C'est un soir de grand match: le Canadien affronte les Rangers de New York. Mais à la Taverne des sports de Lebel-sur-Quévillon, il n'y a que quatre habitués pour assister à la spectaculaire remontée du Tricolore, qui l'emporte 6 à 5.

C'est un soir de grand match: le Canadien affronte les Rangers de New York. Mais à la Taverne des sports de Lebel-sur-Quévillon, il n'y a que quatre habitués pour assister à la spectaculaire remontée du Tricolore, qui l'emporte 6 à 5.

«Il n'y a plus personne qui sort, dit la barmaid Linda Bourget en astiquant son long comptoir. Tout le monde étudie!»

Linda Bourget est bien placée pour le savoir. Son conjoint, Jean-Pierre Mongrain, vient d'entreprendre un cours pour devenir mineur à l'âge de 53 ans.

Depuis deux ans, il s'est perdu 1000 emplois en usine et en forêt dans cette ville qui ne compte que 3250 habitants.

Un oncle, une belle-soeur, un frère Si tout le monde connaît un proche qui a perdu son travail dans cette ville sinistrée par la crise forestière, tout le monde connaît maintenant un parent ou un ami qui est retourné en classe. C'est la petite révolution qui s'opère à Lebel-sur-Quévillon.

«Avant, c'était beau quand on donnait un cours de formation professionnelle par année. En ce moment, il y en a quatre qui roulent en même temps», raconte Nathalie Hurens, conseillère pédagogique à la Commission scolaire de la Baie-James.

Extraction de minerai, mécanique industrielle, conduite de machine industrielle, camionnage, mécanique de véhicule routier, technique de génie civil Les cours se suivent pour ces métiers en demande en raison du boom minier et des grands chantiers d'Hydro-Québec.

La grande rentrée de Lebel-sur-Quévillon sort de l'ordinaire. Souvent, les étudiants n'ont pas usé leurs jeans sur les chaises d'école depuis 20 ou 30 ans. Ainsi, dans le cours de mécanique industrielle donné dans les locaux de la polyvalente La Taïga, les élèves ont 46 ans en moyenne.

«C'est la moyenne d'âge la plus élevée de toute notre commission scolaire», note Nathalie Hurens.

Daniel Tremblay est l'un de ceux- là. Cet ancien frigoriste de Domtar est sur le point de terminer le cours qu'il a entrepris il y a 14 mois dans l'espoir de décrocher un poste en entretien général dans une école ou un centre de santé.

À la polyvalente, il croise son beau-frère, son épouse et leurs enfants, qui étudient tous au même endroit! «Il y a plus de parents que de jeunes à l'école!», dit cet homme de 47 ans.

Cette proximité inusitée suscite son lot de railleries.

«En cours, il y a des parents qui entendent le nom de leur enfant à l'intercom et qui se demandent tout haut: «Qu'est-ce qu'il a fait encore?», raconte Diane Cassista, une dessinatrice industrielle de 50 ans qui est en voie de se réincarner en inspectrice de travaux routiers.

«Les jeunes nous appellent la gang des «papermanes!» note en riant Daniel Tremblay, en référence aux pastilles à la menthe que les vieux affectionnent.

Les blagues des jeunes, c'est une chose. Celles des anciens confrères de travail, c'en est une autre.

«Ils riaient de nous quand nous avons commencé le programme», raconte François L'Heureux, ancien machiniste de Domtar qui a entrepris une formation en mécanique industrielle.

«Vous n'aurez pas le temps de finir que le lockout de Domtar sera terminé. Quelques mois plus tard, ils avouaient qu'ils auraient peut-être dû retourner aux études. Et là, ils se sont inscrits pour la prochaine cohorte.»

Il n'empêche que le retour en classe représente toute une transition pour des hommes et des femmes qui étaient sur le marché du travail depuis des décennies.

«Ce n'est pas évident d'aller t'asseoir là le premier matin», confie Ghislain Matte, un ancien opérateur en blanchiment de Domtar qui, à 43 ans, veut se requalifier comme mineur.

«J'ai toujours aimé les maths, mais c'est quelque chose d'étudier la même matière toute la journée, dit Diane Cassista. Tu quittes le soir et tu es vraiment saturée.»

Pourtant, jamais cette femme n'a songé à abandonner son cours. «C'est tellement intéressant que le lendemain, tu as juste hâte de revenir.»