Desjardins tente de prendre racine dans la toundra du Nunavik. Chacun des 14 villages inuits du Grand Nord du Québec aura bientôt accès aux services du Mouvement Desjardins.

Desjardins tente de prendre racine dans la toundra du Nunavik. Chacun des 14 villages inuits du Grand Nord du Québec aura bientôt accès aux services du Mouvement Desjardins.

En novembre, les trois premiers centres de service de la Coopérative de services financiers du Nunavik ont ouvert à Salluit, Akulivik et Kangiqsualujjuaq.

Cela fait des années que l'Administration régionale Kativik (ARK), la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec (FCNQ) et la Caisse d'économie solidaire Desjardins veulent améliorer les services financiers offerts aux quelque 11 000 Inuits qui vivent dans le Grand Nord.

La première étude de marché remonte à 1983. Une première tentative, en 1989, avait échoué.

Le projet actuel, qui coûtera près de 3 M$ en trois ans, vise notamment à sensibiliser la population du Nunavik, dont l'âge médian est de 20 ans, à l'importance de bien gérer son argent.

Jusqu'à tout récemment, les seuls services dont pouvait profiter la population qui n'habite pas dans la capitale régionale, Kuujjuaq, étaient l'encaissement de chèques et le financement pour l'achat de motoneiges et d'autres véhicules.

Ils étaient offerts par les coopératives de chacun des villages inuits, sortes de magasins généraux. Or, ces avances de fonds pesaient lourd sur les liquidités des coopératives.

La plupart des Inuits n'ont pas de compte d'épargne, a expliqué en entrevue Clément Guimond, un cadre de la Caisse d'économie solidaire basé à Québec.

Une fois leurs chèques encaissés, ils gardent leurs billets sur eux ou à la maison, ce qui n'est évidemment pas la solution idéale.

«Il n'y a pas vraiment de culture bancaire en haut», a résumé Yvon Roy, aussi de la Caisse d'économie solidaire.

«Nous lançons un immense chantier d'éducation: l'épargne n'est pas une réalité pour l'instant dans le nord.»

Outre les services bancaires courants, la Coopérative de services financiers du Nunavik compte offrir, d'ici à quelques années, des hypothèques et d'autres types de prêts, des produits financiers plutôt inusités dans le Nord à l'heure actuelle.

Il faudra toutefois les adapter au Grand Nord, puisque le régime juridique de la région, en ce qui a trait aux garanties, diffère de ce qui existe dans le sud.

Les trois premiers centres de services sont situés dans les locaux des coopératives, mais disposent de leur espace réservé.

Le même modèle sera suivi pour les centres de Kuujjuaraapik, Puvirnituq, Inukjuak, Kuujjuaq et Kangiqsujuaq, qui ouvriront plus tard cette année, et ceux de Ivujivik, Kangirsuk, Aupaluk, Quaqtaq, Umiujaq et Tasiujaq, dont l'inauguration est prévue en 2009-2010.

Des guichets automatiques seront installés dans certains villages.

À terme, Desjardins espère que 60% des adultes du Nunavik deviendront membres, soit plus de 3000 personnes. De novembre à février, les trois premiers centres de services ont déjà recruté 550 membres.

À Kuujjuaq, la Coopérative de services financiers du Nunavik devra faire concurrence à la succursale de la Banque CIBC, présente depuis plus d'une vingtaine d'années.

Le directeur de la recherche et du développement économique à l'ARK, Adel Yassa, a dit avoir sollicité la CIBC afin d'obtenir une amélioration des services offerts aux particuliers.

«Ils ont envoyé quelqu'un de Toronto assister à une rencontre à Kuujjuaq, cette personne-là a pris des notes, mais rien ne s'est passé», a-t-il raconté.

La création de la Coopérative de services financiers du Nunavik découle de la volonté des autorités inuites de se doter de leviers économiques autonomes, a précisé M. Yassa.

Le défi de la coopérative naissante sera de recruter comme clients les grands employeurs du Nouveau-Québec: les sociétés publiques et parapubliques de même que la Société Makivik, chargée de gérer les fonds patrimoniaux perçus par les Inuits du Nunavik en vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Makivik est propriétaire des transporteurs aériens Air Inuit (300 employés) et First Air (1150 employés), des Entreprises Halutik (carburant, machinerie lourde et gravier), en plus de détenir des participations dans des coentreprises des secteurs des pêcheries, du transport maritime et de la commercialisation du phoque.

L'ARK investit 812 000 $ dans la Coopérative de services financiers du Nunavik, tandis que le Centre local de développement Kativik y va de contributions totalisant 904 400 $.

La Fédération des coopératives du Nouveau-Québec versera 649 000 $, les coopératives locales 259 000 $ et la Caisse d'économie solidaire, 227 000 $, le tout sur une période de trois ans.

Le projet permettra de créer 13 emplois à plein temps et quatre postes à mi-temps, tous occupés par des Inuits qui pourront servir la clientèle dans sa langue.

L'objectif est qu'au bout de trois ans, la coopérative financière soit rentable et vole de ses propres ailes. La Caisse d'économie solidaire agit à titre de «pouponnière», a souligné M. Roy.

À terme, la coopérative demeurera affiliée à Desjardins, mais sera majoritairement gérée par des Inuits.

Pour l'instant, des représentants de Desjardins et de la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec siègent conjointement au conseil d'administration de la coopérative.

Axée sur le développement social, la Caisse d'économie solidaire compte parmi ses principaux clients le Cirque du Soleil et la FCNQ.

À plus long terme, la Coopérative de services financiers du Nunavik ambitionne de se doter d'un imposant capital qu'elle ferait fructifier afin de renforcer son bilan.

Le modèle à suivre à cet égard est celui du Peace Hills Trust, une institution financière appartenant à la nation crie Samson, en Alberta.

Le capital de 5 M$ constitué par le Trust en 1985 vaut aujourd'hui plus de 84 M$. Plus de 20 000 particuliers et entreprises sont clients de l'institution.

Le mouvement coopératif est fort bien implanté dans le Nord: il vient de célébrer son 40e anniversaire. Le chiffre d'affaires global des 14 coopératives membres de la Fédération dépasse les 140 M$ par année.