Les employés qui travaillent avec le public subissent régulièrement les foudres d'une clientèle qui reportent sur eux leur frustration. Si certains employeurs font de la prévention, d'autres préfèrent jouer à l'autruche.

Les employés qui travaillent avec le public subissent régulièrement les foudres d'une clientèle qui reportent sur eux leur frustration. Si certains employeurs font de la prévention, d'autres préfèrent jouer à l'autruche.

À l'unité de soins psychiatriques de l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, un préposé aux bénéficiaires est sauvagement agressé par un patient à qui il avait demandé de regagner sa chambre. Amené aux urgences, le père de deux jeunes enfants y subit un infarctus et passe quelques jours dans le coma.

Après enquête, la CSST a exigé que les travailleurs des services psychiatriques reçoivent une formation sur la prévention des agressions et qu'ils soient informés de la dangerosité des patients.

Des mesures inspirées du bon sens, mais qui ont dû attendre qu'il y ait quasiment mort d'homme.

En 2006, la CSST a admis 1957 lésions physiques et psychologiques attribuables à la violence en milieu de travail (données les plus récentes).

C'est 18% de plus qu'en 2003. Plus de neuf fois sur dix, les lésions ont découlé de voies de fait et d'actes violents.

Hélas, ce n'est que la pointe de l'iceberg, déplore Angelo Soares, professeur au département Organisation et ressources humaines de l'ESG-UQAM.

Ces chiffres représentent seulement les demandes d'indemnités qui ont été acceptées par la CSST, explique M. Soares.

Rejet de la moitié des demandes

«Comme la CSST rejette environ la moitié des demandes, bien des employés trouvent le processus trop compliqué et préfèrent se tourner vers leur assureur privé.»

En mars dernier, une étude de l'Université de York a montréque, dans les centres de soins de longue durée du Canada, 43% des préposées aux bénéficiaires étaient victimes de violence physique tous les jours.

Un taux d'agression hallucinant, principalement attribuable au manque de personnel, selon les auteurs de l'étude.

Les germes de la violence

Aujourd'hui, les entreprises ont comme philosophie de faire plus avec moins, remarque Angelo Soares. Les employés qui échappent à la réduction des effectifs se retrouvent avec une surcharge de travail. Tôt ou tard, la situation entraîne une insatisfaction de la clientèle. Qui écope de sa frustration? Le personnel de première ligne.

Le sociologue du travail donne l'exemple d'un bureau de la SAAQ où il a dû se rendre trois fois pour régler un dossier personnel. «J'avais rendez-vous à 9h, mais sur place, j'ai constaté qu'au moins 20 personnes avaient été convoquées en même temps.»

Quand le tour de M. Soares est enfin venu, la préposée l'a informé qu'il aurait dû s'adresser au guichet juste à côté d'elle, qui relevait d'un autre service.

L'organisation de certains milieux de travail porte les germes de la violence, estime M. Soares. «À la SAAQ, j'ai gardé mon calme, mais il faut dire que j'étudie le phénomène de la violence au travail depuis 15 ans. Pas sûr que M. et Mme Tout-le-Monde sont nécessairement capables d'être aussi empathiques.»

Selon les données de la CSST, les groupes les plus exposés aux lésions physiques attribuables à la violence en milieu de travail sont le personnel de la santé, les enseignants et les travailleurs de l'industrie du transport.

Prenez les chauffeurs d'autobus de la STM. «Ils se font menacer, bousculer, même cracher dessus, note Angelo Soares. À juste titre, ils voudraient qu'une paroi les protège des usagers. La direction affirme que ça donnerait à Montréal une image de ville violente. Je trouve ça inacceptable comme argument.»

Quant à la question des coûts, le professeur rétorque que les primes d'assurance et l'absentéisme, ça coûte cher aussi. «La souffrance humaine, elle, ne peut même pas être chiffrée.»

Responsabilité de l'employeur

Au Québec, c'est d'abord à l'employeur de s'assurer que les employés ont la formation nécessaire en matière de prévention des agressions, note Héloïse Bernier Leduc, porte-parole à la CSST.

À Hydro-Québec, le syndicat offre, en partenariat avec le patron, un tel programme aux employés en contact avec la clientèle. Selon le type d'emploi, la formation dure d'une demi-journée à une journée.

«Le programme est obligatoire dans le cas des agents de recouvrement et facultatif pour les autres», explique Claude Arsenault, président du Syndicat des employés de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec (Section locale 2000 SCFP - FTQ).

Résultat : le nombre des cas majeurs d'agression est stable depuis plusieurs années, précise Richard Drouin, responsable en santé et sécurité du syndicat. «Et on a observé une réduction des cas les plus lourds.»