Quatre ans après son livre Des managers, des vrais! Pas des MBA, le professeur de McGill Henry Mintzberg persiste et signe.

Quatre ans après son livre Des managers, des vrais! Pas des MBA, le professeur de McGill Henry Mintzberg persiste et signe.

«Les MBA sont payants pour les universités. Pour les étudiants jeunes et ambitieux, ces diplômes sont des billets d'entrée en classe affaires. Prétendre que la gestion s'apprend sur les bancs d'école est une imposture», dit-il.

Or, malgré ses critiques, l'offre et la demande pour ces programmes continuent de croître.

Question: Que reprochez-vous aux programmes de MBA?

Réponse: Je tiens d'abord à préciser que mes reproches visent les programmes traditionnels de MBA auxquels les jeunes accèdent après quelques années sur le marché du travail, mais aucune expérience en gestion.

Mes critiques sont fondées sur le fait que le management est une combinaison de beaucoup d'expérience, d'une certaine dose d'art, et de science, mais pas beaucoup.

On développe ses qualités de manager, comme le leadership d'ailleurs, selon ses aptitudes naturelles et par l'expérience, par l'apprentissage sur le tas.

Même si le gestionnaire a besoin d'un peu de science - c'est à dire des connaissances systématiques issues de la recherche -, le management n'est pas une science, ni une profession comme le génie ou la médecine.

Dans ces deux domaines, l'expert bardé de diplôme peut presque toujours faire mieux que le profane.

En management, ce n'est pas le cas. On fait souvent beaucoup plus confiance à un manager qui n'a jamais mis les pieds dans une école de gestion qu'à un MBA qui n'a jamais mis les pieds dans l'usine et qui ne connaît pas ses produits et ses procédés de production.

Malgré cela, plusieurs entreprises n'hésitent cependant pas à confier des postes de direction à des jeunes sans expérience pour la seule raison qu'ils possèdent un MBA.

Il y a aussi certains responsables du recrutement qui se protègent en privilégiant des gens qui ont ce statut.

Q: C'est donc les critères d'admission que vous dénoncez?

R: Il y a plus. Les business schools prétendent créer des gestionnaires par la formation académique avec des jeunes qui ont d'excellentes notes mais qui n'ont pas d'expérience managariale.

Et ces jeunes, qui veulent être rapidement aux commandes, en viennent à croire qu'ils pourront être aux commandes sans avoir démontré leurs aptitudes managériales.

Le contenu des programmes traditionnels de MBA est par ailleurs beaucoup trop analytique, trop technique et trop axé sur les aspects mathématiques.

Demandez-vous quand était la dernière fois que vous avez vu un gestionnaire utiliser des méthodes statistiques?

En plus, la majorité de ces programmes utilisent encore la méthode des cas popularisée par la Harvard Business School il y a presque 100 ans.

Q: Qu'est-ce que la méthode des cas?

R: Elle consiste à apprendre aux étudiants à analyser une situation, à prendre position et à débattre entre eux de l'avenir d'une entreprise et des gestes à poser par ses dirigeants après avoir lu un document de 10 à 20 pages comprenant des textes et des chiffres qui résument sa situation.

Les étudiants peuvent réussir cet exercice en connaissant rien de l'entreprise, de son histoire, de sa culture et de son industrie!

John Kotter, un ancien professeur de Harvard a dit: «Mes étudiants prennent plus de décisions dans une seule journée d'étude de cas que la plupart des dirigeants qu'ils avaient étudié n'en prennent en un mois».

Comment un exercice de «cas» peut-il apprendre à décider? Les dirigeants efficaces font davantage que parler, convaincre et prendre des décisions. Ils sortent de leurs bureaux, s'impliquent en stimulant les autres. Ils voient, sentent, vivent et testent en direct.

Q: Cette formation a-t-elle un impact sur le style de gestion?

R: Certainement. Il conduit notamment des gens à prendre des décisions sur des enjeux qu'ils connaissent peu. George W. Bush (MBA, Harvard Business School, 1975) en est un exemple. Son processus de décision à propos de l'Irak a ressemblé à un exercice de «cas» dans cette école.

On ne peut certainement pas lui reprocher son indécision ou son manque de confiance. Le problème, c'est que la confiance, sans la compétence, conduit à l'arrogance, un reproche d'ailleurs souvent formulé envers les jeunes détenteurs de MBA.

Q: George W. Bush a un MBA de Harvard. Mais qu'en est-il est de ses autres diplômés célèbres?

R: En 2003, Joseph Lampel et moi avons étudié la performance des 19 MBA de Harvard ayant occupé les postes les plus élevés dans le monde des affaires cités dans le livre Inside the Harvard Business School, publié en 1990. Son auteur, David Ewing, y a étudié puis travaillé pendant 40 ans.

Nous avons suivi leur performance pendant ces 13 ans.

Dans ce groupe, 10 sur ces 19 avaient échoué. Soit que l'entreprise avait fait faillite, qu'ils avaient été évincés ou avaient dirigé une fusion qui avait mal tourné. Pour quatre autres, la performance n'était pas claire. Aucun de ces 14 n'avait laissé une entreprise florissante.

Seulement cinq de ces stars de Harvard avaient quitté leur poste sans avoir à rougir.

Depuis la parution de mon enquête, ni cette école, ni aucun chercheur des autres écoles d'administration, n'ont, à ma connaissance, commenté ou contesté ces données.

Q: Et d'où viennent les bons dirigeants?

R: Il y a une dizaine d'années, j'ai demandé à des personnes qui connaissent bien les milieux d'affaires des États-Unis de me dresser une liste des individus qu'ils considéraient comme de grands PDG, sur la durée.

Les noms qui revenaient les plus souvent étaient ceux de Bill Gates (Microsoft), Bob Galvin père (Motorola), Andy Grove (Intel) et Jack Welch (GE). Aucun d'entre eux n'a un MBA. Grove et Welch ont des PHD en génie chimique. Gates et Galvin n'ont pas de diplôme universitaire. Le fils Galvin, Chris (MBA), a dû quitter son poste chez Motorola

En 2003, Business Week publiait une liste des chefs d'entreprise les plus admirés par des MBA. On y trouvait Warren Buffet, Herb Kelleher, Michael Dell, Bill Gates et Oprah Winfrey. Toujours pas de MBA dans cette liste!

C'est une autre évidence qu'il n'y a pas de route unique, surtout pas de parcours académique idéal. C'est sur le terrain qu'il faut gagner ses galons.

Q: Plusieurs lecteurs ont un MBA. Sont-ils des causes perdues pour le management?

R: (Rires) Je ne dis pas que le MBA traditionnel est un diplôme dysfonctionnel qui ruine tous ceux qui l'obtiennent. On y apprend beaucoup de connaissances liées aux fonctions de l'entreprise, comme la finance et le marketing. Par contre, il ne faut pas croire que ce diplôme forme et prépare au management.

Aux jeunes qui ont ce diplôme ou qui aimeraient devenir manager, je dis: consacrez vos efforts dans une industrie que vous aimez. Si vous en avez le don, vous allez être choisis pour un poste de gestionnaire et vous y apprendrez le management.

Après, vous serez prêt à prendre part à des programmes de formation qui respectent et utilisent votre expérience. Vous serez prêts pour une autre genre de formation dont nous parlerons la prochaine fois.