Les forêts de l'Indonésie sont déchirées entre deux forces économiques. L'une qui rase les arbres pour planter des palmiers, l'autre qui veut protéger la jungle et vendre le carbone qu'elle renferme.

Les forêts de l'Indonésie sont déchirées entre deux forces économiques. L'une qui rase les arbres pour planter des palmiers, l'autre qui veut protéger la jungle et vendre le carbone qu'elle renferme.

Des tourbières de Kalimantan aux salles climatisées de la récente conférence sur le climat de Bali, La Presse Affaires est allée constater l'avancement de ces deux économies de la forêt en Indonésie.

Aujourd'hui, elle vous présente les ravages faits par la première... parfois au nom de l'écologie.

Le chauffeur de taxi s'en tapait les cuisses. «Vous venez du Canada et vous allez à Kalimantan? Vous rigolez! À Kalimantan? Mais pourquoi? Il n'y a rien là-bas, tout est rasé. Restez à Bali, c'est bien plus beau!»

Kalimantan est la partie indonésienne de l'île de Bornéo - un nom qui suffit à faire surgir les images de jungles impénétrables, de rivières sauvages et de tribus reculées. Un nom qui évoque l'un des derniers territoires vierges de la planète.

Oubliez ces clichés. Aujourd'hui, à moins d'avoir un faible pour la destruction ou de raffoler du riz blanc, il y a très peu de raisons de se rendre à Kalimantan. Les palmiers ne manquent pas, remarquez bien.

Mais ici, ils poussent en rangées bien droites, encadrés de clôtures et surveillés par les gardes des compagnies qui les font pousser pour leur huile.

Les arbres de la jungle? Pendant quatre jours, La Presse Affaires a sillonné la province de Kalimantan Centre en voiture et en bateau.

Pendant quatre jours, hormis les palmiers, les seuls arbres aperçus étaient soit brûlés dans les champs, soit chargés sur des barges en train de descendre des rivières boueuses.

Yuli, 34 ans, a pourtant quitté l'île de Java où il est né pour venir ici. Il travaille pour ce que nous appellerons ici la «première économie de la forêt» de son pays.

Son collègue Nurdin et lui tiennent chacun une extrémité d'un sac de jute éventré recouvert de fruits de la taille d'une prune.

Un regard en guise de signal, et hop! Les deux hommes balancent les fruits en l'air. Juchés sur un camion, deux autres travailleurs les reçoivent et les répartissent dans la benne.

Ces fruits seront ensuite conduits à l'usine de pressage la plus proche, où on en extraira une huile qui sera exportée aux quatre coins de la planète. Ils ont été récoltés des arbres qui recouvrent les terres aussi loin que porte le regard : des palmiers à huile.

L'Indonésie est en voie de devancer son voisin malaisien comme premier producteur mondial d'huile de palme. Une première place, disent aujourd'hui les organisations écologistes, qui se gagne au prix d'une autre: le pays affiche aussi le taux de déforestation le plus rapide de la planète.

L'huile de palme? Vous n'avez qu'à ouvrir votre garde-manger ou votre pharmacie pour comprendre pourquoi elle est l'huile végétale la plus consommée au monde. Il y en a dans les croustilles Pringles et le savon Dove; les pizzas McCain et la crème Oil of Olay; le fromage Philadelphia et le shampoing Timotei.

Mais la substance possède une autre propriété: elle produit plus d'énergie quand on la brûle que n'importe quelle autre huile végétale. Comme le maïs des États-Unis et la canne à sucre du Brésil, les palmiers de l'Indonésie se sont fait happer par la fièvre des biocarburants.

On ne peut pas fabriquer d'éthanol avec l'huile de palme. Mais on peut en faire du biodiesel. L'Indonésie, le seul pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole à acheter plus de pétrole qu'il n'en vend, y a vu un moyen de réduire ses importations.

Pour l'Union européenne, qui s'est engagée à utiliser 10% de biocarburants pour ses transports d'ici 2020, l'huile de palme a fait figure de Saint-Graal environnemental. En 2006, 2,6 millions de tonnes d'huile de palme ont été chargées dans des bateaux en direction du Vieux Continent.

Le prix de l'huile de palme est parti en flèche il a gagné 50% l'an dernier et a plus que doublé depuis trois ans. La Malaisie et l'Indonésie, qui contrôlent 90% de la production mondiale, surfent depuis sur une vague économique qui ne fait que grossir.

«Mon restaurant est toujours plein», a dit à La Presse Affaires Aja Barsiah, qui exploite un petit boui-boui à Parenggean, un village entouré de six plantations de palmiers à huile.

Une huile que l'on s'arrache. Du carburant propre qui pousse dans les arbres. Des emplois et des dollars qui déferlent sur les régions les plus pauvres de pays qui en ont bien besoin.

Qui dit mieux?

«L'huile de palme est le cadeau qu'a donné Dieu à la Malaisie. Et c'est le cadeau que donne la Malaisie au monde», peut-on lire sur le site web du Malaysian Palm Oil Council - un organisme voué à la promotion de l'huile de palme.

Sauf qu'on a fini par découvrir que le cadeau est empoisonné.