Brett Hickey entre dans le restaurant d'un pas confiant. Cheveux gominés, complet impeccable, il a toutes les caractéristiques d'un financier typique de Wall Street. Ses affaires sont encore bonnes, mais partout autour de lui, c'est la débandade.

Brett Hickey entre dans le restaurant d'un pas confiant. Cheveux gominés, complet impeccable, il a toutes les caractéristiques d'un financier typique de Wall Street. Ses affaires sont encore bonnes, mais partout autour de lui, c'est la débandade.

«Beaucoup de mes amis ont quitté la ville, raconte le Canadien de 30 ans, installé à New York depuis six ans. Mon bureau est seulement à un pâté de l'immeuble de Lehman Brothers. Les gens marchent comme des zombies dans la rue, ils ont l'air désespérés, les yeux éteints.»

M. Hickey espère profiter de la déroute actuelle pour faire des acquisitions à moyen terme avec sa firme d'investissement, Aegis Capital Group. Dans l'immédiat, toutefois, la crise frappe l'industrie financière de plein fouet à Manhattan. Les pertes d'emplois se comptent par dizaines de milliers.

Jessi Walter a été l'une des premières victimes de la déconfiture. La New-Yorkaise a navigué pendant cinq ans dans les plus hautes sphères de la finance comme vice-présidente à la banque d'affaires Bear Stearns jusqu'à la faillite, inattendue, en juin dernier.

«J'aimais vraiment ce que je faisais, dit-elle à La Presse Affaires. J'ai reçu quelques offres après avoir perdu mon emploi, mais rien ne m'intéressait. J'ai interprété ça comme un signe.»

Pour Mme Walter, le «signe» a pris la forme... d'un gâteau. Elle a lancé officiellement la semaine dernière Cupcake Kids!, une petite boîte qui offre des cours de cuisine aux enfants. Un boulot sans lien avec la finance, qui la satisfait pour le moment.

Alexandre Tzenev a lui aussi quitté une autre banque en faillite -Lehman Brothers-, mais de son propre chef. Sentant venir les problèmes en avril dernier, il a accepté un poste d'assistant au vice-président chez le réassureur Swiss Re à New York.

Le jeune homme a rencontré plusieurs de ses ex-collègues au cours des dernières semaines. Ceux qui ont conservé leur poste n'ont aucune idée de ce qu'il adviendra de leur gagne-pain, à la suite de la prise de contrôle de Lehman par Barclay's. Chose certaine, leurs perspectives d'emploi sont loin d'être bonnes à court terme dans le secteur exsangue de la haute finance new-yorkaise.

«Les marchés sont tellement difficiles que c'est mort partout, dit M. Tzenev. Je ne pense pas que les banques vont embaucher avant que les marchés ne reprennent. C'est dramatique.»

Réputation entachée

À l'opposé des banques, l'agence de notation Moody's n'a certainement pas d'employés en trop ces jours-ci. Ses analystes font des tonnes d'heures supplémentaires pour produire des rapports expliquant la décote de telle ou telle institution financière.

John Lonski, économiste en chef de Moody's, nous reçoit dans son bureau vitré du 27e étage du 7, World Trade Center, à quelques dizaines des mètres des ex-tours jumelles. Les effets de la crise actuelle sont déjà bien visibles, fait-il valoir. "On va au centre commercial dans les environs de New York et les gens ne dépensent plus! Ça a empiré depuis la déconfiture de Lehman Brothers à la mi-septembre."

L'économiste reconnaît que la réputation de Wall Street a été sérieusement entachée. Et pour longtemps. Pour rétablir la confiance, il faudra que les instruments financiers appelés à prendre le relais du papier commercial adossé à des actifs (PCAA), par exemple, soient ancrés dans une réalité économique beaucoup plus concrète, dit-il.

«On n'autorisera plus des physiciens et des mathématiciens à créer tous seuls des stratégies d'investissement, avance M. Lonski. Ils devront être assistés par des gens qui ont beaucoup d'expérience dans la gestion de portefeuilles plus traditionnelle. C'est une des grandes erreurs que les gens de l'industrie ont faites, d'avoir une confiance aveugle dans ces modèles statistiques compliqués qui devaient normalement prévoir le risque.»

Brett Hickey, président d'Aegis Capital Group, croit pour sa part qu'une simplification de l'information financière permettra de rétablir, du moins en partie, la confiance ébranlée des investisseurs.

«Moi, je la comprends, mais est-ce que monsieur et madame Tout-le-Monde comprennent? dit M. Hickey, attablé dans un chic restaurant de Midtown. Il faudrait mieux informer les gens, de façon simple.»

Pour l'heure, l'incertitude continue à ébranler les marchés et à attirer une foule nombreuse devant l'immeuble de la Bourse de New York, sur Wall Street. Encore hier, des dizaines de touristes, quelques manifestants et de nombreux journalistes s'activaient devant l'imposante bâtisse, a-t-on constaté en mi-journée.

Le cirque devrait se poursuivre jusqu'à la fin de la semaine, puisque la Chambre des représentants ne se prononcera pas avant demain sur la version amendée du plan de sauvetage de 700 milliards US rejetée lundi.