Chicago, ou la ville des vents. Dans les milieux d'affaires, la métropole du Midwest américain porte son surnom à merveille en raison des vents de droite qui proviennent du département d'économie de l'Université de Chicago.

Chicago, ou la ville des vents. Dans les milieux d'affaires, la métropole du Midwest américain porte son surnom à merveille en raison des vents de droite qui proviennent du département d'économie de l'Université de Chicago.

La célèbre école d'économistes de Chicago ne jure que par le libéralisme et les lois du marché depuis les années 1950. Plus que jamais, elle a gagné son duel idéologique contre les Keynésiens, qui prônent l'interventionnisme de l'État.

James Heckman est professeur au département d'économie de l'Université de Chicago, le repaire informel des disciples de Milton Friedman.

Le triomphe modeste

Il est aussi l'une de leurs têtes d'affiche depuis qu'il a remporté le prix Nobel d'économie, en 2000. Pourtant, il a le triomphe modeste.

Il ne renie pas les enseignements de son mentor Milton Friedman, décédé en novembre dernier. Au contraire. Mais les temps ont changé, explique-t-il.

«L'école de Chicago que vous décrivez n'existe plus. Nous disions que l'économie est une science très subtile et que l'État ne sait pas intervenir sans créer de distorsions. Cet argument est un peu trop fort aujourd'hui», dit James Heckman au cours d'une entrevue exclusive accordée à La Presse Affaires en marge de la Conférence Montréal la semaine dernière.

Rappel historique

«George Stigler et Milton Friedman ont commencé leurs travaux dans les années 1940 alors que la théorie de Keynes était à son apogée, rappelle M. Heckman. On disait que les lois du marché ne fonctionnaient pas.»

On n'avait qu'à regarder tous les chômeurs pendant la dépression des années 30. Keynes avait trouvé une façon d'expliquer ces événements - en partie, mais tout de même. Puis, l'école de Chicago a voulu éduquer les gens sur la valeur des encouragements financiers. Notre théorie a parfois pris des proportions extrêmes. Sigmund Freud disait qu'il fallait exagérer pour réussir dans la vie. Il avait raison! »

Avec le temps, les économistes de Chicago se sont assagis. «L'école de Chicago a la réputation d'être contre toute forme d'intervention de l'État, mais Friedman était partisan des écoles publiques, dit M. Heckman. Je ne crois pas à un gouvernement imposant (big government) mais je crois que le gouvernement a un rôle à jouer dans plusieurs domaines, que ce soit dans la construction de routes et d'infrastructures, en santé ou en éducation.»

Si l'école de Chicago est prête à avouer certains de ses péchés, elle affirme néanmoins que ce sont les interventionnistes qui iront en enfer!

«On dit que la route vers l'enfer est pavée de bonnes intentions, dit M. Heckman à la blague. Les do-gooders (les interventionnistes) ont des intentions louables, mais ils ne comprennent pas toujours la nature du problème. Si on ne sait pas exactement quel est le problème, c'est difficile de trouver la bonne solution. Le gouvernement doit prendre ses précautions et bien mesurer les conséquences de ses interventions dans l'économie.»

James Heckman ne manque pas d'exemples pour appuyer ses dires. «Hausser le salaire minimum semble être la bonne chose à faire pour les travailleurs, dit-il. Pourtant, tous les économistes savent que ça réduit le nombre d'emplois. Les États-Unis et l'Europe ont trouvé une meilleure solution: subventionner les emplois à faible salaire et mettre sur pied des mesures pour inciter les assistés sociaux à retourner au travail.»

Droits de scolarité

Le professeur de l'Université de Chicago s'attaque ensuite au mythe des droits de scolarité peu élevés comme instrument de justice sociale.

«Les étudiants qui bénéficient de cette politique sont ceux des familles riches, ceux qui ont fréquenté les meilleures écoles, dit-il. Les enfants qui proviennent de milieux plus modestes et qui ont abandonné l'école au secondaire n'en tireront pas un sou. Ça semble bien beau en théorie mais ça ne réduit pas les inégalités sociales.»

James Heckman sait de quoi il parle: sa théorie sur l'analyse statistique des décisions économiques lui a valu le prix Nobel d'économie.

«Cette théorie permet de mieux comprendre et mesurer les effets des interventions gouvernementales, dit-il. J'étais très surpris de recevoir cet honneur aussi tôt dans ma carrière. Pour être franc, je ne sais pas si c'est ma meilleure théorie. Je ne suis pas sûr de mériter ce prix, mais ce fut quand même un soulagement. Beaucoup de mes collègues au département d'économie de l'Université de Chicago l'ont déjà gagné.»

Son prix Nobel a changé sa vie. Enfin, pas complètement. Invité aux quatre coins du monde afin de partager son savoir, il n'arrive toujours pas à se faire servir convenablement par les compagnies aériennes. La semaine dernière, il est arrivé à Montréal sans ses bagages avec six heures de retard, à 4 h du matin.

Il a quand même tiré un bénéfice de sa mésaventure. «Ma valise contenait de vieux habits que je devais remplacer de toute façon, dit-il. Mais ma femme n'était pas contente, car elle avait des vêtements neufs!» dit-il en riant.