Le chef de la direction de Rio Tinto, l'Américain Tom Albanese, multiplie les visites au Québec depuis quelques semaines.

Le chef de la direction de Rio Tinto, l'Américain Tom Albanese, multiplie les visites au Québec depuis quelques semaines.

En rencontre avec des journalistes dans les locaux de La Presse, M. Albanese a précisé les projets du géant britannique envers la province: plus d'aluminium, mais toujours pas de transformation.

Le ralentissement américain n'effraie pas Rio Tinto, dit-il, pas plus que les appétits de sa concurrente, BHP Billiton.

Forcée de reporter un projet d'aluminerie en Afrique du Sud, Rio Tinto Alcan veut maintenant devancer l'agrandissement de son usine d'Alma pour profiter de la forte demande mondiale pour l'aluminium.

«Nous avons l'intention de devancer et d'accélérer l'étude de faisabilité d'Alma 2», a fait savoir lundi le grand patron de Rio Tinto, Tom Albanese, lors d'une entrevue avec La Presse Affaires.

L'agrandissement de l'usine d'Alma permettrait de faire passer la production annuelle de 400 000 tonnes à 570 000 tonnes.

Il s'agit d'un investissement de plus d'un milliard de dollars qui fait partie des investissements de 2 milliards que l'entreprise a promis de réaliser au Québec d'ici 2016 en échange de la reconduction de ses droits hydrauliques au Saguenay.

C'est le report probable du projet de construction d'une méga-aluminerie d'une capacité de 720 000 tonnes par année en Afrique du Sud qui pourrait favoriser la construction de la deuxième phase de l'usine d'Alma.

Tom Albanese a expliqué que Rio Tinto Alcan ne peut plus compter sur un approvisionnement en énergie fiable pour son projet d'aluminerie Coega.

«L'Afrique du Sud avait des surplus d'énergie qui se sont transformés en pénurie à cause d'une demande très forte.»

Cette crise énergétique a poussé la direction de l'entreprise à examiner des solutions de rechange, parmi lesquelles l'aluminerie d'Alma a été retenue, a-t-il précisé.

Rio Tinto entreprendra donc les études de préfaisabilité du projet et a l'intention de mener cette étape rondement.

«Alma est une des alumineries les plus modernes d'Alcan et se prête bien à une expansion», a précisé M. Albanese. Selon lui, il s'agit maintenant de mettre à jour les coûts de construction de cette expansion, compte tenu de la hausse du prix de l'acier depuis deux ans, et de s'assurer que l'usine a un approvisionnement suffisant en énergie.

Selon des informations qui ont circulé, l'usine agrandie pourrait être prête en 2010, mais M. Albanese a refusé hier de donner plus de détails à ce sujet.

Inaugurée en 2002, l'usine d'Alma est la plus récente des alumineries du Québec. Pour l'alimenter en énergie, Alcan peut compter sur l'énergie qui sera libérée par la fermeture de deux de ses plus vieilles usines, à Beauharnois et à Shawinigan et sur un bloc supplémentaire d'électricité d'Hydro-Québec octroyé par le gouvernement.

L'agrandissement de l'usine d'Alma est la pièce maîtresse de l'entente conclue entre la direction d'Alcan et le gouvernement du Québec en décembre 2006.

En vertu de cette entente, Alcan s'est aussi engagée à construire une usine pilote pour mettre à l'essai sa technologie AP 50, qui devrait permettre de réduire encore les coûts de production de l'aluminium.

Devenue propriétaire d'Alcan depuis, Rio Tinto assure que tous ces engagements seront respectés. «Le Saguenay est un centre global d'excellence dans la production d'aluminium et nous allons le conserver ainsi.»

Pas de transformation

En plus de renouveler les droits hydrauliques qu'Alcan possède au Saguenay, le gouvernement du Québec a accepté d'aider l'entreprise financièrement et fiscalement et surtout, il a renoncé à obliger Alcan à investir dans la transformation de l'aluminium.

Lundi, le chef de la direction de Rio Tinto Alcan a répété que malgré les efforts faits par Alcan, notamment dans une usine de pare-chocs qui a fermé ses portes, la réalité est que le Québec est situé trop loin des marchés pour ces produits à valeur ajoutée.

La disponibilité de l'énergie électrique au Saguenay reste selon lui, le principal avantage comparatif du Québec. «Nous allons bâtir à long terme sur cet avantage, a-t-il dit. C'est bon pour Rio Tinto, c'est bon pour le Québec et c'est bon pour la région.»

Rio Tinto Alcan a l'intention de pousser plus loin ses efforts de recherche-développement en matière énergétique, afin de produire plus d'aluminium avec la même quantité d'énergie.

Selon Tom Albanese, l'hydroélectricité du Québec - et celle d'Alcan, prendra encore plus de valeur quand le marché accordera un prix au carbone.

Avant Alcan, Tom Albanese connaissait le Québec à cause de QIT-Fer et titane, une filiale de Rio Tinto. Située à Sorel, QIT transforme le minerai d'ilménite en pigments de titane utilisés dans toutes sortes d'industries, dont celle de la peinture.

Moins connues, ces activités sont néanmoins très importantes pour Rio Tinto, a assuré Tom Albanese, qui en été le responsable entre 2000 et 2004.

Quelque 250 millions viennent d'être investis à l'usine de Sorel pour lui permettre de traiter le minerai de la nouvelle mine d'ilménite de Rio Tinto située à Madagascar.

C'est aussi à Sorel que Rio Tinto a concentré toutes ses activités de recherche-développement en matière de titane.

Quel ralentissement mondial?

À l'heure où l'économie américaine s'embourbe et les experts évoquent la possibilité d'une récession mondiale, le grand patron de Rio Tinto dit dormir sur ses deux oreilles.

C'est qu'il prévoit qu'à l'autre bout de la planète, l'appétit des Chinois pour ses métaux continuera d'être fort.

«Nous ne planifions pas ralentir le rythme de nos activités au cours de l'année. Nous voyons une forte demande internationale pour nos produits, et cela inclut l'aluminium» a lancé lundi Tom Albanese en entrevue à La Presse Affaires.

Le chef de la direction de Rio Tinto a même évoqué la fameuse théorie du «découplage» des économies, selon laquelle les Chinois n'attrapent plus nécessairement la grippe chaque fois que les États-Unis toussent.

«Nous serions d'accord avec la théorie du découplage, a dit Tom Albanese. Je ne dirais pas que cela veuille dire que la Chine est complètement isolée des États-Unis, mais je dirais qu'il y a un tampon entre les deux.»

En allocution devant le Cercle canadien de Montréal, M. Albanese a ajouté lundi que l'essor de l'économie chinoise ne dépend plus des exportations vers les États-Unis. «Il est maintenant dicté par la demande interne résultant de l'industrialisation et de l'urbanisation», a-t-il dit.

«Aussi importants que soient les États-Unis dans l'économie mondiale, leur influence sur la demande internationale de métaux et de minéraux n'est plus ce qu'elle était», constate le dirigeant.

Dans sa boule de cristal, M. Albanese voit le PIB chinois grimper encore de 10% cette année.

«Oui, cela représente une baisse de la croissance si on considère le chiffre très fort de 11,5% en 2007. Mais c'est quand même 10% suffisamment fort pour poursuivre la croissance de la demande globale pour tout ce que nous produisons.»

Question de bien faire comprendre son message, M. Albanese a rappelé qu'en 2006, les Chinois avaient consommé environ le quart de l'aluminium mondial. Un an plus tard, cette proportion est passée au tiers.

En cette période de volatilité des marchés, le chef de la direction de Rio Tinto a invité à «prendre du recul, inspirer profondément et évaluer la situation d'ensemble».

Il admet que bon nombre d'investisseurs inquiets ont laissé tomber leurs actions de produits de base au cours des dernières semaines pour se tourner vers les obligations et le marché monétaire, ce qui a créé des «pressions considérables».

«Néanmoins, le prix de la plupart des marchandises que produit Rio Tinto demeure à un niveau que n'aurions même pas espéré il n'y pas si longtemps», a-t-il dit.