Quel rôle la Caisse de dépôt doit-elle jouer dans l'économie du Québec? Aurons-nous droit à d'autres baisses d'impôts? La fonction publique québécoise est-elle trop imposante?

Quel rôle la Caisse de dépôt doit-elle jouer dans l'économie du Québec? Aurons-nous droit à d'autres baisses d'impôts? La fonction publique québécoise est-elle trop imposante?

Ce sont là quelques-unes des questions posées par courriel aux trois chefs de parti qui siègent à l'Assemblée nationale. Leurs réponses, souvent concrètes, annoncent un débat intéressant dans les prochaines semaines.

1 - Le secteur manufacturier a perdu 100 000 emplois depuis son sommet de 2002. L'État doit-il tenter de le relancer ou considérez-vous sa déchéance comme une évolution normale de l'économie?

JEAN CHAREST

Le secteur manufacturier assure à lui seul 20% de l'activité économique du Québec. Il faut assurément le relancer. Nous avons déjà réduit la taxe sur le capital et annoncé son élimination complète pour toutes les entreprises d'ici 2010.

De plus, mon gouvernement annoncera sous peu un plan d'action pour appuyer la compétitivité du secteur manufacturier québécois.

MARIO DUMONT

Depuis déjà plusieurs décennies, le poids du secteur manufacturier dans l'économie est en régression dans la vaste majorité des pays industrialisés.

Cette tendance lourde se poursuit au profit du secteur des services qui progresse grâce, entre autres, à la technologie qui permet de produire plus de biens avec moins de personnes.

Toutefois, au Québec, la situation est différente et plus grave qu'ailleurs car elle se manifeste par une baisse abrupte de l'emploi qui s'explique par l'absence d'une stratégie manufacturière.

Pour relancer ce secteur, il faut créer des ponts solides entre les secteurs de l'économie au lieu de les opposer.

Pour se développer, le secteur manufacturier a besoin des services de recherche, d'ingénierie et autres entreprises du secteur tertiaire et il a besoin du secteur des ressources naturelles. Les secteurs tertiaire et primaire ont aussi besoin du secteur manufacturier pour se développer.

Il faut aussi de nouveaux investissements autant dans la machinerie et la formation des ressources humaines.

Le gouvernement doit créer les conditions, notamment par des mesures fiscales appropriées, pour faciliter cette adaptation permanente à la concurrence mondiale qui passe inévitablement par la mise en valeur et le développement de notre potentiel.

PAULINE MAROIS

Le gouvernement du Québec doit impérativement soutenir le secteur manufacturier pour lui permettre de s'adapter à un nouveau contexte, marqué par la concurrence accrue des économies émergentes et par le cours élevé du dollar canadien.

Le secteur manufacturier représente des milliers d'emplois de qualité au Québec, en plus d'être axé fortement vers l'exportation. Il faut viser l'amélioration de la productivité des entreprises.

La force du dollar doit être une occasion d'investir dans la modernisation de leurs équipements. Pour y parvenir, l'État doit soutenir davantage les entreprises, notamment par le biais de la fiscalité.

Pour aider nos entreprises à se démarquer, l'État doit mieux soutenir l'innovation et répondre rapidement aux besoins en main-d'oeuvre qualifiée, en aéronautique par exemple.

2 - Le gouvernement du Québec doit-il intervenir (directement ou par ses sociétés d'État) pour éviter que le contrôle d'entreprises comme Alcan ou BCE passe à des intérêts étrangers?

JEAN CHAREST

Les deux partis d'opposition souhaitent dicter où et quand la Caisse de dépôt et de placement doit intervenir. C'est irresponsable.

Le nombre de travailleurs pour chaque retraité ne cesse de diminuer au Québec. Il passera de 4,5 pour 1 aujourd'hui, à 2 pour 1 en 2030. Il est donc capital que la gestion de nos fonds de retraite soit à l'abri des pressions et des passions.

C'est pourquoi nous avons clarifié en 2004 la mission de la Caisse afin d'éliminer toute ingérence dans sa gestion et d'éviter les investissements non rentables, comme ce fut le cas par le passé.

La Caisse analyse rigoureusement chaque occasion d'investissement et elle agit de façon structurante sur le développement du Québec, mais jamais au détriment du rendement de ses déposants.

Le gouvernement, lui, protège les intérêts du Québec par des ententes, comme la convention de continuité qui fait qu'Alcan sera au Québec pour toujours.

MARIO DUMONT

Le gouvernement du Québec ne doit pas oublier qu'il est un acteur économique clé. Cela ne veut pas dire qu'il doit prendre la place du secteur privé et nationaliser des pans de notre économie.

Entre un gouvernement qui prend la place des entreprises privées et un gouvernement qui abdique devant des prises de contrôle, il y a tout un monde.

Dans le contexte actuel de la mondialisation, je pense que le gouvernement du Québec a le devoir de protéger les fleurons de notre économie contre des prises de contrôle hostiles qui menacent notre autonomie économique.

Si trente et un États américains pensent que ces protections sont bonnes pour eux, pourquoi cela serait-il mauvais pour le Québec?

PAULINE MAROIS

Plusieurs pays sont parvenus à un juste équilibre entre l'ouverture économique et la préservation d'acquis nationaux.

Le gouvernement du Québec ne devrait pas faire exception en présentant une économie ouverte mais balisée et en prévoyant la participation de certaines sociétés d'État dans la protection de fleurons québécois.

Sans perdre de vue l'importance des investissements étrangers pour notre développement économique ainsi que la possibilité pour des entreprises québécoises de procéder à des acquisitions étrangères, nous devons nous assurer, par exemple, de l'exploitation responsable et équitable de nos ressources naturelles.

Nous sommes d'avis que les ressources naturelles devraient faire l'objet de conditions d'exploitation plus serrées, particulièrement lorsqu'elles sont mises à profit par des sociétés étrangères.

Quant aux institutions publiques comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, leurs missions devraient être précisées à l'intérieur des lois constitutives afin que leur mandat cible autant le rendement financier que la préservation des intérêts économiques du Québec.

3 - Si votre gouvernement réussit à engranger un surplus, quelle sera votre priorité: réduire la dette, baisser les impôts ou créer de nouveaux programmes?

JEAN CHAREST

Les finances publiques du Québec sont serrées; il est important de gérer avec rigueur et transparence comme nous l'avons fait au cours des quatre dernières années.

C'est au Québec et en Colombie-Britannique que le taux de croissance des dépenses est demeuré le plus faible au Canada depuis 2003. Le mot-clé lorsqu'on gère les finances publiques, c'est «équilibre».

C'est-à-dire qu'il faut agir simultanément sur différents fronts. En améliorant nos services publics, à commencer par la santé.

En réduisant le poids de la dette au sein de notre économie tout en rénovant nos infrastructures publiques.

En créant de la richesse grâce à une fiscalité qui nous permet d'être plus productifs, qui récompense le travail, qui encourage l'investissement et l'épargne.

Le Québec n'est plus la province où les citoyens sont les plus imposés, comme elle l'était en 2003. Depuis que nous avons décidé de baisser les impôts, cinq autres provinces ont aujourd'hui un fardeau fiscal plus élevé que le nôtre.

MARIO DUMONT

Je trouve intéressante la formule utilisée par le fédéral qui consiste à utiliser le surplus pour rembourser la dette et qui distribue en baisse d'impôt les intérêts ainsi épargnés. Advenant un surplus, je privilégierais sans doute une version québécoise de cette formule.

Il faut s'occuper de la dette car, depuis 1998, contrairement à ce que dit le premier ministre du Québec, seulement 23% de l'augmentation des emprunts sur les marchés financiers a été investi dans les routes, les écoles et les hôpitaux.

PAULINE MAROIS

Dans un monde idéal, nous aimerions faire les trois. Compte tenu de la marge de manoeuvre, il faudra miser particulièrement sur des investissements en éducation.

C'est le moteur de notre développement économique et social. Investir en éducation, c'est contribuer à créer de la richesse.

Parallèlement, le gouvernement doit créer un environnement d'affaires plus attrayant et propice aux investissements dans le but d'améliorer le nombre et la qualité des emplois.

Par la suite, il nous sera peut-être possible d'atteindre un équilibre entre dette, baisse des impôts et programmes gouvernementaux ciblés.

4 - Brian Mulroney propose un libre-échange interprovincial. Êtes-vous d'accord? Si oui, à quelles conditions?

JEAN CHAREST

Nous sommes en train de le faire. Le Conseil de la fédération (que le PQ et l'ADQ souhaitent abolir, soit dit en passant) dirige les travaux pour atteindre la pleine mobilité de la main-d'oeuvre au Canada pour avril 2009.

Mon gouvernement a par ailleurs conclu en 2006 un accord historique avec l'Ontario sur la mobilité de la main-d'oeuvre, qui permet l'accès à des contrats évalués annuellement à 10 milliards de dollars pour les entrepreneurs du Québec.

Qui plus est, nous visons une authentique entente de libre-échange Québec-Ontario dans un proche avenir. Seul un parti qui croit à la participation pleine et engagée du Québec au sein de l'ensemble canadien peut poser, avec succès, de tels gestes d'ouverture.

MARIO DUMONT

Avec la parité des dollars canadien et américain, le Québec doit absolument développer de nouveaux marchés d'exportation. Pourquoi ne pas favoriser davantage le commerce avec le reste du Canada?

Le Québec a tout à gagner à libéraliser le commerce interprovincial qui est souvent plus réglementé que le commerce avec les États-Unis.

En effet, le Québec est en situation de déficit commercial avec les autres provinces depuis l'an 2000 et plus spécifiquement avec l'Ontario et le Manitoba. C'est la balance commerciale interprovinciale des services qui accuse un déficit surpassant le surplus au chapitre du commerce des biens.

PAULINE MAROIS

Oui, nous sommes favorables au libre-échange interprovincial comme au libre-échange international.

Le Parti Québécois a défendu dans le passé l'adhésion du Québec à l'ALENA. Il faut se montrer favorable à une intensification des échanges avec d'autres pays comme ceux de l'Europe afin de diversifier la destination de nos exportations et ainsi nous rendre moins vulnérables à la conjoncture américaine.

Dans le cas spécifique du libre-échange interprovincial, les enjeux concernent plutôt certains irritants tels que les lourdeurs administratives.

La simplification réglementaire et administrative ne doit pas se faire aux dépens de certains secteurs d'activités ou de corps d'emplois plus vulnérables qui sont actuellement bien servis par l'encadrement actuel, dans le secteur agricole ou de la construction par exemple.

5 - L'appareil de l'État compte 72 000 fonctionnaires et quelque 200 sociétés d'État. Est-ce trop, correct ou insuffisant?

JEAN CHAREST

Le gouvernement poursuit le plan qu'il s'est fixé en 2004: réduire de 20% le personnel de la fonction publique sur 10 ans, par le remplacement d'un départ sur deux à la retraite.

La réduction atteinte à ce jour s'établit à 3430 fonctionnaires, soit 5%. Ce sont des économies cumulatives de 1 milliard de dollars. Par ailleurs, 24 organismes ont été abolis depuis 2003.

MARIO DUMONT

C'est trop quand on sait que l'on est en pénurie de main-d'oeuvre d'une part, et qu'il s'avère que certains fonctionnaires ont à gérer des programmes et des règlementations dont la pertinence peut être questionnée d'autre part.

PAULINE MAROIS

La question est davantage de savoir comment pouvons-nous améliorer l'efficacité et la qualité des services publics.

Il faut valoriser la culture des résultats et obtenir une meilleure organisation du travail mais il doit y avoir suffisamment de ressources là où les citoyens ont des besoins. Quant aux sociétés d'État, elles doivent faire preuve de plus de transparence dans l'utilisation des deniers publics.