La crainte de voir dérailler la plus importante transaction par endettement de l'histoire a fait décrocher l'action de BCE (T.BCE) et semé la panique, hier. Pourtant, certains analystes considèrent qu'il s'agit en fait... de la meilleure nouvelle qui soit.

La crainte de voir dérailler la plus importante transaction par endettement de l'histoire a fait décrocher l'action de BCE [[|ticker sym='T.BCE'|]] et semé la panique, hier. Pourtant, certains analystes considèrent qu'il s'agit en fait... de la meilleure nouvelle qui soit.

«La catastrophe ne serait pas que la transaction échoue. Ce serait qu'elle se fasse», tranche Iain Grant, analyste en télécommunications au Seaboard Group, une firme de recherche en technologie.

Le consortium mené par Teachers' qui veut acheter BCE pour 52 milliards emprunterait 32 milliards pour mettre le grappin sur l'entreprise. Or, M. Grant est formel: dans le contexte actuel, affliger Bell Canada d'une dette de 32 milliards reviendrait à lui scier les jambes.

«Si la transaction a lieu, la direction de Bell sera très contrainte dans sa liberté et sa flexibilité. Quand vous êtes occupés à rembourser 30 milliards de dette, vous ne pouvez pas investir dans les vraies choses», dit M. Grant.

Et les vraies choses, selon l'analyste, c'est d'investir dans les infrastructures pour combattre Vidéotron. Un échec de la transaction, dit-il, "donnerait l'opportunité à Bell de faire les choses qu'elle doit faire".

L'agence de notation de crédit DBRS a fait savoir hier qu'advenant un échec de la transaction, elle ferait grimper la cote de crédit de BCE et de sa filiale Bell Canada dans la catégorie des investissements de qualité supérieure (strong investment grade), qui s'applique habituellement aux placements les plus sécuritaires. Si la transaction a lieu comme prévu, l'agence spécifie que la cote actuelle BB (basse) de BCE et Bell Canada demeurera inchangée.

Autre signe qu'un échec de la transaction amènerait davantage de flexibilité chez BCE: la banque Credit Suisse a spécifié hier qu'elle s'attend à un retour du dividende de l'entreprise et à un rachat d'actions de la part de BCE si le rachat par Teachers' échoue.

"La raison pour laquelle Teachers' voulait acheter Bell, c'est qu'elle croyait que l'entreprise n'était pas dirigée de façon suffisamment dynamique", rappelle l'analyste Iain Grant. Depuis, fait-il valoir, Bell Canada n'est plus la même entreprise. Elle a sabré 2500 postes administratif et a "installé de nouveaux gestionnaires dans à peu près chacune des positions-clé". "On a une société qui se prépare à devenir une machine à générer de l'argent", croit-il.

Carmi Levy, analyste indépendant du secteur des technologies de London, en Ontario, est quant à lui beaucoup moins optimiste quant aux perspectives de BCE. Et ce, même si la transaction avec Teachers' dérape.

«Toutes les routes sont mauvaises»

Selon lui, l'entreprise se doit d'investir à la fois dans ses réseaux filaires et dans ses infrastructures sans fil pour affronter la concurrence. Pour M. Levy, un échec de la transaction signifierait que BCE se retrouverait sans propriétaires capables de financer de tels projets. Mais il doute qu'en cas de rachat, le contexte de la crise du crédit et le niveau d'endettement de BCE permettent aux nouveaux proprios d'investir de toute façon...

«Toutes les routes sont mauvaises pour Bell actuellement», dit-il, soulignant que le meilleur scénario est probablement celui qui se conclura le plus rapidement et permettra enfin de lever l'incertitude sur l'entreprise.

L'incertitude est aussi ce qui inquiète Michel Ouimet, directeur québécois du Syndicat des communications, de l'énergie et du papier, qui a de toute évidence très hâte qu'on tourne la page sur toute la saga du rachat de BCE.

«On est encore pris avec le même problème, le même climat d'incertitude et d'inaction», déplore-t-il. Il souligne que ses membres sont aussi actionnaires de BCE, et que le nouveau plongeon en Bourse hier ajoute à leur crainte.

Souhaite-il un rachat par Teachers' ou un échec de la transaction? «En juin 2007, on avait manifesté notre inquiétude de voir qu'un groupe dans lequel on trouve des partenaires américains mettaient la main sur Bell. Depuis, on s'était un peu fait à l'idée. Aujourd'hui, si vous me demandez quel est le meilleur scénario, honnêtement, je ne le sais pas. Il y a trop de facteurs là-dedans. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on est aussi inquiets qu'avant.»

Décembre 2006

BCE renonce à transformer Bell Canada en fiducie de revenu.

Février 2007

BCE écarte les offres d'achat menée respectivement par Teachers' et par le Régime des pensions du Canada (RPC).

Avril 2007

BCE fait volte-face et annonce qu'elle «examine les possibilités stratégiques qui s'offrent à elle en vue d'améliorer davantage la valeur offerte aux actionnaires». L'action vaut près de 40$, soit une hausse de 25% en moins d'un mois.

Juin 2007

Trois groupes présentent des offres formelles à BCE: Cerberu, un consortium mené par le RPC et le groupe Teachers'.

30 juin 2007

Avec une offre de 42,75$ par action, Teachers' gagne les enchères.

Septembre 2007

Les actionnaires acceptent l'offre d'achat dans une proportion de 97%.

Août 2007

L'inquiétude suscitée par la crise du crédit fait glisser l'action de BCE aux alentours de 38$.

Janvier 2008

Les porteurs de débentures soutiennent que la transaction affecte la valeur de leurs titres de dettes et poursuivent BCE.

Mars 2008

La Cour supérieur rejette les arguments des porteurs de débentures. Ils interjettent appel.

Avril 2008

Le titre de BCE est plombé en Bourse par des rumeurs voulant que le prix offert par Teachers' sera révisé à la baisse.

Mai 2008

La décision de la Cour supérieur est renversée par la Cour d'appel du Québec qui donne raison aux porteurs de débentures. L'action de plonge.

Juin 2008

La Cour suprême casse la décision de la Cour d'appel.

BCE en un coup d'oeil

Activités : plus grande entreprise de télécommunications au Canada, comme société mère de Bell Canada

Siège social : Montréal

Effectifs : 54 000 employés

Chiffres d'affaires : 17, 8 milliards (12 mois terminant 30 septembre 2008)

Bénéfice net : 3,3 milliards (12 mois terminant 30 septembre 2008, incluant un bénéfice exceptionnel lié à la vente de Telesat)

Valeur boursière : 20,34 milliards

Offre d'achat convenue avec Teachers' et associés : 34,5 milliards (42,75$ par action)

Valeur totale de la transaction: 51,7 milliards (dette incluse)

Source : Bloomberg