Le recul des exportations, l'affaiblissement de l'économie américaine et l'assèchement sévère des liquidités entraveront la bonne marche de notre économie l'an prochain.

Le recul des exportations, l'affaiblissement de l'économie américaine et l'assèchement sévère des liquidités entraveront la bonne marche de notre économie l'an prochain.

Elle risque toutefois moins de tomber en récession que celle de l'Ontario, aux prises avec la crise structurelle de l'industrie automobile, elle-même aggravée par l'appétit moins boulimique du consommateur américain.

Pour la 32e édition annuelle des Boules de cristal, le quartet d'économistes consultés par La Presse prévoit que l'expansion de la société distincte en 2008 oscillera entre 1,4% et 2,0%.

Ce sera moins que la croissance moyenne d'un océan à l'autre une fois encore, mais peut-être davantage que ce que vivront nos voisins du Sud.

Tant pour le Québec, le Canada que pour les États-Unis, 2008 marquera un ralentissement par rapport à cette année. C'est un phénomène normal, si nous nous trouvons au milieu d'un cycle économique.

Les risques de récession sont toutefois sérieux chez l'Oncle Sam, mais trois de nos panélistes ont bon espoir qu'elle pourra être esquivée.

La force de la demande intérieure permettra au Québec et au Canada dans son ensemble de progresser, malgré de nouveaux reculs sur le front des exportations.

«Nous avons perdu 300 000 emplois dans le secteur manufacturier au Canada depuis 2002, mais, au net, il y a 1,4 million de travailleurs de plus, fait remarquer François Dupuis, vice-président et économiste en chef au Mouvement Desjardins. Ça veut dire qu'il s'est créé 1,7 million d'emplois ailleurs.»

En 2008, l'économie va pouvoir occuper les nouveaux venus sur le marché du travail. Les taux de chômage moyens canadien et québécois pourront demeurer très près de leurs creux historiques des derniers mois.

«La part du secteur manufacturier dans la taille de l'économie reste stable aux environs de 15,1%, note Maurice Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal. L'économie canadienne se restructure à grande vitesse et ça va dans le bon sens.»

La main-d'oeuvre écartée des usines pose évidemment un défi que l'État devra relever avec un peu plus d'imagination qu'il n'en a fait preuve jusqu'ici (voir autre texte).

«Les manufacturiers devront s'habituer à vivre avec un dollar qui s'échangera entre 95 et 105 cents américains, au cours des prochaines années», prévient Stéfane Marion, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale.

«En juin, juillet, ils faisaient leur scénario d'affaire avec un taux de 85 à 88 cents américains. Ils doivent encaisser l'effet de la dernière hausse du huard», nuance pour sa part Carlos Leitao, économiste en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Les secteurs en déclin comme le vêtement, le meuble, la forêt ou l'auto pourront difficilement renverser la tendance. L'avenir manufacturier repose sur la haute valeur ajoutée comme dans l'aéronautique, l'agroalimentaire, la machinerie, la métallurgie, le pharmaceutique ou les technologies de l'information.

Dans l'ensemble, le Québec s'en sortira mieux que l'Ontario parce que la crise de l'auto le touche peu et parce qu'il parvient depuis quelques années à diversifier ses clients internationaux.

Les Américains boudent davantage nos produits, soit! Plusieurs entreprises ont trouvé de nouveaux clients en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Chine.

Si le solde commercial du Québec s'enfonce dans le rouge depuis bientôt cinq ans, c'est beaucoup en raison de la poussée de nos importations. C'est un effet pervers des meilleurs revenus disponibles des ménages, de la vitalité du marché du travail, de la volonté des entreprises de se réoutiller pour améliorer leur productivité.

Consommation et achats d'équipements stimulent de leur côté la croissance, tout comme les dépenses des gouvernements.

À lui seul, le programme de réfection des infrastructures routières de 30 milliards qui fait suite au rapport Johnson ajoutera 0,25 point de pourcentage à la croissance au cours des cinq prochaines années, calcule M. Dupuis. En plus de nous rassurer, il va sans dire.

Reste qu'à moyen terme, le Québec aura à combler des carences, à commencer par le manque d'investissements privés.

L'acte de foi

L'optimisme prudent de nos panélistes repose sur un acte de foi: la croissance se poursuivra aux États-Unis. Stéfane Marion croit cependant qu'il existe une chance sur deux pour que la récession soit au rendez-vous.

«Comment se résoudra la crise du crédit actuelle? Plus ce sera long et plus cela risque de diminuer la valeur de l'actif des ménages. Ce serait une première depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.»

«Les trois prochains mois sont très préoccupants, renchérit Carlos Leitao. L'univers des produits financiers structurés crée bien des réticences.»

Les autorités américaines font des pieds et des mains pour dénouer la crise. La Réserve fédérale injecte des liquidités et s'est mise résolument en mode d'assouplissement monétaire. Citigroup, JP Morgan et Bank of America désirent créer un super-fonds de 60 milliards pour trouver un marché secondaire aux produits structurés ayant en partie pour garantie les prêts hypothécaires à risque.

Il y a 7000 banques commerciales présentes aux États-Unis, précise cependant M. Marion. Voilà pourquoi la crise du papier commercial est mondiale. Un super-fonds ne ferait que reculer l'échéance des pertes à encaisser, croit-il.

Enfin, le secrétaire au Trésor Henry Paulson veut que les détenteurs d'un prêt hypothécaire à risque (subprime), appâtés par des taux alléchants les premières années de leur terme et en mesure de faire leurs versements mensuels, gardent leur maison après le renouvellement de leur prêt cet hiver.

«Si M. Paulson parvient à geler les taux à 7 ou 9% au lieu qu'ils grimpent à 11 ou 14%, ça a beaucoup de sens», croit M. Marchon.

Le prix des maisons recule de 5% en moyenne depuis un an aux États-Unis, mais il ne faut pas oublier qu'il avait bondi de 60% au cours des cinq années précédentes.

«On parle des trois millions de maisons saisies pour prêts défaillants, mais c'est trois sur 175 millions, dont 35% n'ont aucune hypothèque, fait remarquer M. Dupuis. Il n'y a pas encore de krach boursier et la faiblesse du billet vert favorise les exportations américaines.»

Pour la première fois depuis 2002, il y a eu décroissance des bénéfices d'exploitation des entreprises non financières aux États-Unis pour un deuxième trimestre d'affilée cet été, objecte M. Marion.

«Cette récession des profits présage d'une baisse des investissements, d'une augmentation du chômage et des tensions sociales. Durant une année électorale, il y a risque de dérapage politique.»

Pour le Canada, le pire scénario est sans contredit la recrudescence du protectionnisme dont démocrates et républicains se sont souvent disputés la palme.