Le commerce équitable n'est plus l'apanage d'une poignée de rêveurs en quête d'un monde meilleur. Depuis quelques années, les ventes mondiales de produits équitables fracassent des records. En 2007, elles ont connu une hausse de 47%. En plus du café, on trouve maintenant des fleurs coupées, des ballons de soccer, des vins et des jeans équitables. Portrait d'un mouvement auquel même des géants comme Wal-Mart ne peuvent échapper.

Le commerce équitable n'est plus l'apanage d'une poignée de rêveurs en quête d'un monde meilleur. Depuis quelques années, les ventes mondiales de produits équitables fracassent des records. En 2007, elles ont connu une hausse de 47%. En plus du café, on trouve maintenant des fleurs coupées, des ballons de soccer, des vins et des jeans équitables. Portrait d'un mouvement auquel même des géants comme Wal-Mart ne peuvent échapper.

Ces jours-ci, dans 26 de ses magasins du Québec, Wal-Mart offre à ses clients du café certifié équitable vendu sous la marque Nelligan. N'en déplaise à ses détracteurs, le numéro 1 mondial du commerce de détail fait même d'une pierre deux coups: le café Nelligan est torréfié à Montréal par une entreprise d'économie sociale appelée Transit, qui emploie près de 120 personnes handicapées.

Wal-Mart avait déjà tenté, sans grand succès, il y a quelques années, l'expérience du café équitable dans ses magasins québécois. Vu la popularité grandissante de ce genre de produits, cette fois devrait être la bonne, croit Yanik Deschênes, porte-parole de Wal-Mart Canada.

Laure Waridel, écosociologue, cofondatrice d'Équiterre et pionnière du commerce équitable au Québec, s'interroge sur l'association Wal-Mart-produits équitables. Les façons de faire du géant du commerce de détail, dit-elle, vont à l'encontre des normes du commerce équitable, lesquelles font notamment la promotion de la liberté d'association et de syndicalisation.

«C'est un paradoxe. En même temps, une fois dans un Wal-Mart, il vaut mieux que les gens achètent un café équitable qu'un café ordinaire. Mais plus globalement, il faut s'interroger sur les pratiques de cette entreprise-là, qui contribuent à l'appauvrissement des pays du Sud.»

Wal-Mart, qui a fermé son magasin de Jonquière parce que des employés voulaient se syndiquer, se défend de vouloir redorer son image en offrant des produits équitables. «On est l'agent du client. Et si ce client veut un produit, c'est notre devoir de le mettre sur les tablettes. Un des objectifs du virage vert que Wal-Mart a entrepris est d'offrir un maximum de produits bons pour la planète», explique Yanik Deschênes.

Diversification

Même si le café demeure le produit équitable le plus répandu et le plus connu (au Canada, les ventes de ce type de café ont été multipliées par six depuis 2003), l'offre de produits équitables, qui sont originaires d'une centaine de pays en développement, ne cesse de se diversifier.

Dans la plupart des supermarchés (Metro, Loblaws, etc.), il n'est plus rare de trouver du thé, du sucre, du riz et autres épices portant le logo TransFair, certifiant qu'ils sont bel et bien équitables. Le fait que Wal-Mart et les grandes surfaces en alimentation offrent de tels produits est plutôt révélateur. Les chiffres relatifs au commerce équitable le sont tout autant.

Selon le rapport annuel 2007 des Fairtrade Labelling Organizations (FLO), l'organisme néerlandais qui chapeaute une vingtaine de sous-organismes d'accréditation, dont TransFair au Canada, les ventes au détail de produits équitables à l'échelle planétaire ont atteint l'an dernier près de 4 milliards de dollars (dont plus de 1 milliard pour le café seulement). Une goutte d'eau dans l'océan du PIB mondial, qui se mesure en milliers de milliards de dollars.

N'empêche que le chiffre d'affaires mondial du commerce équitable est en hausse constante depuis 2003. Au Canada, où ce type de commerce représente un marché d'environ 150 millions, la croissance annuelle frise les 50% depuis cinq ans.

L'offre de produits agroalimentaires équitables va même plus loin que la simple relation vendeur-consommateur. Des entreprises de transformation achètent des ingrédients dits équitables pour fabriquer, par exemple, leurs yogourts. Et pas nécessairement pour se donner bonne conscience.

Depuis un an et demi, le fabricant de yogourts Liberté intègre du sucre équitable produit au Panama, entre autres dans ses yogourts biologiques. La PME de Candiac ne le crie pas sur les toits. «Ce type de sucre est plus cher, mais c'est un choix. Ça fait partie d'une mission sociale que l'entreprise s'est donnée. Nous voulons faire du bien à des gens que nous ne connaissons pas», résume Martin Valiquette, président de Liberté.

Après les produits portant la mention «sans gras trans» ou «sans OGM», assisterons-nous à la venue de nouvelles étiquettes arborant des messages du genre «contient du sucre équitable»? «Ça ne m'étonnerait pas», croit Jacques Nantel, professeur en commerce de détail à HEC Montréal.

D'ailleurs, M. Nantel ne serait pas non plus surpris que le phénomène équitable provoque des abus. «L'expression certifié équitable est une marque déposée, mais pas le mot équitable. Et c'est ça qui peut poser problème. Il faut donc ouvrir les yeux avant d'acheter ce type de produit», dit-il.

Jeans

C'est avec les produits agroalimentaires que le commerce équitable a véritablement pris son envol. Or, voilà que le textile, l'horticulture et les boissons alcoolisées se mettent de la partie. En effet, des jeans équitables seront offerts cet automne dans quelques boutiques du Québec, d'Ontario et du Nouveau-Brunswick.

L'initiative en revient à Conscience équitable, un OSBL de Saint-Césaire. Le coton utilisé dans le denim vient du Burkina Faso, et les jeans sont assemblés au Québec, dans un atelier syndiqué (il va sans dire) près de Victoriaville. Il s'agirait du tout premier jean équitable fabriqué au Canada. Chaque pantalon sera vendu environ 95$. Ces jeans portent le logo de TransFair.

L'achat de fleurs coupées est moins prisé en Amérique du Nord qu'en Europe. Il n'en demeure pas moins possible de trouver des fleurs équitables chez un fleuriste près de chez soi. Elles sont offertes sous le nom Eco Sierra par l'entreprise Sierra Flower Trading, de Saint-Laurent, l'un des plus importants distributeurs de fleurs coupées au Canada. Ces fleurs, vendues environ 10% plus cher que le produit conventionnel, proviennent surtout d'Amérique du Sud. Même si elles sont cultivées dans des coopératives où les employés et l'environnement sont respectés, selon Tom Leckman, président de Sierra Flower Trading, les végétaux Eco Sierra ne sont pas certifiés par TransFair.

Le secteur vinicole n'échappe pas lui non plus au mouvement équitable. Depuis peu, la SAQ vend un vin portant la mention équitable. Vendu 17,20$, le Winds of Change est un vin rouge d'Afrique du Sud. Même s'il arbore le logo de TransFair, donc qu'il provient d'un vignoble certifié équitable, la SAQ ne le catégorise pas comme un vin équitable, mais bien un vin «agrobiologique». Ce type de produit est appelé à se multiplier dès 2009, explique Linda Bouchard, porte-parole de la SAQ.

Diversifié et plus prisé que jamais, le commerce équitable devra aller au-delà des consommateurs s'il veut réellement exploser, croit Laure Waridel. «Les gens savent que leurs choix de consommation peuvent faire une différence. Il faut maintenant que nos gouvernements s'en mêlent. Mais pour ça, nous devons élire un gouvernement qui a une vision», dit-elle.