À l'inverse de ceux qui rejettent toujours le blâme sur autrui, certaines personnes sont incapables de s'attribuer le mérite de leurs succès. Elles souffrent du syndrome de l'imposteur.

À l'inverse de ceux qui rejettent toujours le blâme sur autrui, certaines personnes sont incapables de s'attribuer le mérite de leurs succès. Elles souffrent du syndrome de l'imposteur.

Nancy Marquette (nom fictif) a connu une brillante carrière dans l'enseignement, notamment à titre de directrice d'école. Dans la cinquantaine, au lieu de prendre sa retraite, elle s'est lancée dans les affaires. Malgré ses allures de battante, elle n'a jamais cessé de douter d'elle tout ce temps.

«Même quand j'ai une simple conversation avec une personne, je ne peux m'empêcher de me demander si elle m'aime, si elle me trouve fine», constate Mme Marquette.

Pourtant, elle adore rencontrer des gens, et la plupart n'ont sûrement pas idée à quel point elle se fait du souci.

Quand elle était directrice d'école, elle cherchait toujours à valoriser ses employés. Mais elle-même, non.

Si les choses allaient bien, c'était grâce à tout le monde, sauf à elle. Effrayée à l'idée de faire des erreurs qui auraient pu révéler sa soi-disant incompétence, elle a mis en place un système de gestion participative. «Mon handicap s'est peut-être transformé en force à ce moment», dit-elle.

Hélène Douville, cofondatrice et associée principale de Groupe conseil DCA, a déjà donné des conférences sur le syndrome de l'imposteur.

«Les gens qui en sont atteints trouvent des moyens de faire avec, mais en leur for intérieur, ils se remettent constamment en question», souligne-t-elle.

En fait, le syndrome n'empêche pas la réussite professionnelle. Au contraire, plus une personne occupe un poste important, plus elle est à risque d'en souffrir, estime Mme Douville.

«Les chasseurs de tête nous parlent souvent de cas aux plus hauts échelons. Des présidents et des vice-présidents qui craignent de changer d'entreprise. Du coup qu'ils ne seraient pas à la hauteur.»

Selon Mme Douville, le syndrome s'observe souvent dans les discours des personnes qui reçoivent un honneur ou qui décrochent une promotion.

«À les entendre, elles n'ont rien à voir avec leur succès. Tout est dû à des circonstances extérieures, à leur chance de pouvoir compter sur une équipe talentueuse ou sur un conjoint hors pair par exemple.»

Le personnel au bas de l'échelle n'est pas épargné par un syndrome qui toucherait, d'après les experts, jusqu'à 70% des gens au cours de leur vie professionnelle. Stéfanie, 26 ans, a travaillé plusieurs années dans une pharmacie. Au bout de deux mois, elle était déjà responsable de la formation.

«Je me disais que c'était juste parce que le patron n'aimait pas l'autre employée qui aurait pu le faire.»

Comme Nancy Marquette, Stéfanie aime les défis. Malgré une peur bleue de décevoir son entourage, surtout ses patrons. Pourtant, tous jusqu'ici ont été très gentils, du genre à souligner ses bons coups.

«Ça ne change rien. De toute façon, je ne suis pas capable d'accepter les compliments», note-t-elle.

Le syndrome de l'imposteur est une appellation populaire, signale Marie-Claude Pélissier, psychologue en pratique privée. En effet, l'expression n'apparaît pas dans le DSM-IV, l'ouvrage de référence qui répertorie toutes les maladies mentales reconnues.

«Ça ne veut pas dire que ça n'existe pas», précise Mme Pélissier. Ainsi, comme clinicienne, elle le voit comme le symptôme d'un trouble plus général, typiquement relié à l'anxiété.

Essentiellement, la personne qui présente un syndrome de l'imposteur se préoccupe de bien faire, mais de manière nettement excessive.

«Les gens pensent que tout cela est dû à un manque de confiance en soi, affirme Mme Pélissier. Or, contrairement à la croyance populaire, le manque de confiance en soi est un résultat, et non une cause.»

Grandir avec l'environnement

On grandit dans un environnement qui nous porte à nous valoriser, ou non, explique la psychologue d'approche cognitivo-comportementale.

Autre conception erronée: le problème ne remonte pas nécessairement à la prime enfance.

«Oui, la personne peut avoir appris à se critiquer durement dès son plus jeune âge, mais parfois, elle peut avoir vécu du rejet, du taxage ou une situation humiliante à l'adolescence», remarque Mme Pélissier.

Heureusement, le syndrome de l'imposteur se soigne, généralement au moyen d'une thérapie. Mais l'entourage de la personne peut aussi jouer un rôle prépondérant.

Nancy Marquette affirme qu'elle «maîtrise» jusqu'à un certain point son problème d'estime de soi aujourd'hui. Grâce à une longue psychanalyse et beaucoup grâce à son conjoint. Et peut-être un petit peu grâce à elle aussi.