Steve Forbes n'est pas un mauvais politicien. Il n'a seulement jamais eu l'occasion d'exploiter son principal atout: l'économie.

Steve Forbes n'est pas un mauvais politicien. Il n'a seulement jamais eu l'occasion d'exploiter son principal atout: l'économie.

Quand l'éditeur du magazine économique portant son nom s'est présenté pour la première fois à la présidence des États-Unis, en 1996, l'économie fonctionnait à plein régime.

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Normal que son discours de croissance économique n'ait pas fait vibrer les électeurs. Quatre ans plus tard, même scénario: l'économie florissante s'est chargée de lui infliger une autre défaite lors des primaires républicaines.

Après deux tentatives infructueuses à la Maison-Blanche, il a compris la leçon. «L'économie devient seulement un enjeu électoral important quand les gens ont l'impression qu'elle se porte mal. Quand elle se porte bien, c'est comme l'air: on ne la sent pas», dit-il en entrevue exclusive à La Presse Affaires après la conférence qu'il a prononcée lundi dernier à Montréal devant l'Institut des grands leaders.

Cette fois-ci, Steve Forbes a renoncé à briguer l'investiture républicaine. Même s'il est le premier à admettre que les menaces de récession propulseront l'économie au premier plan de la campagne.

«Les gens ont l'impression que le pays s'en va dans la mauvaise direction au plan économique, dit-il. Bien sûr, il ne faut jamais sous-estimer les conséquences d'une crise internationale qui pourrait remettre l'attention des électeurs sur la sécurité nationale. Mais pour le moment, les Américains sont inquiets de l'état de l'économie. Ils veulent savoir s'ils vont garder leur emploi, si les prix vont continuer à monter, comment réagira le marché immobilier.»

Son discours électoral serait pourtant des plus percutants. Opposé aux politiques économiques de l'administration Bush - une condition essentielle pour séduire l'électorat américain ces temps-ci -, il réserve toutefois ses critiques les plus acerbes à la Réserve fédérale.

Selon lui, la Fed stimule artificiellement l'économie américaine depuis la fin de l'ère Greenspan, en 2004.

«La Fed a agi comme un barman qui continue à servir de l'alcool à des clients soûls, dit-il. Ça n'excuse pas la conduite des clients, mais le barman a aussi sa part de responsabilités.»

L'homme d'une seule cause

S'il ne s'est pas lancé dans une troisième campagne présidentielle, c'est qu'il n'est pas un véritable politicien dans l'âme. «J'ai plus de plaisir à jouer les agitateurs», blague-t-il.

Durant sa carrière politique - qui s'est limitée à ses deux tentatives de se faire élire à la Maison-Blanche -, Steve Forbes était plutôt l'homme d'une seule cause: le taux d'imposition unique (flat tax).

En 1996, il proposait un taux d'imposition de 17% pour tous les Américains gagnant plus de 33 000$ par année.

«C'est une idée très simple: vous faites de l'argent, vous payez des impôts, dit-il. Les gens aiment la simplicité de ce système, qui permettrait de fermer 90% de l'IRS (le fisc américain).»

«On peut remplir sa déclaration de revenus en quelques minutes sur une seule feuille de papier. Si les élections présidentielles avaient eu lieu le 15 avril (la date limite pour envoyer sa déclaration de revenus aux États-Unis), j'aurais gagné!»

L'éditeur de l'un des magazines économiques les plus prestigieuses au monde refuse de considérer le taux unique comme une idée de droite.

«En Europe, plusieurs gouvernements de centre-gauche ont adopté le taux unique, qui n'empêche pas d'offrir des déductions généreuses pour les enfants et les parents, dit Steve Forbes. Tous les pays qui l'ont essayé ont réalisé que ça contribuait à créer davantage d'activité économique et d'emplois.»

Steve Forbes croit dur comme fer que le taux d'imposition unique deviendra la norme en Amérique du Nord d'ici quelques années.

«Il est déjà en vigueur en Alberta et dans certains États américains, dit-il. Une vingtaine de pays ont choisi un taux unique, la plupart en Europe de l'Est. Les Espagnols ont longtemps étudié cette idée. Il suffit qu'un pays de l'ouest de l'Europe adopte un taux unique pour que l'idée devienne populaire partout en Europe et en Amérique du Nord.»

À défaut d'entreprendre une troisième campagne présidentielle, Steve Forbes a rejoint le camp du candidat républicain John McCain, qu'il tente de convaincre des bienfaits du taux d'imposition unique.

«Il est presque à bord, dit Steve Forbes. Il a proposé un système avec deux taux d'imposition. Il semble voir les avantages du taux unique.»

Lutte inquiétante pour le Canada

Barack Obama et Hillary Clinton se mènent une lutte inquiétante pour l'économie canadienne, estime Steve Forbes.

Durant les primaires de l'Ohio, les deux candidats démocrates ont déclaré vouloir renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

«Chaque vote compte quand il y a une lutte aussi serrée, ce qui a forcé Obama et Clinton à se déclarer anti-ALENA, dit Steve Forbes. Je ne pense pas que les États-Unis voudront rouvrir l'ALENA, mais le Canada devrait s'inquiéter car ce sera maintenant difficile pour Obama ou Clinton de faire disparaître d'autres barrières commerciales. S'il y a une autre dispute commerciale comme le bois d'oeuvre, ils ne pourront pas faire de compromis.»

Steve Forbes a une solution pour l'économie canadienne: une victoire du républicain John McCain sur son adversaire démocrate en novembre prochain.

«McCain est un vrai libre-échangiste, dit Steve Forbes. De leur côté, les démocrates sont beaucoup plus protectionnistes qu'à l'époque de Bill Clinton, qui avait pourtant eu besoin de l'aide des républicains afin de faire passer l'ALENA au Congrès.»

Si vous voulez la paix dans un souper...

Steve Forbes a un truc infaillible quand il veut avoir la paix dans un cocktail: parler de politique monétaire.

«La politique monétaire est le sujet le plus ennuyeux que je connaisse, dit-il. Si vous voulez que les gens autour de vous vous laissent tranquille dans un souper, parlez-leur de politique monétaire...»

Un sujet ennuyant mais combien important au plan économique, convient-il. Un sujet qu'il vulgarise aussi plutôt bien - quand il veut garder l'attention de son auditoire, bien sûr.

«La politique monétaire se compare à un moteur à essence, dit-il. Si vous ne lui donnez pas assez de gaz, il ne fonctionne pas. Si vous lui en donnez trop, il étouffe. À partir de 2004, la Réserve fédérale américaine a justement injecté trop de liquidités dans le système et les marchés se sont enflammés!»

BIOGRAPHIE

1947

Steve Forbes naît à Morristown, dans le New Jersey. Il vit encore aujourd'hui dans son État natal.

1970

Il obtient son diplôme en histoire à Princeton, où il fonde le plus important magazine étudiant aux États-Unis.

1990

Il devient PDG de Forbes.

1996

Il tente de devenir le candidat républicain à la présidence des États-Unis. Il gagne les primaires du Delaware et de l'Arizona. Il termine troisième avec 11% des votes.

2000

Il se présente à nouveau comme candidat à la présidence. Il termine deuxième en Iowa derrière George W. Bush et troisième au Delaware et au New Hampshire avant d'abandonner la course.