Gérald Lemoyne n'a pas froid aux yeux. L'hiver dernier, cet homme de 58 ans et trois de ses amis ont chevauché leur motoneige et traversé d'ouest en est le Nord-du-Québec, de la Baie-James à Fermont. Guidés par un navigateur GPS, ils ont dormi dans des camps abandonnés ou dans de profonds trous qu'ils ont creusés dans la neige.

Gérald Lemoyne n'a pas froid aux yeux. L'hiver dernier, cet homme de 58 ans et trois de ses amis ont chevauché leur motoneige et traversé d'ouest en est le Nord-du-Québec, de la Baie-James à Fermont. Guidés par un navigateur GPS, ils ont dormi dans des camps abandonnés ou dans de profonds trous qu'ils ont creusés dans la neige.

Mais cette expédition d'une dizaine de jours semble prudente à côté de l'aventure dans laquelle le maire de Lebel-sur-Quévillon compte s'embarquer.

Avec l'appui d'investisseurs, Gérald Lemoyne souhaite racheter l'usine de pâte de Domtar fermée depuis 28 mois et donner un nouveau souffle à sa ville.

«Si on attend après Domtar, on n'en verra pas la fin», dit le maire. Cet homme posé qui porte la barbe broussailleuse d'un sage est convaincu de pouvoir rentabiliser l'usine pour laquelle son fils Francis et lui travaillaient.

C'est un pari osé, que d'aucuns qualifient d'insensé. «Si Domtar pouvait exploiter l'usine à profit, ils ne seraient pas assez fous pour ne pas le faire», juge Benoît Laprade, analyste pour la firme de courtage Scotia Capital.

Mission impossible? Non, a conclu le comptable Maurice Boutin, de la firme Raymond Chabot Grant Thornton, dans le rapport confidentiel de 175 pages qu'il a remis au ministre québécois des Ressources naturelles à l'automne 2006.

«Le défi de la relance est d'une envergure exceptionnelle», prévenait-il toutefois.

Gérald Lemoyne s'accroche à cet espoir. Surtout que le prix de la pâte fabriquée par l'usine beige et bleu qui surplombe le lac Quévillon s'approche de son sommet de 1995.

De haute qualité, la pâte Kraft blanchie de résineux du nord sert à solidifier des papiers de qualité moindre, comme le papier recyclé. La pâte NBSK, comme on l'appelle dans le jargon, se détaille 880 $ US la tonne, alors qu'elle valait près de 650 $ US la tonne à l'arrêt de l'usine, à l'automne 2005.

«Cette hausse de prix s'explique par une réduction significative de l'offre, notamment grâce à la fermeture de Lebel-sur-Quévillon», note toutefois l'analyste Pierre Lacroix, de Desjardins Valeurs mobilières. Bref, en relançant son usine, Lebel-sur-Quévillon risque paradoxalement de se tirer dans le pied.

Il n'y a malheureusement pas que le prix de vente de la pâte qui a augmenté. Ses coûts de production aussi. Le prix de la fibre (50% des coûts) et celui de l'essence ont bondi, tandis que le dollar canadien s'appréciait par rapport au billet vert - il valait seulement 85 cents US lorsque Domtar a fermé l'usine.

En raison de ces coûts élevés, la production de Lebel-sur-Quévillon se destine au marché nord-américain. Ainsi, l'usine est hautement sensible aux difficultés que traversent les États-Unis.

Sur ce marché, la pâte NBSK fait aussi face à la concurrence de pâtes kraft de feuillus, des pâtes moins chères qui servent de plus en plus de substitut.

Or, de nouvelles usines construites en Amérique du Sud, qui produisent avec un effectif réduit de forts volumes de pâte à base d'eucalyptus et de pin radiata, accentuent encore la pression sur les prix de toutes les pâtes commerciales.

Dans le contexte, Lebel-sur-Quévillon n'a guère le choix. Elle doit réduire les coûts de main-d'oeuvre de son usine, l'une des moins productives au monde, conclut le comptable Maurice Boutin après analyse d'usines comparables au Canada, en Europe et en Scandinavie.

Gérald Lemoyne le sait pertinemment. Mais il croit que la solution qui était préconisée par Domtar lorsque l'entreprise a fermé l'usine, une coupe à vif dans l'effectif, n'est pas la seule. Le maire croit pouvoir atteindre des résultats semblables en réduisant les congés et les heures de travail supplémentaires, entre autres.

«On n'échappera pas complètement aux coupes de poste», concède toutefois le maire Lemoyne.

Outre les pourparlers qu'il devra mener avec le syndicat, le maire Lemoyne doit aussi négocier auprès du gouvernement québécois un approvisionnement en copeaux pour l'usine.

Non seulement cet approvisionnement doit-il être suffisant pour que l'usine puisse tourner toute l'année, mais il devrait idéalement coûter moins cher de par sa proximité.

«Le gouvernement nous a toujours assurés que ce n'est pas l'approvisionnement qui bloquerait la relance si tous les autres éléments étaient en place», dit Gérald Lemoyne.

Reste un autre problème qui n'est pas un détail: trouver une société opérante qui gérera l'usine, puisque la mairie n'a pas l'intention de se substituer au secteur privé. Mais comme l'industrie est amochée par les temps qui courent, les repreneurs ne courent pas les rues.

Gérald Lemoyne est convaincu que Domtar céderait l'usine pour une bouchée de pain. Uniquement au cours des six premiers mois de 2006, les coûts fixes en arrêt de l'usine se sont élevés à 27 M$, d'après le comptable Maurice Boutin.

Celui-ci a calculé que même après le départ subséquent de la majorité des cadres, Domtar doit encore débourser autour de 18 millions par année.

Le président et chef de la direction de Domtar, Raymond Royer, a refusé de discuter avec La Presse de la relance de Lebel-sur-Quévillon. Son porte-parole, Michel Rathier, a toutefois affirmé que «si les gens ont des projets, nous sommes preneurs et ouverts à toute éventualité».

Même si Domtar donnait son usine, tout repreneur devrait investir entre 30 et 40 millions de dollars pour repartir la machinerie qui s'empoussière depuis plus de deux ans. Et si feu vert il y avait, il s'écoulera encore un délai de trois à six mois avant que la production ne redémarre.

C'est ce qui fait dire à plusieurs qui rêvent de retrouver leur ancien emploi que, d'ici à ce que ce miracle se produise, il vaut mieux se recycler en mineur ou chercher du travail ailleurs.