La semaine n'a pas été tendre pour Research In Motion (RIM), fabricant des fameux téléphones BlackBerry.

La semaine n'a pas été tendre pour Research In Motion (RIM), fabricant des fameux téléphones BlackBerry.

Apple a encore nargué RIM sur son terrain. Un nouveau sondage de J.D. Power&Associates, mené à la fin de l'été auprès de 1388 utilisateurs d'affaires, conclut que le iPhone est le téléphone intelligent le plus apprécié, et de loin, par la clientèle business. Quant au titre de RIM, il a encore régressé à la Bourse de Toronto, terminant la semaine à 57,91$, près de son creux de la dernière année. Il valait 150$ à la mi-juin!

Attentes déçues de peu, marges de profit en recul et crise financière ont plongé RIM dans la tourmente. Mais Jim Balsillie, cochef de la direction de RIM, ne s'en émeut pas.

«En fait, ce serait étrange s'il n'y avait pas de turbulence», dit-il d'une voix douce dans son bureau encombré de Waterloo, qui ne ressemble en rien aux bureaux technos épurés de la Cité du multimédia. Une guitare du groupe Barenaked Ladies, encadrée au mur, et la guitare autographiée d'Eddie Van Halen, posée contre un classeur, égaient le mobilier de bois rouge et la tapisserie grise texturée qui fleurent les années 80.

Flirter avec la catastrophe

L'entreprise fondée en 1984 par Mike Lazaridis, qui a abandonné ses cours d'ingénierie à l'Université de Waterloo juste avant de décrocher son diplôme, a souvent flirté avec la catastrophe. RIM a parié sa vie sur de nouvelles technologies. Les banquiers ont failli la débrancher du respirateur, en 1993. Puis, la bulle techno a éclaté. Ensuite, RIM a ferraillé pendant cinq ans devant les tribunaux avec NTP, une petite firme de Virginie qui la poursuivait pour non-respect de brevets. RIM a réglé l'affaire en signant un chèque de 612,5 millions en 2006. «Nous avons eu le tour de montagnes russes de luxe», résume Jim Balsillie.

Ce dirigeant de 47 ans que Mike Lazaridis a recruté en 1992 a encore du mal à cerner l'effet de la crise financière et du ralentissement de l'économie sur RIM.

À ses yeux, l'équation compte trop de variables. Mais il affiche tout de même un optimisme prudent.

«Nos téléphones sont-ils des dépenses discrétionnaires ou une nécessité - ce que je pense? Je ne crois pas que le banquier qui a perdu son job sur Wall Street se débranche. Cela fait partie des choses essentielles pour être fonctionnel.»

La débandade de RIM en Bourse pourrait laisser croire que l'entreprise se trouve en difficulté.

Il n'en est rien. Si l'entreprise a déçu de peu des analystes et a atténué ses prévisions de résultats, elle connaît toujours une croissance fulgurante.

RIM comptait 19 millions d'accrocs du BlackBerry au 30 août et prévoit gagner 2,9 millions d'abonnés d'ici la fin de novembre. À son dernier trimestre, RIM a empoché des profits de 496 millions US sur des revenus de 2,58 milliards, en hausse de 88% comparativement à l'an dernier. RIM disposait de 2,24 milliards de liquidités au 30 août et n'a aucune dette à long terme.

«Je ne souhaite pas de mal à personne, mais notre situation solide nous avantage dans une période comme celle-ci qui va séparer les forts des faibles», dit Jim Balsillie.

Partenariat inhabituel

La situation de RIM a de quoi faire baver d'envie beaucoup d'entreprises. Mais, rares sont les sociétés canadiennes qui peuvent se targuer d'avoir établi une marque connue mondialement pour un produit grand public. Toute la planète tape des textes du pouce!

C'est le succès d'une entreprise singulière. Voilà 16 ans que Jim Balsillie et Mike Lazaridis se partagent la direction, un partenariat inhabituel en affaires. Jim le comptable s'occupe du quotidien et mesure rigoureusement les performances de RIM. Mike l'inventeur rêve des technologies de demain.

«Nous avons des talents différents et nous avons instauré une culture de collaboration, dit Jim Balsillie, simplement vêtu d'un pantalon gris et d'un pull vert.

Les désaccords sont rares. Quand il y en a, chacun dit le fond de sa pensée. Et puis, la croissance phénoménale des 12 dernières années nous tient très occupés chacun de notre côté.»

Malgré son succès, RIM est restée près de ses racines. Plus de 7000 des 10 000 employés de l'entreprise travaillent dans 22 immeubles de la région de Waterloo, qui compte 500 000 habitants à 45 minutes à l'ouest de Toronto. Ainsi, si RIM vient d'ouvrir des centres de recherche en Floride et en Allemagne, elle n'a jamais sous-traité sa recherche en Asie. Mais cela pourrait changer puisque Jim Balsillie y songe en Chine et en Inde. «Cela pourrait arriver bientôt», dit-il.

Élargir la clientèle

RIM a lancé trois téléphones depuis l'été. Et quand on demande à Jim Balsillie si c'est la nouvelle cadence de l'entreprise, ce dirigeant raconte que RIM accélérera encore le tempo. Voilà deux ans que RIM essaie d'élargir sa clientèle d'affaires et institutionnelle pour percer le marché des consommateurs. Si elle veut grandir, elle n'a pas le choix, juge Deepak Chopra, analyste de la firme Genuity.

Mais, pour satisfaire des goûts distincts, RIM doit offrir un éventail beaucoup plus large d'appareils, à l'exemple de son rival Nokia, estime Ken Dulaney, analyste au Gartner Group, des consultants américains. RIM avait 17,4% du marché des téléphones intelligents au deuxième trimestre de 2008, loin derrière Nokia, avec 47,5% du marché. (À noter que c'était avant le lancement du iPhone 3G d'Apple, qui a fait courir les foules.)

Le lancement et la promotion de ces nouveaux appareils coûtent cher. Avec pour résultat que la marge bénéficiaire de RIM, qui a longtemps été exceptionnellement élevée, recule. La marge bénéficiaire brute s'est établie à 50,7% au cours de la première moitié de l'année, comparativement à 51,5% pour la période correspondante de l'an dernier. Or, RIM prévoit que cette marge reculera à 47%, au grand dam des investisseurs.

Ce n'est pas le seul défi auquel RIM fait face. La crise financière a illustré la vulnérabilité de RIM au marché nord-américain, qui représente plus de 75% de ses revenus. Ainsi, RIM doit conquérir l'Europe en priorité puis l'Asie d'ici cinq ans si elle veut conserver sa position de leader.

Pour cela, elle doit lancer des appareils qui séduiront ces clientèles.

RIM doit aussi convaincre les opérateurs de téléphone comme Rogers d'abaisser les prix de leurs appareils et de leurs forfaits, juge Ken Dulaney.

«Les opérateurs essaient de siphonner plus d'argent avec les BlackBerry, puisqu'ils se disent que les clients d'affaires achèteront ces appareils de toute façon», croit cet analyste.

Puis, l'entreprise doit convaincre les développeurs d'applications de travailler pour RIM, qui compte ouvrir son propre magasin d'applications en ligne en mars.

Or, RIM est moins bien connue qu'Apple auprès des développeurs, qui hésitent à travailler sur des applications pour l'entreprise ontarienne même si celle-ci leur permet de conserver 80% des ventes, dit Ken Dulaney.

«Nous sommes dans le marché techno le plus hot, dit Jim Balsillie. Les plus grandes entreprises avec les plus grandes marques essaient de conquérir cet espace, et ils y mettent les ressources. Nous n'avons pas le choix d'innover.»

La concurrence a beau être heavy metal, RIM fonce, tête baissée.