Les investisseurs canadiens sont à la recherche de neutralité. Non qu'ils n'aient pas d'opinion. Il s'agit plutôt de la neutralité des devises.

Les investisseurs canadiens sont à la recherche de neutralité. Non qu'ils n'aient pas d'opinion. Il s'agit plutôt de la neutralité des devises.

Avec la montée fulgurante du huard par rapport au billet vert de l'Oncle Sam, les investisseurs canadiens ont vu leurs rendements fondre sur les marchés boursiers américains au cours des dernières années.

Les plus futés d'entre eux ont toutefois réussi à profiter de la croissance de l'économie américaine sans souffrir du déclin du billet vert. Leur secret: les fonds communs neutres en devises (ou currency neutral comme on dit dans le jargon financier).

«Dans le cadre d'investissements étrangers, votre rendement est composé du rendement de l'action et des fluctuations du taux de change. Les fonds neutres permettent d'éliminer les risques liés aux fluctuations des devises», dit Jonathan Hartman, vice-président des produits d'investissements de la Banque Royale.

Depuis janvier 2006, la Banque Royale offre cinq fonds d'actions neutres à 100%, sans compter la vingtaine de fonds partiellement neutres. Les investisseurs de la Royale qui ont choisi de se protéger contre une hausse du huard se félicitent aujourd'hui de leur décision.

Du 31 octobre 2006 au 31 octobre 2007, l'indice américain Standard & Poor's 500 a grimpé de 12,4% en dollars américains et baissé de 5,5% en dollars canadiens.

Dans ce contexte, pas étonnant que les deux fonds d'actions américaines neutres de la Banque Royale aient affiché des rendements fort intéressants de 16,23% et 11,83% durant la même période.

Malgré le succès de ses fonds neutres, Jonathan Hartman est le premier à admettre qu'il ne faut pas les juger uniquement sur leurs résultats des dernières années.

À long terme, ils sont loin d'être aussi avantageux. Selon la Banque Royale, les fluctuations du huard par rapport au billet vert ont coûté aux investisseurs canadiens 11% en 5 ans, 3% en 10 ans et moins de 1% en 5 ans.

«Les devises peuvent avoir un impact significatif sur les rendements à court terme, mais pas sur les rendements à long terme», dit M. Hartman.

Comme leur efficacité à long terme n'a jamais été démontrée, les fonds neutres sont encore boudés par la majorité des institutions financières.

«Les fluctuations de devises finissent par s'annuler avec le temps. Il faut seulement être patient et investir à long terme», dit Yanic Chagnon, directeur principal des solutions d'investissement à la Banque Nationale.

Tout comme la Banque Nationale, le Mouvement Desjardins se tient loin des fonds neutres. Il offre seulement deux fonds d'obligations et aucun fonds d'actions.

«Au cours des 10 dernières années, les fonds neutres auraient été avantageux une ou deux années seulement», dit Denis Dion, chef de produits à la première vice-présidence des Fonds de placement Desjardins.

Des pressions de la part des investisseurs

Avec la montée du dollar canadien, les fonds neutres en devises sont de plus en plus populaires auprès des investisseurs.

En décembre 2005, l'Institut des fonds d'investissement du Canada ne recensait qu'un seul fonds neutre, contre 24 aujourd'hui.

Lentement mais sûrement, le mot s'est passé parmi les investisseurs. «On a senti la pression car les investisseurs trouvaient que les rendements de leurs fonds américains et étrangers avaient souffert avec la montée du huard», dit Yanic Chagnon, de la Banque Nationale.

En 2006, la Banque Nationale s'est penchée sur la question des fonds neutres, pressée par les investisseurs. Après un an de réflexion, elle a tranché: elle n'offrira pas de fonds neutres.

«Plusieurs institutions ont décidé d'offrir deux versions d'un même fonds: un fonds régulier et un fonds neutre, dit Yanic Chagnon. C'est dangereux d'agir ainsi car les gens sont laissés à eux-mêmes. Ils vont souvent choisir le fonds neutre parce qu'il a eu de meilleurs résultats au cours des dernières années, mais ils ne sont pas conscients du fait que le contraire pourrait se produire au cours des prochaines années.»

La Nationale a plutôt fait un compromis. «Nous avons préféré offrir des fonds qui ne sont pas neutres mais qui peuvent être protégés temporairement des fluctuations de devises par le gestionnaire», dit Yanic Chagnon.

La Banque Scotia a aussi décidé de passer son tour. «Ça aurait été une bonne idée de lancer un fonds neutre il y a six ans, mais pas maintenant», dit Glen Gowland, président des Placements Scotia.

La Scotia offre toutefois des solutions de rechange à ses clients qui veulent profiter des fluctuations du marché des devises.

«La meilleure façon de se protéger est de bien diversifier son portefeuille de façon à avoir des titres en plusieurs devises, dit M. Gowland. Les gens qui veulent capitaliser sur une hausse du dollar américain peuvent acheter des fonds de marchés monétaires américains. Ce n'est pas pour rien que les Canadiens ont acheté pour plus de 200 millions de dollars canadiens en fonds des marchés monétaires américains en septembre dernier.»

Des coûts supplémentaires

Les fonds neutres coûtent-ils plus cher? Leurs partisans et leurs détracteurs ne s'entendent pas.

«Les coûts des opérations financières effectuées pour se protéger des fluctuations des devises sont modestes, voire presque nuls, dit Jonathan Hartman, de la Banque Royale. On peut même faire de l'argent selon la différence des taux d'intérêt entre les deux pays visés par les devises.»

La Banque Nationale tient un autre discours: les coûts supplémentaires des fonds neutres peuvent atteindre jusqu'à 0,75% par année.

La Banque Scotia, qui n'offre pas de fonds neutres elle non plus, estiment les coûts supplémentaires à 0,50% par année.

«À condition que les gestionnaires ne manquent pas leur coup avec leurs prédictions. Sinon, les coûts sont encore plus élevés», précise Glen Gowland, président des Fonds communs Scotia.

Par contre, tout le monde s'entend sur un point: les investisseurs doivent y penser à deux fois avant d'investir massivement dans des fonds neutres alors que le dollar canadien vient d'atteindre des sommets historiques contre plusieurs devises.

Un regain du dollar américain aurait notamment un effet dévastateur sur les rendements des fonds neutres d'actions américaines.

«Présentement, les fonds neutres affichent de meilleurs rendements parce que le dollar canadien a atteint la parité avec le dollar américain, mais la situation changera rapidement si le dollar canadien revient à 85 cents américains», dit Yanic Chagnon, de la Banque Nationale

Yanic Chagnon doute que les fonds neutres susciteront un jour un engouement au Canada, surtout si le huard prend un peu de plomb dans l'aile prochainement sur le marché de devises.

«L'industrie n'est pas rendue là et je ne suis pas certain qu'elle s'en va là, dit-il. Même la plupart des caisses de retraite ne se protègent pas contre les fluctuations de devises.»

Qu'est-ce qu'un fonds neutre en devises?Les fonds communs neutres en devises sont protégés des fluctuations de devises par des contrats de change et d'autres produits dérivés.

«Si vous croyez qu'une devise est surévaluée par rapport au dollar canadien, vous pouvez vous protéger en achetant des produits dérivés qui constituent une garantie contre la baisse de cette devise par rapport au dollar canadien», explique Jonathan Hartman, de la Banque Royale.

Au 31 octobre dernier, l'Institut des fonds d'investissement du Canada recensait 24 fonds communs neutres en devises au Canada (sur un total de 2006 fonds).

L'actif sous gestion de ces fonds neutres totalisait 1,5 milliard de dollars canadiens, soit 0,21% de l'actif sous gestion de tous les fonds communs au pays (709 milliards).