Au Québec, quand il s'agit de santé et de sécurité du travail, tous les chemins mènent à Jean-Pierre Brun.

Au Québec, quand il s'agit de santé et de sécurité du travail, tous les chemins mènent à Jean-Pierre Brun.

Chercheurs, entreprises, gouvernements, gestionnaires, travailleurs et journalistes font régulièrement appel à son savoir et à sa capacité de traiter, en langage simple et sans détour, certains enjeux parmi les plus complexes de la vie dans les organisations.

Parcours d'un universitaire québécois de réputation internationale qui a notamment fait ses classes à l'école du syndicaliste Michel Chartrand et comme monteur de lignes pour Hydro-Québec.

Depuis septembre 2007, Jean-Pierre Brun, titulaire de la chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail dans les organisations (CGSST) de l'Université Laval tient, pour lapresseaffaires.com, une sorte de courrier du coeur de la gestion.

Les lundis, il répond simplement et clairement, sans sacrifier les nuances, à la question d'un lecteur. Pour un universitaire, une telle entreprise comporte des risques. Dans l'univers de l'enseignement, la valeur et l'importance d'un chercheur se mesurent d'abord à ses publications savantes.

Jean-Pierre Brun, âgé de 48 ans, a déjà signé des dizaines d'articles dans des revues scientifiques depuis 1990. Il est régulièrement conférencier dans des forums de chercheurs ici et à l'étranger.

Il est entre autres membre d'un comité du Bureau international du travail sur la prévention du stress.

En 2005, le Conseil canadien pour un milieu de travail sain lui a décerné son Prix hommage canadien de la santé en milieu de travail. Il est donc reconnu et respecté de ses pairs.

Pendant son congé sabbatique, en 2007, il a toutefois décidé d'intensifier le volet «grand public» de ses activités. Ce choix l'a conduit à devenir collaborateur de lapresseaffaires.com et à rédiger le livre Les sept pièces manquantes du management, paru récemment aux Éditions Transcontinentales.

«Il faut quatre mois pour écrire un article scientifique qui est trop souvent lu par quatre personnes, dont ses deux évaluateurs. Je vais continuer à le faire mais ce ne sera plus au centre de ma carrière», dit-il.

De L'écorché à la faculté de gestion

La collaboration avec un média grand public est, pour le prof Brun, un retour aux sources. Son éveil aux enjeux sociaux a débuté alors qu'il était rédacteur en chef du journal étudiant du Cégep Lionel-Groulx portant le nom prédestiné L'écorché.

Après son baccalauréat en sociologie, il part pour un séjour d'un an à l'étranger. Au retour, il combine un maîtrise en socio avec un emploi à la Fondation pour l'aide aux travailleurs et travailleuses accidentés (FATA), mise sur pied en 1983 à l'instigation de Michel Chartrand.

Pendant 18 mois, il entend les récits de centaines de victimes d'accidents de travail. «Des gens qui ne marcheront plus, ne pourront plus faire l'amour; qui ont perdu leurs doigts; qui vivent des dépressions profondes», se rappelle-t-il.

Le travail ne doit pas détruire la vie: voilà la conviction qui est, depuis, au centre de ses recherches et de ses interventions.

«C'est en échangeant avec Michel Chartrand, un homme d'une grande humanité et d'une grande culture, que j'ai compris le rôle crucial de la gestion et de l'organisation du travail pour prévenir les maux du travail», dit-il.

Il part ensuite pour Paris pour faire un certificat puis un doctorat en ergonomie. Sujet de thèse? L'analyse des phénomènes sociaux et psychologiques dans l'activité de travail des monteurs de lignes.

Avant de la rédiger, il a suivi un cours de six mois pour apprendre ce métier... qu'il a ensuite pratiqué pendant plus d'un an chez Hydro-Québec.

«J'ai non seulement mieux compris les méfaits du travail mais aussi la compétence et l'intelligence des travailleurs. Si on les écoutait, ça irait beaucoup mieux. Les travailleurs sont les experts de leur travail. Ils y passent 2000 heures par année», dit-il.

En 1992, il est embauché comme professeur à la faculté de gestion de l'Université Laval, où il mettra rapidement sur pied un groupe de travail spécialisé.

«La santé et la sécurité sont un enjeu majeur du management. Chaque année, au Québec, entre 100 000 et 125 000 travailleurs sont victimes de lésions et les maladies professionnelles et une centaine en meurent. La CSST verse plus d'un de 1,5 milliard en prestations. Cet argent pourrait mieux profiter aux entreprises et aux travailleurs», note Jean-Pierre Brun.

«Les organisations ont de moins en moins de marge de manoeuvre pour améliorer leur rentabilité. Une meilleure gestion de la santé et de la sécurité est l'un des moyens pour y parvenir», poursuit-il.

Une PME

En 2000, il devient titulaire d'une chaire qu'il a depuis transformée en véritable PME de la recherche et du transfert de savoir.

La CGSST regroupe aujourd'hui plus de 25 membres réguliers, associés et étudiants issus des facultés de management, de droit, de relations industrielles et de médecine et elle compte quatre employés. Elle accueille également des stages aux gestionnaires en santé et sécurité du travail.

Ses recherches et ses actions sont axées sur la gestion de la santé et de la sécurité du travail, la santé psychologique, la reconnaissance et la violence au travail. Il se préoccupe tout autant de santé physique que mentale.

Si ces travaux sont en grande partie financés par des fonds publics de recherche, la chaire compte aussi sur le soutien du secteur privé.

«En 10 ans, Hydro-Québec et Alcan ont injecté environ 1 M$ par des dons libres de toute intrusion dans le contenu des recherches», souligne Jean-Pierre Brun.

Parmi les nombreux documents produits par la chaire, on retrouve notamment une trousse de prévention des problèmes de santé psychologiques ainsi qu'un coffret sur les pratiques de reconnaissance.

Ces outils, les rapports de recherche de la chaire ainsi que les publications de ses membres sont disponibles via le site www.cgsst.com.

Prévention durable

Selon Jean-Pierre Brun, la prévention a fait des progrès au Québec depuis 20 ans. «Les améliorations sont malheureusement cycliques. Quand ça va bien, on se relâche. Il faut développer la prévention durable», insiste-t-il.

Convaincu que bien-être et qualité de vie au travail sont des sources de richesse pour les entreprises, Jean-Pierre Brun martèle souvent ce message: il faut passer de la gestion des ressources humaines à la gestion humaine des ressources.

«Comme les publicitaires de produits courants, je crois qu'il faut sans cesse répéter l'ABC de la gestion. Et je compte bien le faire longtemps. Ma retraite est prévue seulement en 2024», prévient-il.