Le comédien Gilles Latulippe et l'homme d'affaires Placide Poulin n'ont apparemment rien en commun. Pourtant, un événement malheureux meublerait une soirée de conversation: ils ont tous les deux perdu une fortune en investissant offshore dans les projets du financier Luc Verville.

Le comédien Gilles Latulippe et l'homme d'affaires Placide Poulin n'ont apparemment rien en commun. Pourtant, un événement malheureux meublerait une soirée de conversation: ils ont tous les deux perdu une fortune en investissant offshore dans les projets du financier Luc Verville.

Leur triste histoire a pris racine au début des années 2000. Elle est récemment devenue publique par l'entremise des tribunaux, l'une en Beauce et l'autre à Montréal, où des poursuites ont été intentées.

Gilles Latulippe a perdu les 455 000$ investis auprès de Luc Verville, selon un jugement, tandis que Placide Poulin et ses deux partenaires y ont laissé un million de dollars.

Placide Poulin est le fondateur du fabricant de baignoires MAAX, de Beauce, un fleuron québécois vendu à une firme privée, en 2004.

Ces deux personnalités ne sont pas les seules à avoir perdu gros dans cette affaire. Un grand nombre d'investisseurs et de créanciers des régions de Montréal, de Québec et de la Beauce y ont laissé plus de 20 M$, selon divers documents déposés devant les tribunaux (notes 1 à 4).

Le scénario des investisseurs est on ne peut plus typique. Attirés par des rendements mirobolants, ils ont investi dans les projets mis de l'avant par un promoteur convaincant, Luc Verville.

Leurs fonds ont d'abord été canalisés vers des firmes de la Barbade, dans les Caraïbes, à l'instigation de Luc Verville, selon divers témoignages et documents en Cour (1 à 6).

Une grande partie de l'argent a ensuite été utilisée, parfois à l'insu des investisseurs, dans un ambitieux projet de service ambulancier par avion, à Dorval, qui s'est avéré un fiasco (1, 4, 5, 6). L'entreprise s'appelait Hastings Aviation.

Après le Théâtre des Variétés

Les déboires financiers de Gilles Latulippe sont racontés dans un jugement rendu en février 2007. L'affaire concerne principalement son fils, l'ex-avocat Olivier Latulippe (2).

Tout a commencé fin 1999, début 2000. Devant la fermeture imminente du Théâtre des Variétés, Olivier Latulippe décide de travailler pour le compte de Luc Verville, pour qui il recueille des fonds.

En janvier 2000, donc, il convainc une femme de Varennes, Nathalie Tardif, d'investir 161 000$ dans les projets de Luc Verville, dans les Antilles. Le rendement promis est de 28,5% et le taux est garanti, lui promet-on (2).

Le comédien Gilles Latulippe y met personnellement 455 000$, dont la moitié vient de ses REER, selon le jugement. Certains amis d'Olivier Latulippe se laissent également tenter par l'aventure, y plaçant chacun entre 38 000$ et 575 000$.

Pour faire fructifier l'argent, Luc Verville disait investir à partir de la Barbade dans de petites firmes privées appelées à s'inscrire en Bourse. Le gain obtenu, à l'abri de l'impôt, était soi-disant réalisé grâce à l'appréciation des titres une fois en Bourse (1, 2).

Au cours de la première année, Nathalie Tardif a touché certains intérêts. Mais pour des raisons obscures, la source s'est rapidement tarie et à l'échéance du prêt, en janvier 2002, le capital n'était plus disponible. Les autres investisseurs ont également tout perdu.

Nathalie Tardif a donc poursuivi Olivier Latulippe en 2005, après de longues démarches hors cour. Elle l'accuse d'avoir utilisé son titre d'avocat pour lui soutirer de l'argent et d'avoir fait des manoeuvres frauduleuses.

Pour se défendre contre la poursuite, Olivier Latulippe raconte au juge que Luc Verville disait être un «grand manitou» de la finance.

«Il était convaincant, affichait beaucoup de richesses et donnait plusieurs exemples de gains importants réalisés au fil des ans (...) Aux derniers bureaux où il oeuvrait, à Dorval, il avait un parc d'hélicoptères avec l'emblème d'une de ses compagnies (NDLR: Hastings Aviation)», rapporte le juge Jean-Pierre Chrétien.

En février 2007, le juge conclut que M. Latulippe n'avait aucune intention frauduleuse et le blanchit. Ayant cautionné certains investissements, Olivier Latulippe doit plus tard déclarer faillite.

Pour sa part, Luc Verville s'en tire indemne. En fait, il n'est pas visé par la poursuite, puisque Mme Tardif n'a pas fait affaire directement avec lui, mais avec son intermédiaire, Olivier Latulippe. Affaire classée.

Des messages ont été laissés sur la boîte vocale de Gilles Latulippe, mais nos appels n'ont pas reçu d'échos. Quant à Olivier Latulippe, son avocat n'a pas répondu à nos messages et sa secrétaire nous a fait savoir qu'il n'avait pas de commentaires.

Sources et références

(1) Poursuite en cours de Plarida contre Stéphane Rail et TD Securities. Défense de Stéphane Rail de février 2007, Cour supérieure, Beauce, 350-17-000 053-044.

(2) Jugement de la Cour supérieure, Longueuil, Nathalie Tardif contre Olivier Latulippe, février 2007, 505-17-002 084-053.

(3) Poursuite pendante de Hermann Cloutier contre TD Evergreen et al, Cour supérieure, Québec, 200-05-016 533-023.

(4) Proposition concordataire de Hastings Aviation, automne 2001, 500-11-016 563-013

(5) Entretien avec Pierre Morency, consultant de Luc Verville dans la proposition de Hastings Aviation, novembre 2007

(6) Relevés de compte et documents de Nathalie Tardif transmis à La Presse

(7) Poursuite de Louis-Robert Lemire contre La Financière Hastings et Crystal on Track, Montréal, 500-05-064 626-011

(8) Entretien téléphonique avec l'avocat Serge Racine, janvier 2008

(9) Poursuite en cours de Carole Pharand contre Sébastien Mecca et Frank Mastrocola, Laval, 540-22-010 062-064

(10) Poursuite pendante de Luigi et Francesca D'Alessandro contre Mecca, Mastrocola, Bridge Management Barbados et Opus Trust Barbados, Montréal, 500-17-033 631-063

(11) Interrogatoire de Roberto Pistilli, février 2005, dans le cadre d'une poursuite en cours de Carmine Petosa et al contre Roberto Pistilli et al, Montréal, 500-17-021 322-048

(12) Documents de faillite d'Acamex Capital, octobre 2004, Laval, 540-11-003 490-044

(13) Communiqué de presse de la CVMQ, 16 décembre 1999

(14) Avis de faillite de Luc Verville, 4 novembre 2003, et jugement de libération de faillite, septembre 2005, 450-11-000 220-032

(15) Actes de vente, registre des immeubles, Stanstead, Canton de Magog