D'un geste rapide, Annette Verschuren balaie de son front la mèche blonde qui tombe de sa couette relâchée.

D'un geste rapide, Annette Verschuren balaie de son front la mèche blonde qui tombe de sa couette relâchée.

Puis elle retire son tablier orange, la marque de commerce de Home Depot [[|ticker sym='HD'|]], avant de le froisser en boule et de le lancer dans un coin de ce minuscule bureau à l'arrière du magasin du boulevard Le Corbusier à Laval.

Habillée d'un pantalon noir et d'un pull en ce frisquet vendredi de novembre, Annette Verschuren n'est pas prisonnière de son rang de perles et d'un tailleur cintré.

Pas plus qu'elle n'a le parcours classique du PDG avec son MBA sous le bras.

Annette Verschuren n'avait que 11 ans lorsque son père a succombé à une crise cardiaque. Elle, sa soeur et ses trois frères ont repris en main la ferme laitière de leurs parents, des immigrants hollandais qui, après la Deuxième Guerre mondiale, étaient venus chercher une vie meilleure en Nouvelle-Écosse.

«Regardez ces paluches», dit-elle en montrant ses mains fortes qui lui ont mérité le ruban de la meilleure trayeuse à la foire agricole de l'île du Cap-Breton sept années de suite.

«J'ai travaillé très fort à un très jeune âge, alors il n'y a rien d'impossible pour moi», dit cette femme de 51 ans.

Mandat prestigieux

Ses patrons au siège social d'Atlanta l'ont prise au mot. Ils lui ont confiée le prestigieux mandat de lancer Home Depot en Asie, tout en conservant la direction des 165 magasins au Canada.

Et cela, à un moment où la concurrence, déjà forte dans le marché de la rénovation, s'intensifie avec l'arrivée de Lowe's, grand rival de Home Depot. On serait décoiffée à moins!

À toutes les cinq ou six semaines, Annette Verschuren prend l'avion pour Pékin. C'est là que Home Depot a établi ses quartiers pour diriger la chaîne de magasins Home Way acquise il y a un an à un prix gardé secret.

Mais ce n'est pas le décalage horaire qui lessive la dirigeante, Wen Shi Rui de son nom chinois - agréable, romantique, sage -, qui n'avait jamais mis les pieds en Chine auparavant. C'est le choc des cultures.

Les 12 magasins de Home Way étaient des copies des Home Depot circa 1997. Là s'arrêtait la ressemblance.

Annette Verschuren se souvient d'avoir visité un magasin incognito. Dans le stationnement, elle a aperçu un bataillon de vendeurs en tablier orange qui marchaient comme des militaires en claquant leurs bottes.

«J'ai demandé à leur superviseur ce qu'ils faisaient, et il m'a répondu que ces employés aimaient l'exercice et la discipline!», raconte la présidente de Home Depot au Canada et en Asie.

La hiérarchie en Chine déconcerte Annette Verschuren, elle qui a fait sa marque en déléguant le plus de responsabilités aux gestionnaires locaux.

«Mon plus grand défi, c'est d'amener l'équipe chinoise à prendre ses propres décisions», dit-elle.

Bâtir l'équipe chinoise est la première chose à laquelle Annette Verschuren s'est attaquée.

«Sans organisation forte, nous ne pourrons jamais prendre de l'expansion en Chine.» Rafraîchir les magasins situés au nord-est du pays, dont cinq à Tianjin, au sud-est de Pékin, était tout aussi urgent.

Les débuts en Chine

L'ancien propriétaire, le célèbre homme d'affaires Du Sha, manquait de liquidités. Il n'avait rien réinvesti depuis leur ouverture il y a 10 ans. Il a fallu refaire les toilettes, les salles de cours pour les employés, tout.

«Il était crucial d'envoyer le signal que nous sommes prêts à investir», dit-elle.

Puis elle a stocké les magasins rebaptisés Home Depot de produits environnementaux prisés par les consommateurs chinois, comme une peinture au latex de qualité et de bons systèmes de filtration de l'air et de l'eau. Ces produits comptent parmi les meilleurs vendeurs.

Il faut voir que le consommateur chinois ne ressemble pas au bricoleur nord-américain. Comme les ouvriers coûtent moins de 1$ par jour, il ne fait rien par lui-même.

Et comme un logement neuf se résume à une coquille de béton tout juste munie de quelques tuyaux, il a tout à acheter.

Une cuisine équipée coûte entre 5000 et 7000 $ US. Un privilège réservé aux plus riches - ils sont entre 100 et 200 millions au pays. Home Depot évalue le marché chinois de la rénovation à 50 milliards US.

Ce client chinois débarque avec son entrepreneur et s'attend à ce que le centre du design lui propose une sélection, commande les produits et coordonne les livraisons. Les appartements étant petits, il affectionne des appareils compacts d'un style contemporain, le plus souvent européen.

Néanmoins, il reste très sensible aux prix. Et il est généralement infidèle aux bannières. La concurrence est donc «incroyablement féroce» entre les différentes chaînes, le leader du marché étant B&Q, filiale du détaillant britannique Kingfisher, suivi par la chaîne chinoise OrientHome. C'est sans parler des bazars traditionnels où on peut tout acheter ou presque.

La concurrence est aussi présente à l'intérieur du magasin! En effet, les fournisseurs sont souvent propriétaires de l'inventaire en magasin. Ainsi, chacun a son propre vendeur.

De sorte qu'un client qui souhaite rénover sa salle de bain peut se faire talonner par un vendeur de Delta, un vendeur de Kohler et un autre d'American Standard!

«Ce n'est pas idéal», résume euphémiquement Annette Verschuren.

Petite révolution

Home Depot a entrepris une petite révolution en recrutant ses propres vendeurs pour la peinture Behr haut de gamme qu'elle offre en exclusivité.

«Ils vendent 20% plus de pots de peinture que les autres représentants», s'enthousiasme Annette Verschuren qui compte introduire plus de marques maison.

La dirigeante est néanmoins consciente que Home Depot ne peut pas chambarder le système du jour au lendemain sans risquer de se mettre à dos les représentants.

Le détaillant devra donc s'adapter aux pratiques chinoises. Cela dit, en versant les salaires à temps, contrairement à l'ancien propriétaire, le détaillant américain s'est déjà mis dans les bonnes grâces des vendeurs.

«Nous devons grandir avec nos vendeurs, dit la dirigeante, Mais cela va être une épopée.»

Annette Verschuren veut mettre au point le bon concept pour le marché chinois avant de peser sur l'accélérateur au pays et ailleurs en Asie.

«Nos concurrents ont simplement pris la formule nord-américaine de centre de rénovation et l'ont transplantée en Chine», dit-elle.

Ces commerces de 200 000 pieds carrés sont trop vastes, selon cette dirigeante qui pense qu'un magasin boutique ferait mieux l'affaire.

Ce n'est que lorsque ce concept sera arrêté que Home Dépôt ouvrira de nouveaux magasins ou partira à la chasse d'acquisitions, en 2008 ou en 2009.

Home Depot a employé le même stratégie lorsqu'elle est arrivé au Canada en 1994, en se portant acquéreur des magasins Aikenhead qui appartenaient à la brasserie Molson.

Francis «Frank» Blake, qui a remplacé le controversé Robert Nardelli comme président du conseil et chef de la direction, est bien au fait des défis qui attendent Annette Verschuren en Chine.

C'est lui qui a négocié l'achat de Home Way. Il n'empêche que la pression est forte pour des résultats en Chine et plus largement en Asie, tandis que le ralentissement de l'économie américaine frappe de plein fouet le détaillant (voir capsule).

Enthousiasme contagieux

Cela n'accable pas Annette Verschuren, dont l'enthousiasme est contagieux chez Home Depot, où elle travaille depuis 11 ans.

«J'adore ma job. J'adore construire des choses, alors la Chine représente une occasion formidable.»

Cela pourrait sonner faux si on ignorait qu'Annette Verschuren a été opérée quatre fois aux reins entre 16 et 21 ans; jusqu'à récemment, elle prenait encore des antibiotiques.

«Tous les jours, je me réveille heureuse d'être en vie.»

Lowe's

Annette Verschuren, présidente de Home Depot Canada, n'a que deux mots pour Lowe's, le numéro deux de la rénovation qui ouvrira le week-end prochain ses premiers magasins au Canada: bonne chance!

Il ne faut pas méprendre son commentaire pour de l'insolence. Annette Verschuren affirme avoir le plus grand respect pour Lowe's, cette chaîne née en 1946 d'une petite quincaillerie de Caroline du Nord. Elle pense simplement que Lowe's n'aura pas la partie facile.

«J'ai été tellement impressionnée par eux que je me suis inspiré de leurs succès il y a 12 ans pour Home Depot Canada. C'est le détaillant de qui j'ai repiqué le plus d'idées!»

Lowe's s'est démarquée aux États-Unis en courtisant les femmes et en offrant des services d'installation. Mais voilà, au Canada, Rona et Home Depot jouent elles aussi ces cartes.

«Lowe's arrive troisième dans un pays où les gens gagnent 22% moins d'argent, en moyenne, qu'aux États-Unis, note Annette Verschuren. En plus, le Canada est un grand pays, ce qui pose des problèmes de distribution.»

Lowe's débarque avec trois magasins, à Brantford, à Brampton et à Hamilton en Ontario. La chaîne américaine pourrait-elle se faciliter la vie en lançant une offre d'achat sur Rona, comme le veut une vieille rumeur?

«Je ne me risquerai pas à spéculer. Mais il est clair que de trouver de bons emplacements pour construire des magasins pose un défi.»