des investisseurs dans les marchés à terme sur la flambée des cours du pétrole, des denrées alimentaires de base et des matières premières?

Sans doute importante, certainement néfaste, affirment des experts devant le Sénat américain ces jours-ci. Par exemple, la spéculation sur les contrats à terme du pétrole représentait au moins 30 $ US le baril lorsqu'il cotait encore à 120 $ US au début de mai.

Au point que des élus américains parmi les plus influents en matière financière suggèrent de resserrer d'urgence la réglementation du marché des contrats à terme.

«Si vous n'agissez pas bientôt, le Congrès le fera pour vous», a lancé un membre du Comité sénatorial sur la sécurité intérieure à un dirigeant de la Commodity Futures Trading Commission, le principal régulateur des marchés à terme aux États-Unis.

Et au Canada, le Comité des finances de la Chambre des communes pourrait aussi discuter de l'encadrement de ce marché, si son emploi du temps le lui permet avant l'ajournement estival.

«C'est un sujet de plus en plus pertinent, compte tenu de ce qui se passe avec les prix du pétrole et des matières premières. La spéculation semble avoir de plus en plus d'influence par rapport à l'économie réelle», a indiqué à La Presse Affaires John McCallum, député libéral de la banlieue torontoise et ex-économiste principal à la Banque Royale.

Mais qu'entend-on par ces contrats à terme sur les matières premières?

Pour l'essentiel, il s'agit de titres financiers négociables dont la valeur marchande dépend des fluctuations futures des prix du pétrole, des denrées de base et des matières premières.

Ces contrats à terme attirent de plus en plus les grands investisseurs et les spéculateurs qui cherchent des produits de gestion de risque, mais aussi susceptibles de rehausser leur rendement en période de disette sur le marché des actions.

Le hic, c'est que la demande pour ces contrats à terme s'est emballée, surtout de la part de fonds spécialisés, destinés à des investisseurs institutionnels comme les caisses de retraite.

Aux États-Unis seulement, ces fonds spécialisés pèseraient plus de 260 milliards comparativement à 13 milliards il y a cinq ans, selon les chiffres mentionnés devant le comité sénatorial à Washington.

Au Canada, de nombreux investisseurs institutionnels participent à ce marché. À elle seule, la Caisse de dépôt et placement avait 2,3 milliards dans ces fonds dits de "produits de base" à la fin de son exercice 2007, selon son plus récent rapport annuel.

Quant à l'impact de ces fonds de contrats à terme sur les prix du pétrole et des denrées, les constats divergent encore beaucoup.

«Malgré leur forte croissance, ces fonds ne déterminent pas la direction moyenne des prix, qui dépend davantage de la croissance de la demande. Toutefois, c'est de plus en plus évident que ces fonds amplifient les fluctuations de prix à court terme, avec des impacts parfois graves parmi les pays et les populations les plus démunies», a commenté Michel Nadeau, ex-vice-président de la Caisse de dépôt et directeur de l'Institut de gouvernance, à Montréal.

Devant le Comité sénatorial, à Washington, des experts ont aussi fait part de constants troublants sur l'impact économique de ces fonds de contrats à terme.

«La spéculation sur les contrats à termes est la principale cause des récentes hausses de prix des matières premières», a résumé Michael Masters, spécialiste des fonds de couverture pour investisseurs institutionnels.

Dans le cas du pétrole, la demande pour les contrats à terme parmi les fonds spécialisés est telle qu'elle équivaudra bientôt, en volume de pétrole sous-jacent, à toute la hausse de la demande d'or noir en Chine depuis cinq ans.

Pour les autres matières premières, en particulier les denrées alimentaires de base, la spéculation sur les contrats à terme est aussi pointée du doigt pour la forte inflation des derniers mois.

Toutefois, cet impact a varié beaucoup selon les produits en raison de l'impact de mauvaises récoltes dans certains pays, comme la crise du blé en Australie.

Quant à la réglementation du marché des contrats à termes du pétrole et des matières premières, on s'interroge encore sur son efficacité.

«Il y a sans doute des faiblesses à corriger. Mais comment intervenir dans un marché encore jeune et volatil, d'autant que personne dans le milieu boursier ne veut tuer une telle poule aux oeufs d'or?» demande Michel Nadeau.