Avec un dollar à 118 yens, Toyota pouvait financer une nouvelle usine automobile tous les six mois rien qu'avec ses gains de change.

Avec un dollar à 118 yens, Toyota pouvait financer une nouvelle usine automobile tous les six mois rien qu'avec ses gains de change.

Mais avec un billet vert qui vient de plonger sous les 100 yens, la belle vie est finie pour les exportateurs japonais.

Pour la première fois depuis plus de 12 ans, le dollar a plongé jeudi sous les 100 yens, un seuil qui a souvent constitué dans le passé une «ligne rouge»: le billet vert faisait-il mine de s'en approcher que le Trésor japonais, à coups d'interventions musclées, le faisait remonter prestement.

Un achat massif de dollars par Tokyo est cependant «extrêmement improbable» cette fois-ci, note Glenn Maguire, économiste à la Société Générale.

D'abord parce qu'il a été démontré que ce type d'intervention ne sert pas à grand chose.

Ensuite, selon M. Maguire, parce que «le commerce extérieur japonais a changé profondément ces dernières années», les États-Unis étant devenus un client moins important qu'avant pour les exportateurs nippons.

Reste que, selon un sondage effectué par le quotidien Nikkei auprès de 77 chefs de grandes entreprises au Japon, 64% d'entre eux craignent une chute de leurs profits à cause de la remontée en flèche du yen.

«Le yen fort va frapper de plein fouet l'industrie exportatrice du Japon», prédit Yuji Shimanaka, économiste chez Mitsubishi UFJ Research and Consulting.

«Cela va inciter les manufacturiers à freiner leur production», poursuit-il, ajoutant que «c'est une situation très critique à court terme».

Les constructeurs automobiles et le secteur électronique seront les plus touchés, même si les premiers ont dopé ces dernières années leur production aux États-Unis pour se mettre à l'abri des fluctuations du dollar.

«À chaque fois que le dollar perd ou gagne un yen, le bénéfice annuel de Toyota perd ou gagne 35 milliards de yens», calcule Tatsuya Mizuno, analyste chez Fitch Ratings.

Avec un dollar à moins de 100 yens, «l'impact pour l'entreprise va être énorme», prévient-il.

Selon un calcul du quotidien Nikkei, la croissance économique du Japon sera amputée de 0,2 point de pourcentage si le dollar reste aux alentours de 100 yens, et de 0,4 point s'il plonge jusqu'à 95 yens.

L'organisation patronale Nippon Keidanren a appelé vendredi les grandes banques centrales du monde à mener une action concertée pour faire remonter le dollar.

Avec un taux directeur de seulement 0,50%, la Banque du Japon dispose pour sa part d'une marge de manoeuvre quasiment nulle.

Le record historique est de 79,75 yens pour un dollar.

Il avait été atteint le 19 avril 1995, aggravant la crise économique qui frappait alors le Japon après l'éclatement de la bulle spéculative immobilière des années 1980.

De nos jours, «les conditions sont beaucoup plus stables, sans les souffrances de l'ère d'après la bulle», tempère Richard Jerram, économiste chez Maquarie Securities, qui ne se déclare «pas excessivement pessimiste».

Pour Noriko Hama, économiste à la Doshisha Business School de Kyoto, «si les forces du marché agissent librement, nous nous dirigeons vers les 80 yens pour un dollar». Ce qui, selon elle, ne serait pas forcément une catastrophe.

«Le yen faible était une situation qui n'était ni bonne, ni soutenable pour l'économie. C'était une situation artificielle générée par les bas taux d'intérêt au Japon», argumente-t-elle.

«Les taux de change avaient grand besoin d'être normalisés. La normalisation, c'est un dollar à 100 ou même à 80 yens», insiste Mme Hama, qui accuse les entreprises nippones de manque de préparation car «au Japon, on a tendance à croire que prévoir le pire revient à tenter le diable».