Il faisait chaud au Salon aéronautique de Farnborough, en 2006. Le soleil plombait et la chaleur était telle qu'elle faisait sauter les génératrices qui alimentaient les divers pavillons. Les pompiers avaient même dû intervenir à quelques reprises pour éteindre des débuts d'incendie.

Il faisait chaud au Salon aéronautique de Farnborough, en 2006. Le soleil plombait et la chaleur était telle qu'elle faisait sauter les génératrices qui alimentaient les divers pavillons. Les pompiers avaient même dû intervenir à quelques reprises pour éteindre des débuts d'incendie.

Il faisait beaucoup plus frais cette semaine au salon de Farnborough 2008. Il y a eu de grandes périodes ensoleillées, mais il y a aussi eu de gros nuages gris, menaçants, qui laissaient présager l'éclatement d'un violent orage.

La température à l'événement biennal reflète assez fidèlement l'état de l'industrie aéronautique mondiale. En 2006, l'industrie était en pleine euphorie. Les pays émergents alimentaient des commandes impressionnantes en aviation commerciale, l'aviation d'affaires était en pleine croissance et avec la guerre au terrorisme, l'aviation militaire se portait très bien, merci.

Cette année, l'atmosphère était plus tristounette. Une sourde inquiétude a sous-tendu toutes les conversations. La perspective d'un ralentissement économique aux États-Unis, la mauvaise santé des transporteurs américains, la flambés de prix du carburant, il n'y avait rien pour sauter de joie. Et pourtant, les commandes étaient au rendez-vous.

«Pour nous, c'est probablement le meilleur salon au point de vue des commandes après celui du Bourget l'année dernière», a lancé le directeur commercial d'Airbus, John Leahy, vers la fin de l'événement.

Airbus a engrangé des commandes pour 256 appareils, soit 247 commandes fermes et neuf options, pour une valeur de 40,5 milliards de dollars US.

Du côté de Boeing, on parle de commandes de 22,6 milliards pour 190 appareils.

«Faut-il être gai, faut-il être triste? s'est interrogé Richard Aboulafia, analyste de la firme de consultation américaine The Teal Group. Les chiffres sont bons au niveau des commandes, mais tout le paysage est terrible, les données économiques sont mauvaises. Et si vous n'êtes pas un transporteur du Moyen-Orient, vous n'allez pas bien du tout.»

Les commandes les plus spectaculaires ont en effet été passées par des entreprises de cette région.

DAE Capital, la branche financière de Dubai Aerospace Enterprise, a passé une commande pour 100 appareils d'Airbus pour 12,6 milliards de dollars. Etihad Airways, d'Abu Dhabi, a commandé 55 appareils Airbus et 55 appareils Boeing alors que le transporteur à rabais FlyDubai a commandé 50 appareils Boeing.

«Au bout du compte, nous sommes rendus à plus de 400 commandes, a souligné M. Aboulafia en entrevue. Pourquoi ne sommes-nous pas euphoriques? C'est que l'économie inquiète.»

Le président et chef de la direction d'Embraer, Frederico Fleury Curado, a affirmé que l'industrie commence à ressentir un ralentissement aux États-Unis.

«Ailleurs, il y a des signes précurseurs», a-t-il déclaré.

Mais pour l'instant, Embraer n'enregistre pas d'annulations de commandes ou de reports. Et si l'aviation d'affaires semble ralentir aux États-Unis, elle connaît encore un grand essor à l'extérieur du continent nord-américain.

«Mais ça risque de ne pas durer», a dit craindre M. Curado.

Le spectre du ralentissement

Pluiseurs entreprises québécoises redoutent également le spectre du ralentissement, mais pour l'instant, l'atmosphère n'est pas lugubre.

Bombardier a lancé le bal dimanche à la veille de l'ouverture officielle du salon, avec le lancement de sa fameuse CSeries.

«C'est un lancement prometteur, même si on ne parle que d'un client, Lufthansa, et d'une lettre d'intérêt plutôt que de commandes fermes», a noté Richard Aboulafia.

Il croit toutefois que Bombardier devra se trouver d'autres clients d'ici quelques mois, à défaut de quoi, le lancement de la CSeries aura un petit air prématuré. Bombardier n'a annoncé que deux commandes fermes au cours du salon, soit deux Q400 pour le transporteur canadien Porter, d'une valeur de 52 millions. Pour sa part, juste avant et pendant le salon, Embraer a annoncé des commandes de 562 millions de dollars pour 15 biréacteurs régionaux, alors que Sukhoi a fait le plein avec des commandes de 750 millions pour 25 biréacteurs Superjet.

Des entreprises québécoises ont également alourdi leur carnet de commandes, comme CAE, avec des contrats civils et militaires de 128 millions, et Héroux-Devtek, avec une entente de 57 millions avec Bell Helicopter Textron Canada.

Bell Helicopter ne ressent d'ailleurs aucun ralentissement: le marché de l'hélicoptère est en plein essor en raison du marché du remplacement, mais aussi en raison de l'activité accrue dans l'industrie des ressources naturelles et dans celle de l'exploration pétrolière. Les affaires vont également bien dans le transport d'entreprise et les services policiers et médicaux.

«Nous avons eu une croissance annuelle de 10 à 12% au cours des quatre dernières années et on prévoit la même chose au cours des quatre, cinq, six prochaines années», a commenté le président de Bell Helicopter Textron Canada, Jacques Saint-Laurent.

Ça tourne rond également du côté de Pratt&Whitney Canada (P&WC). L'entreprise, qui a fabriqué plus de 3000 moteurs l'année dernière, devrait passer le cap des 4000 moteurs cette année.

«Nous allons être le motoriste qui produit le plus de moteurs par année dans l'industrie», a affirmé en entrevue le président de P&WC, Alain Bellemare.

Le premier vice-président, John Saabas, a ajouté qu'on commençait à sentir un ralentissement dans l'industrie, mais pas en ce qui concerne les moteurs.

«Il n'y a pas moins d'avions, mais il y a moins d'heures de vol», a-t-il affirmé.

De son côté, Robert Brown, le président et chef de la direction de CAE, estime que le pessimisme latent s'explique parce que les gens se concentrent trop sur ce qui se passe aux États-Unis. Par comparaison, le Moyen-Orient est en pleine expansion, a-t-il fait remarquer à La Presse.

---

Tout le monde était Canadien

Lorsque le grand patron d'Embraer, Frederico Fleury Curado se penche pour serrer la main de la journaliste de La Presse, la carte d'accréditation au Salon aéronautique de Farnborough qu'il porte au cou tourne sur elle-même et laisse voir une feuille d'érable rouge et le nom Canada.

M. Curado serait-il subitement devenu canadien?

Non, c'est que le gouvernement canadien s'est payé pour 37 000$ quelques panneaux publicitaires et, en prime, une petite publicité très visible. Au verso de la carte d'accréditation que doivent porter 30 000 exposants et journalistes, le gouvernement invite les participants au salon à visiter le stand du Canada et à consulter le site Internet du gouvernement canadien destiné aux investisseurs étrangers. Mais à première vue, on a l'impression que tous les exposants et les journalistes sont canadiens.

---

Moins de pollution et de bruit

Un autre grand thème a coloré le Salon aéronautique de Farnborough, le vert de l'environnement.

Pratiquement toute la publicité faite sur les lieux et dans les quotidiens spécialisés portait sur les avantages environnementaux des divers produits. On a promis des moteurs et des avions moins énergivores, qui émettent moins d'émissions polluantes et qui font moins de bruit.

Selon Randy Tinseth, vice-président au marketing des avions commerciaux chez Boeing, le resserrement des normes environnementales représente un défi pour l'industrie aéronautique, mais aussi une occasion à saisir.

«Comme industrie, nous n'avons pas fait du bon travail pour faire valoir les améliorations que nous avons apportées au cours des 40 dernières années, a-t-il affirmé en entrevue à La Presse Affaires. L'efficacité énergétique des avions est de 70% supérieure à ce qu'elle était et on a réduit l'empreinte sonore de 90%. Nous ne contribuons qu'à 2% des émissions de carbone dues à l'homme, mais il faut faire plus.»

Le bon côté, c'est que les transporteurs aériens devront remplacer les vieux appareils polluants, ce qui représente une bonne occasion. M. Tinseth voit l'avenir avec optimisme.

«Fondamentalement, après la restructuration, lorsque l'économie va repartir, le transport aérien reprendra sa croissance et les transporteurs redeviendront profitables, a-t-il promis. Le cycle reprendra à la hausse.»