L'échec du rachat de BCE (T.BCE) par Teachers' et ses partenaires ne signifie pas la fin de ce feuilleton qui s'étire depuis plus de 17 mois. Loin de là.

L'échec du rachat de BCE [[|ticker sym='T.BCE'|]] par Teachers' et ses partenaires ne signifie pas la fin de ce feuilleton qui s'étire depuis plus de 17 mois. Loin de là.

Un bras de fer juridique se dessine dans ce dossier, alors que BCE "exigera" le paiement d'une indemnité de rupture de 1,2 milliard de dollars de la part de Teachers' et de ses partenaires américains. Ceux-ci estiment au contraire ne pas avoir un cent à payer puisqu'une des conditions de la transaction de 52 milliards -un test de solvabilité- n'a pas été remplie.

«Il est très malheureux que BCE nous menace d'un litige au sujet de l'échec d'une condition de clôture qu'elle a elle-même insisté pour inclure dans l'entente originale d'acquisition, a indiqué Teachers' dans une déclaration écrite. Dans ces circonstances, il est très clair qu'aucune des deux parties n'a droit à une indemnité de rupture.»

BCE a divulgué il y a deux semaines avoir échoué à un test de solvabilité réalisé par KPMG, ce qui avait fait chuter de 34% son titre à la Bourse de Toronto. Dès lors, la plupart des analystes avaient déclaré la transaction cliniquement morte. La date limite de clôture a été atteinte hier, détruisant les derniers espoirs qui auraient pu subsister.

BCE n'a pas indiqué de manière formelle son intention de poursuivre le consortium d'acheteurs. Mais l'entreprise s'est donnée un outil en obtenant un avis de la firme comptable PricewaterhouseCoopers sur sa solvabilité, lundi dernier. Un avis qu'elle pourrait opposer à celui de KPMG devant un tribunal pour tenter d'obtenir un dédommagement, estiment des analystes.

«Si BCE croit avoir une cause assez solide pour poursuivre Teachers' et gagner en Cour, alors c'est une possibilité qu'elle obtienne l'indemnité, en tout ou en partie», a avancé Troy Crandall, expert en télécoms chez MacDougall, MacDougall&MacTier.

Le tribunal pourrait aussi juger la cause irrecevable et refuser de lancer un procès, ajoute M. Crandall. «Je suis sûr que BCE est déjà en négociations avec Teachers'. La première étape, c'est toujours de tenter d'en arriver à un accord mutuel.»

Avis prématuré?

George Cope, grand patron de BCE depuis juillet dernier, devrait en dévoiler un peu sur sa stratégie aujourd'hui.

Tout ce qu'on sait des arguments de BCE pour l'instant, c'est qu'elle estime que l'avis de résiliation de la transaction lui a été livré «prématurément». Teachers' et ses partenaires ont envoyé le document mercredi soir, quelques heures avant la date limite de clôture d'hier. BCE considère donc l'avis «invalide» et estime avoir droit à l'indemnité de rupture de 1,2 milliard prévue au contrat.

«Étant donné ces circonstances, nous ne serions pas surpris de voir cela se diriger vers un litige», a remarqué l'analyste Jeffrey Fan, d'UBS, dans un rapport.

De leur côté, les actionnaires pourraient décider de lancer un recours collectif contre Teachers', ses partenaires, et même contre BCE pour obtenir un dédommagement. Ils avaient approuvé à 97% la vente de BCE, attirés par la généreuse offre de 42,75$ l'action, nettement au-dessus du cours moyen de 25$ à 30$ des années précédentes. Les employés de Bell, qui détiennent pour la plupart des titres, pourraient être du lot.

«On va suivre ça de proche, car s'il y a des recours, on imagine que tout notre monde va rentrer là-dedans», a indiqué Michel Ouimet, vice-président à la direction du SCEP-Québec, qui représente 20 000 travailleurs de Bell.

Greg MacDonald, analyste à la Financière Banque Nationale, doute toutefois que les procédures judiciaires -si elles sont déclenchées- produisent un résultat. Selon lui, l'entente signée au départ entre BCE et Teachers' était claire quant à l'importance de l'avis de solvabilité livré par KPMG. La possibilité d'un procès «est plus du bruit qu'un risque réel», a-t-il écrit.

Longue saga

La vente du fleuron canadien des télécommunications défraie les manchettes depuis deux ans déjà et se lit comme un véritable feuilleton. Avant d'accepter l'offre de Teachers' et ses partenaires (Madison Dearborn, Providence Equity Partners et Merrill Lynch) en juin 2007, BCE avait tenté de se transformer en fiducie de revenu, puis a été l'objet d'intenses rumeurs d'une fusion avec Telus.

Une fois leur entente conclue, BCE et ses acquéreurs avaient dû convaincre les actionnaires, les gouvernements et les autorités de la concurrence du bien-fondé de la transaction. Ils ont ensuite traversé une longue bataille juridique avec les détenteurs d'obligations, gagnée à minuit moins une en Cour suprême.

L'avortement de la transaction -le plus gros rachat par endettement de l'histoire canadienne-apparaît assez ironique à l'analyste Troy Crandall. «C'est comme le héros qui réussit à combattre tous les ennemis pour finalement mourir en trébuchant.»

Iain Grant, expert en télécoms au SeaBoard Group, estime néanmoins que l'échec du rachat est tout à fait positif, surtout que l'entreprise ne sera pas enchaînée par une lourde dette de plus de 32 milliards. «C'est une bonne nouvelle pour l'industrie, pour Bell et pour ses employés, et probablement une mauvaise nouvelle pour les concurrents de Bell.»