Même si un juge l'a reconnu coupable de fraude, l'avocat Jacques Matte peut librement continuer d'exercer son métier.

Même si un juge l'a reconnu coupable de fraude, l'avocat Jacques Matte peut librement continuer d'exercer son métier.

Selon Claire Moffet, responsable du droit professionnel au Barreau du Québec, un avocat n'est pas automatiquement radié du Barreau à moins d'avoir été déclaré coupable dans une affaire criminelle, essentiellement.

Or, Jacques Matte n'a pas été reconnu coupable de fraude dans un procès criminel, mais civil.

Rappelons les faits. Le 11 décembre dernier, la juge Marie St-Pierre a conclu que le promoteur immobilier Denis Charron et son avocat Jacques Matte ont détourné 11 millions de dollars pour leur propre bénéfice.

Jacques Matte a bénéficié de 4 des 11 millions, écrit la juge, après que l'argent ait transité dans un compte en Suisse, en 2001. Compte tenu du taux d'intérêt, les deux complices doivent aujourd'hui rembourser 31,2 millions aux victimes, notamment Claude L. Charron, le père de Denis Charron.

«Denis Charron et Jacques Matte ont posé divers gestes fautifs, de mauvaise foi, de nature à tromper autrui et à le frustrer dans ses droits ou dans ses intérêts: ils ont orchestré et exécuté un projet commun à des fins personnelles», a écrit la juge Marie St-Pierre.

Enquête du syndic du Barreau

Malgré ces conclusions tranchées, il appert que le Barreau ne radiera pas Jacques Matte prochainement.

«C'est un jugement civil. Ça ne prouve pas... Pour nous, malheureusement, la loi ne nous permet pas d'en tirer des conséquences immédiates. S'il avait été reconnu coupable de fraude au criminel, la radiation serait immédiate, puisque les dispositions législatives nous le permettent», nous dit Claire Moffet, du Barreau.

Pour le moment, tout indique que Jacques Matte fait néanmoins l'objet d'une enquête du syndic du Barreau.

«Le Barreau a été informé de ce dossier le 21 décembre (NDLR: après un appel de La Presse). Le syndic du Barreau a été saisi de l'information immédiatement. L'enquête est probablement en cour», a dit Mme Moffet, qui précise que l'ouverture ou non d'une enquête du syndic est confidentielle.

Si l'enquête est concluante, le syndic portera plainte au comité de discipline du Barreau, qui jugera alors de l'opportunité ou non d'imposer des mesures disciplinaires.

Pour son enquête, le syndic peut utiliser les documents déjà déposés en Cour supérieure dans l'affaire Charron, explique Mme Moffet, mais il doit tout de même monter son propre dossier de preuves.

«Un juge décide que Jacques Matte a commis une faute, qu'il y a des dommages et qu'il doit rembourser. On veut bien le reconnaître. Mais ce n'est pas parce que le juge a analysé ces faits que le syndic du Barreau ne doit pas faire enquête. Et la preuve qui a été déposée devant le tribunal, nous ne l'avons pas», a-t-elle expliqué.

La poursuite pour fraude de Claude L. Charron contre son fils Denis Charron et Jacques Matte remonte à 2001. Il a fallu plus de cinq ans au tribunal pour entendre la preuve et trancher. Le jugement fait une centaine de pages.

À la lumière de l'entretien avec Mme Moffet, il n'est pas possible de savoir combien il faudra de temps au Barreau pour conclure.

«Je ne connais pas le dossier. Une enquête peut aller très vite ou s'étirer dans le temps», a-t-elle dit.

Rappelons que Jacques Matte a été éclaboussé dans un autre scandale, celui du Marché central. Cette affaire, qui a fait les manchettes entre 1995 et 2001, a fait perdre plusieurs millions de dollars aux Soeurs du Bon Pasteur.

Dès 1997, le nom de Jacques Matte a commencé à circuler en lien avec le scandale du Marché central, dont les racines remontent à 1992.

En 2000, l'un des principaux instigateurs de cette fraude, Jean-Pierre Cantin, a affirmé que Jacques Matte avait participé à la production de plusieurs faux documents.

Le témoignage de Jean-Pierre Cantin, précisons-le, a été fait dans le cadre d'une procédure de faillite et n'a pas été prouvé en Cour.

Jeudi, Claire Moffet nous a indiqué que Jacques Matte n'a pas fait l'objet d'une plainte au comité de discipline, en dépit du témoignage du Marché central.

Mise en faillite possible

Denis Charron et Jacques Matte ont encore quelques jours pour en appeler du jugement de Marie St-Pierre. Les conclusions du jugement sont toutefois exécutoires quant aux sommes d'argent (31,2 M$).

Pour récupérer cet argent, Claude L. Charron et son avocat Luc Giroux n'excluent rien, pas même la mise en faillite de Jacques Matte et Denis Charron. Pour l'instant, ils font le décompte des saisies avant jugement, qui sont devenues exécutoires.

Advenant une faillite, Jacques Matte «deviendrait illico inhabile à exercer la profession d'avocat», a expliqué Claire Moffet, du Barreau. Au moment de mettre sous presse, Jacques Matte n'avait pas rappelé.