Plusieurs organisations écologistes et de défense des droits des Autochtones russes dénoncent un projet de mégabarrage hydroélectrique en Sibérie, dans lequel la firme québécoise SNC-Lavalin (T.SNC) est actuellement le principal partenaire.

Plusieurs organisations écologistes et de défense des droits des Autochtones russes dénoncent un projet de mégabarrage hydroélectrique en Sibérie, dans lequel la firme québécoise SNC-Lavalin [[|ticker sym='T.SNC'|]] est actuellement le principal partenaire.

S'il voyait le jour, le barrage d'Evenkiïski deviendrait le troisième plus grand au monde, avec une capacité de production de 8000 mégawatts. Les coûts totaux de sa réalisation sont estimés à 12 milliards de dollars US.

Selon les ONG, il mettrait toutefois en péril le mode de vie traditionnel du peuple autochtone evenki et submergerait environ un million d'hectares de terres.

Les Evenkis vivent de la chasse, de la pêche et de l'élevage de cerfs. La construction du barrage détruirait le village de Toutontchany où habitent 2000 des 28 000 Evenkis de Russie, ainsi que les pâturages des caribous d'élevage et l'habitat naturel des caribous sauvages.

Une centaine d'habitants de Toutontchany ont fait parvenir récemment une pétition aux différents ordres de gouvernement russes pour exiger l'abandon total du projet de barrage.

«Par le passé, le pouvoir soviétique nous appelait à construire tous ensemble un «avenir radieux», sans prendre en compte les particularités des cultures, des moeurs et des traditions des peuples autochtones, détruisant notre mode de vie. Aujourd'hui, sous les principes de l'économie de marché, dans la course aux profits, on ignore les intérêts des gens dans toutes les prises de décisions», peut-on lire dans la lettre des Evenkis.

La semaine dernière, une coalition de six ONG réunissant notamment Greenpeace, WWF et une association de peuples autochtones russes (Raïpon) a lancé une campagne nationale pour appuyer la démarche des Evenkis.

Selon les ONG, plusieurs indices décelés au cours des derniers mois laissent à penser que le projet avance à grands pas derrière des portes closes.

La société d'État RosHydro a ainsi déjà investi 32,5 millions US en fonds publics l'an dernier dans le développement d'Evenkiïski.

Elle devrait en dépenser tout autant au cours des deux prochaines années, puis 10 fois plus en 2010. Ces chiffres étaient disponibles sur le site internet de la société, mais depuis la sortie publique des ONG, ils ont disparu.

La porte-parole de RosHydro, Elena Vichniakova, ne nie pas ces investissements. Elle assure toutefois que le projet en est «encore au stade d'étude».

Avant d'aller plus loin, la compagnie devra obtenir une «évaluation des impacts sur le milieu environnant» menée par les autorités. RosHydro attend une réponse à ce sujet «au courant de l'année», précise Mme Vichniakova.

SNC-Lavalin a aussi tenu à minimiser l'avancement du projet et son rôle dans celui-ci.

«Notre travail est vraiment sur un niveau très préliminaire. Nous avons un mandat en tant qu'experts dans le domaine pour réviser les études faites jusqu'à présent», explique dans un échange de courriels Gillian MacCormack, vice-présidente aux relations publiques de SNC-Lavalin.

Selon le contrat, la firme d'ingénierie et de construction montréalaise doit tout d'abord réaliser une étude de «pré-faisabilité», et ensuite examiner la question de la «justification des investissements», précise Mme MacCormack.

Elle ajoute que l'entreprise est «certainement intéressée» à poursuivre la collaboration dans le projet s'il se développe ultérieurement.

À propos des critiques formulées par les organisations de défense de l'environnement, Gillian MacCormark indique que SNC-Lavalin n'a «pas de commentaires à faire du tout».

Des étapes sautées

Selon Alekseï Knijnikov, coordonnateur de programmes pour WWF-Russie, RosHydro et ses partenaires ont sauté des étapes importantes dans le développement du projet.

«Le processus de prise de décisions pour ce barrage ne correspond pas aux recommandations de la Commission sur les barrages et les développements formulées en 2000», dit-il.

«Pour minimiser les impacts (sur la population et l'environnement), il faut une procédure de prise des décisions qui, en premier lieu, examine les besoins en électricité de la région. Ensuite, la deuxième étape, c'est de vérifier les autres solutions possibles, et il semble qu'il n'y en a pas eu».

La société d'État devrait donc faire «un pas en arrière» et discuter du projet avec les ONG, croit M. Knijnikov.

Selon RosHydro, le barrage d'Evenkiïski permettrait le développement industriel de la région de Krasnoïarsk et profiterait en premier lieu à ses habitants.

Elena Vichniakova cite ainsi des projets pétroliers et d'usine de ciment dans la région qui pourraient bénéficier de cet apport en énergie.

Elle croit aussi que le barrage serait profitable écologiquement. «Aujourd'hui, l'électricité dans cette région vient d'une usine de mazout», précise-t-elle.

Les opposants estiment de leur côté que la majeure partie de l'électricité profitera à d'autres régions plus développées du pays et que les Evenkis devront vivre seuls avec les conséquences négatives du projet.

«Si on les déplace, ils perdront leurs traditions et ne pourront pas s'adapter à un nouveau milieu», soutient Dmitri Berechkov, président du comité exécutif de la Raïpon.

Au cours des dernières décennies, les peuples autochtones de Russie ont toujours perdu ces batailles contre les grands projets économiques, avance-t-il.

Dernièrement, des Autochtones de la république de Iakoutie ont dû quitter leur territoire ancestral pour laisser place à une exploitation pétrolière.

«Ils ont reçu une compensation qui leur a à peine permis de déménager. On les a pratiquement laissés seuls sur un terrain vague et ils devaient se débrouiller pour construire des maisons.»

Les ONG croient que la présence d'une entreprise canadienne dans le projet pourrait les aider dans leurs revendications.

«Nous allons essayer de prouver à SNC-Lavalin que la participation à ce projet fait en sorte qu'ils enfreignent leur devoir de responsabilité socioéconomique, dit Alekseï Knijnikov. Nous espérons que cette entreprise a une politique de responsabilité environnementale et qu'ils ne veulent pas la violer, et donc qu'ils ne participeront pas à ce projet.»

RosHydro déclare avoir spécifiquement choisi la firme canadienne pour son expertise dans les grands projets en territoires autochtones.

UNE IDÉE QUI REFAIT SURFACE

Le projet du barrage Evenkiïski n'est pas nouveau. Déjà à la fin des années 80, les autorités soviétiques envisageaient sa construction. La chute de l'URSS quelques années plus tard a mis un frein au projet.

Aujourd'hui, le projet redevient une priorité. Il est inclus dans les plans de développement du potentiel électrique russe d'ici 2020.

À la mi-janvier, le président du monopole de distribution d'électricité RAO EES Russie, Anatoli Tchoubaïs, parlait du barrage d'Evenkiïski comme de son «projet préféré (...) que littéralement tout le pays aidera à construire».