En survolant le paysage lunaire qui mène à l'aéroport international de Reykjavik, on est d'abord happé par une forte odeur de soufre.

En survolant le paysage lunaire qui mène à l'aéroport international de Reykjavik, on est d'abord happé par une forte odeur de soufre.

Les émanations, reflets de l'intense activité géothermique de l'Islande, prennent un potentiel métaphorique nouveau alors que l'économie de la petite île nordique tangue au bord de l'abysse, dévastée par les retombées de la crise financière mondiale.

«Oui, nous allons tous en enfer!» commente une résidante, mi-amusée, mi-dépitée, en parlant de la situation de son pays.

Le premier ministre islandais, Geir Haarde, a lui-même donné le ton la semaine dernière en prononçant à l'attention de ses concitoyens une allocution télévisée qui semblait parfois apocalyptique.

«S'il y eut jamais un moment où la nation islandaise a eu besoin de se serrer les coudes et de montrer sa détermination face à l'adversité, c'est celui-ci», a indiqué le politicien, en annonçant l'introduction de mesures spéciales pour permettre la reprise en main des principales banques par l'autorité financière du pays.

La croissance de ces établissements, a souligné M. Haarde, tenait presque du «conte de fées» jusqu'au moment où la crise est arrivée. Leurs dettes à l'étranger représentaient plus de cinq fois la production nationale brute du pays lorsqu'a commencé à se faire sentir le resserrement des crédits, les plaçant au pied du mur même s'ils avaient largement évité le piège des subprimes.

«Il y a un véritable risque... que l'économie islandaise, dans le pire des scénarios, soit entraînée avec les banques dans le tourbillon et que le résultat soit la faillite de l'État», a prévenu le premier ministre.

L'État tente depuis d'obtenir des prêts de l'étranger pour faire face à ses obligations. Mais la plupart des analystes se montrent sceptiques sur sa capacité à se tirer du marasme.

«Je pense que l'Islande est déjà en faillite... L'État, qui n'avait pas de dette, a agi de façon stupide. Ils auraient dû laisser les banques tomber et intervenir ensuite en injectant des capitaux pour relancer le système», souligne Daniel Gros, économiste de Bruxelles.

Comment les établissements bancaires d'une île de 300 000 habitants perdue dans le nord de l'océan Atlantique, longtemps centrée presque uniquement sur la pêche, ont-ils pu prendre une telle importance et faire du petit pays un acteur important de la finance mondiale?

La question s'impose en contemplant le coeur de Reykjavik, qui n'a rien de Wall Street. L'artère principale est un étrange croisement entre un village des Îles-de-la-Madeleine et une artère branchée du Plateau Mont-Royal, sur fond de mer et de cimes enneigées. Plusieurs maisons traditionnelles ont été converties en magasins hip, où sont proposés aux visiteurs des vêtements design, les plus récentes productions de musiciens internationalement reconnus comme Björk ou encore des bijoux «d'inspiration islandaise».

Dans les rues, des Range Rover, des Mercedes et des Porsche paradent aux côtés de tout-terrain utilisés par les agences de tourisme. Un quad vrombissant chevauché par un motard casqué vient parfois troubler le silence.

Selon Gretar Gudmundsson, journaliste économique au Morgenbladid, le quotidien le plus respecté de l'île, ces signes de richesse ostentatoire sont apparues il y a une dizaine d'années. Une classe de jeunes entrepreneurs, tirant profit de conditions de crédit favorables, s'est alors lancée dans des investissements ambitieux à l'étranger en réalisant des emprunts importants.

«Les radios et les télévisions soulignaient à quel point tout cela était prestigieux. Ils parlaient de ces hommes d'affaires comme des nouveaux Vikings», relate M. Gudmundsson, en relevant qu'il était très mal vu de critiquer l'action de cette élite de la finance.

Malgré les sonnettes d'alarme tirées par quelques économistes sur le bilan des banques et des entreprises, les mesures correctrices ne sont pas venues. «Le système de régulation n'a pas fonctionné», résumé M. Gudmundsson.

Aujourd'hui, les administrateurs les plus flamboyants se font discrets dans les médias. Bjorgolfur Bjorgolfsson, qui était le président du conseil d'administration de Landsbanki, deuxième banque du pays, est pratiquement invisible dans les médias.

«Dans un monde où des millions d'actifs sont en train de disparaître, il ne faut pas perdre son temps à relaxer dans un sofa pour bavarder avec des journalistes», a souligné à La Presse le porte-parole de l'homme d'affaires, Asgeir Fridgeirsson.

Le président du conseil d'administration d'une autre banque nationalisée a aussi refusé d'être interviewé. «Il n'est pas vraiment en état de parler... Il est très déçu de la manière dont les choses ont tourné», a commenté un ami.

Les Islandais se débattent pendant ce temps avec les conséquences de la crise. Comme le reconnaît le gouvernement dans un sombre bilan paru la semaine dernière, la situation économique a pris un "tournant marqué pour le pire" au cours des deux dernières semaines.

L'inflation, alimentée par l'effondrement de la couronne islandaise, approche les 15%, poussant un cran plus haut la note pour des produits importés déjà très coûteux. Au supermarché du centre-ville, un tube de Colgate de 75 ml se vend près de 6$. Et le reste est à l'avenant.

La crise de confiance entraîne un resserrement des crédits qui freine les projets de construction, notamment dans le secteur immobilier, en chute libre. «Tout est gelé. Et personne ne sait ce qui se passe vraiment», souligne un architecte de la capitale.

Bien que le gouvernement ait réussi à éviter une ruée sur les banques en intervenant la semaine dernière, la situation est loin d'être revenue à la normale.

Des restrictions ont notamment été imposées sur l'achat de devises étrangères et sur les transferts d'argent, de manière à éviter l'exode de capitaux vers l'étranger et faciliter la relance des établissements, recentrés sur leurs activités islandaises.

«Je ne peux pas envoyer d'argent chez nous, mais je comprends. Pour eux, la situation est difficile», relate Beata, Polonaise de 26 ans rencontrée à la sortie d'une succursale de Landsbanki, la seconde banque nationalisée la semaine dernière.

Les régimes de retraite ont aussi été durement touchés. «Les banques encourageaient fortement les gens à investir dans le marché boursier avant la crise», souligne M. Gudmundsson, du Morgenbladid.

Le gouvernement veut aujourd'hui relancer l'économie en se recentrant sur les ressources naturelles de l'île, «tant au sol qu'en mer».

La dévaluation de la couronne islandaise joue en faveur des pêcheurs, qui exportent la majorité de leur production. Idem pour l'industrie touristique, très développée. Les ressources énergétiques sont aussi abondantes.

«C'est vrai que nous nous tirons correctement d'affaire. Mais l'économie islandaise ne peut pas fonctionner avec une devise aussi faible», souligne Fridrik Arngrimsson, président de la Fédération des propriétaires de bateaux de pêche islandais.

Comme plusieurs de ses compatriotes, l'homme de 50 ans est encore sous le choc des événements des derniers jours.

«J'ai moi-même perdu toutes mes épargnes dans la crise. J'avais placé beaucoup d'argent dans les banques islandaises. Je n'ai pas pensé un instant qu'un tel scénario pouvait se produire... Tout ce qui pouvait mal tourner a mal tourné», dit M. Arngrimsson.