«Ted Rogers fut un grand visionnaire des télécommunications, pour qui le mot risque n'existait pas», s'est remémoré André Chagnon, ex-président fondateur de Vidéotron, huit ans après un projet avorté de fusion multimilliardaire.

«Ted Rogers fut un grand visionnaire des télécommunications, pour qui le mot risque n'existait pas», s'est remémoré André Chagnon, ex-président fondateur de Vidéotron, huit ans après un projet avorté de fusion multimilliardaire.

Pour Ian Greenberg, président d'Astral Media [[|ticker sym='T.ACM.A'|]], «on se souviendra de lui comme le bâtisseur de l'une des entreprises les plus prospères au Canada.»

«Il fut l'un des plus grands entrepreneurs de l'histoire au Canada, qui n'a pas craint de bousculer l'establishment d'affaires», a renchéri Charles Sirois, président de Télésystème, qui fut à la fois associé et concurrent de Rogers Communications [[|ticker sym='T.RCI.B'|]] il y a quelques années.

À n'en pas douter, l'annonce du décès de Ted Rogers, 75 ans, président-fondateur et principal actionnaire de Rogers Communications, laisse personne indifférent dans le monde des affaires. En particulier dans les télécommunications, où les aventures technologiques et financières font parfois beaucoup d'étincelles.

Mais de l'avis général, Ted Rogers laisse à ses successeurs - nombre d'adjoints formés de longue date et des membres de sa famille immédiate - un colosse des télécommunications qui est en meilleure santé que rarement auparavant.

À preuve, la valeur boursière de Rogers Communications, rendue à 21 milliards de dollars, dépasse maintenant celle de son principal rival historique: le groupe BCE [[|ticker sym='T.BCE'|]] et sa filiale Bell Canada.

«Ted Rogers était le plus tenace des concurrents et un chef d'entreprise exceptionnel, dont la vigueur fut à la fois inspirante et motivante» a d'ailleurs reconnu George Cope, chef de la direction de BCE.

Selon ses plus récents résultats, Rogers Communications a un chiffre d'affaires annualisé de 11 milliards en câblodistribution, en téléphonie sans fil en médias électroniques et imprimés.

Sa rentabilité est aussi enviable: environ 1,3 milliard de bénéfice net lors des quatre derniers trimestres complétés.

Et ce, malgré les coûts croissants de l'inévitable modernisation en télécommunications pour attirer et garder les clients, et contrer la concurrence de plus en plus vive.

D'ailleurs, de l'avis d'analystes, l'arrivée prochaine de nouveaux concurrents en téléphonie sans-fil pourrait s'avérer l'un des principaux défis de Rogers Communications.

«Ça risque d'affecter les résultats de la division qui demeure la plus importante source de profit pour toute l'entreprise», selon Ian Grant, directeur et analyste en télécoms de la firme Seabord.

«Par ailleurs, en câblodistribution, Rogers est un peu en retard sur Vidéotron, par exemple, en ce qui concerne l'expansion de nouveaux services comme la téléphonie et l'accès internet à très haut débit.»

Mais dans l'immédiat, c'est la «recette» de Ted Rogers en affaires que plusieurs préfèrent souligner.

«Il avait une capacité hors-pair de percevoir le potentiel de nouvelles technologies des années avant tout le monde, comme l'émergence du sans-fil. En plus, Ted Rogers avait une volonté de prendre des risques énormes qui en faisait un chef d'entreprise à part», résume Lawrence Surtees, analyste en télécoms avec la firme IDC, à Toronto.

Un exemple de moments «visionnaires» de Ted Rogers: le besoin de consolider les câblodistributeurs, il y a quelques années, alors que se constituaient des géants des télécoms et de l'internet.

«C'est ce qui l'a amené à discuter d'une alliance de Rogers Cable et de Vidéotron en 2000, pour regrouper nos réseaux et nos technologies face à des entreprises encore dominantes comme Bell Canada», se souvient André Chagnon de la transaction avortée au profit de Quebecor et la Caisse de dépôt et placement.

D'ailleurs, malgré cet écueil retentissant il y a huit ans, Ted Rogers n'a pas renoncé à son intérêt pour s'allier des entreprises québécoises.

Entre autres, Rogers Communications a graduellement acquis jusqu'à 20% du capital de l'autre grand câblodistributeur québécois, Cogeco, qui a aussi des milliers d'abonnés dans des filiales en Ontario.

«Ted Rogers va nous manquer, en particulier son talent à identifier bien en avance ce que ses clients veulent», a commenté Louis Audet, président de Cogeco.

«Quant à ceux qui auraient préféré qu'il prenne moins de risque? Et bien, la taille et les résultats de Rogers Communications parlent d'eux même. Ted Rogers a réussi un assemblage d'actifs impressionnant.»

Plus récemment, Rogers Communications confiait au gros imprimeur Transcontinental, dirigé de Montréal, l'impression de tous ses magazines. C'est un contrat d'au moins 235 millions en cinq ans. Mais aussi, tout un accueil pour Isabelle Marcoux, vice-présidente de Transcontinental, qui siège depuis peu au conseil d'administration de Rogers Communications, à l'invitation de Ted Rogers.

«Son décès signifie la perte d'un grand entrepreneur que j'ai eu la chance de côtoyer pendant quelques mois. Il m'a impressionné par son sens visionnaire en affaires tout en demeurent très attentif aux détails.»

ROGERS COMMUNICATIONS EN UN COUP D'OEIL

ACTIVITÉS

IMPORTANT CONGLOMÉRAT CANADIEN DE TÉLÉCOMMUNICATIONS ET MÉDIAS

Téléphonie sans-fil

#1 au Canada avec 7,3 millions d'abonnés (réseaux Rogers, Fido)

Câblodistribution

#1 au Canada avec 2,3 millions d'abonnés en Ontario et les Maritimes, 20% du capital de Cogeco

Commerce de détail

465 boutiques Rogers (télécoms, vidéos, jeux)

Médias électroniques

52 stations de radio, cinq stations de télévision CityTV, chaînes spécialisées par câble

Édition

70 magazines d'affaires et grand public (Maclean's, L'Actualité, etc)

Sports

Équipe de baseball Blue Jays (Ligue américaine) et le stade Rogers à Toronto (ex-Skydome)

Siège social Toronto

Effectifs 29 000 employés

Chiffre d'affairesannuels 11 milliards$ (4 trim. au 30 sept.)

Bénéfice net 1,39 milliard$ (4 trim. au 30 sept.)

Valeur boursière 21 milliards$

Principaux actionnaires Famille Rogers (16% du capital-actions, 83% des droits de vote), fonds Fidelity (3,5%), fonds Harris (3,3%), Jarislowsky Fraser (3,6%), Caisse de dépôt et placement (1,9%), etc.

Sources : Rogers Communications, répertoire SEDAR, Bloomberg

CHRONOLOGIE

27 mai 1933

Naissance d'Edward "Ted " Rogers Jr, fils du fondateur de la station radio CFRB à Toronto, alors l'équivalent de CKAC à Montréal.

1939

Décès du père Edward Rogers à 38 ans, ce qui compromet gravement le patrimoine familial. Le jeune Ted, déjà de santé fragile, en restera inquiet toute sa vie.

1944-62

Études secondaires et universitaires (droit) à Toronto, durant lesquelles il aura nombre de projets d'affaires liés à la radio. À peine admis au «Law Society » (barreau), il achète une station FM pionnière et co-fonde la première station privée de télévision à Toronto avec l'éditeur de presse John Bassett, à l'origine du futur réseau CTV.

1963

Ted Rogers épouse Loretta Anne Robinson, fille d'un lord britannique rencontrée à Nassau. Ils auront quatre enfants dont deux, Edward (39 ans) et Melinda (37 ans), sont devenus des hauts dirigeants et membres du conseil de Rogers Communications.

1967

Premier achat d'un câblodistributeur en banlieue de Toronto. Au fil de fusions et d'acquisitions, Rogers Cable est aujourd'hui devenu le plus gros au Canada, avec 2,7 millions d'abonnés.

1985

Établissement de Rogers Cantel pour exploiter de nouveaux permis de téléphonie sans-fil, avec le géant américain AT&T comme partenaire.

1989

Achat de CN/CP Télécom (renommée Unitel) pour mieux concurrencer Bell Canada dans la téléphonie interurbaine. Mais six ans plus tard, Ted Rogers conclut à l'erreur et revend Unitel, après des pertes de 500 millions.

1994

Achat tumultueux pour 3 milliards d'un important groupe médias au Canada anglais, Maclean Hunter (câble, journaux Sun, magazines divers dont Maclean's, L'actualité, Chatelaine, etc.). Rogers Communications frôlera ensuite un sérieux péril financier.

2000

Offre d'achat de 5 milliards pour le câblodistributeur Vidéotron au Québec, conclue avec la famille Chagnon. Projet avorté par l'offre concurrente de Quebecor, avec l'appui de la Caisse de dépôt et placement. Rogers s'en tire avec une indemnité de 241 millions. Par la suite, Rogers accumulera 20% du capi t a l-ac tions du cablodistributeur Cogeco Rogers achète 70% du capital de l'équipe de baseball Blue Jays de Toronto pour 112 millionsUS, aux côtés de la brasserie Labatt et de la banque CIBC.

Aussi, Ted Rogers s'illustre en philanthropie avec des dons de 35 millions aux universités de Toronto et Ryerson, en plus des millions déjà versés aux fondations d'hôpitaux torontois.

2004

Achat du stade à toit ouvrant Skydome au centre-ville de Toronto, qui abrite les Blue Jays (baseball) et les Argonauts (football). Rebaptisé depuis "Rogers Centre".

Achat à Montréal de la firme Microcell et de son réseau sans-fil Fido pour 1,6 milliard , en plus du rachat de la part de 34% de AT&T dans la filiale Rogers Wireless. Du coup, Rogers devient numéro un canadien de la téléphonie sans fil, devant Bell Canada et Telus.

2005

Acquisition de Call-Net afin d'accélérer l'expansion de Rogers Cable en téléphonie locale.

2007

Achat pour 405 millions des cinq stations de télévision CityTV (Toronto, Vancouver, Ottawa, etc) revendues par le groupe CTVglobemedia, sur ordre du CRTC fédéral.

1er décembre 2008

DÉCÈS DE TED ROGERS À 75 ANS, DES SUITES DE COMPLICATIONS CARDIO-VASCULAIRES. En Bourse, la valeur de Rogers Communications (21 milliards ) surpasse celle de son principal rival de longue date: BCE/Bell Canada.

Sources : Rogers Communications, archives média