Le Québec fait face à des questions qui demandent une réflexion bien au-delà des perspectives à courte vue, affirme Joseph Facal.

Le Québec fait face à des questions qui demandent une réflexion bien au-delà des perspectives à courte vue, affirme Joseph Facal.

Q: D'où vous vient cette conviction d'un lien fort entre l'éthique et la gestion responsable d'un gouvernement ou d'une nation ?

R: Je n'ai pas de système préfabriqué qui me sert de grille éthique. En fait, c'est même difficile pour moi de définir l'éthique. Le problème, c'est que dans la vie publique, vous êtes rarement seul à décider si le comportement d'un subordonné est éthique ou non. Vous vivez sous la loupe grossissante de médias. Cela complique la tâche. Souvent, vous ne savez pas trop quoi penser d'une situation qui se situe dans une zone grise. Mais l'affaire est jugée et classée dans les journaux le lendemain matin. Tout ça sur un fond de cynisme et de scepticisme dans lequel baignent la vie politique et la fonction publique.

Q: Quelle réflexion faites-vous actuellement sur la gestion publique ?

R: Nos sociétés sont confrontées à des défis qui nécessiteraient que l'on pense en termes de génération : l'environnement, la démographie, la refonte des institutions dans nos sociétés qui changent, exigent une vision sur 15 ans. Nos problèmes de finances publiques, de démographie, de montée de l'Asie, de déclin du secteur manufacturier, nous les partageons avec la France, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves, les États-Unis.

Le problème, c'est que l'horizon du politicien est marqué par deux bornes. La première, c'est ce que disent les journaux du matin. La seconde, c'est qu'il faut se faire élire trois ou quatre ans au plus tard. La politique a deux faces. Le côté noble du visage, c'est la recherche de solutions collectives à des problèmes collectifs. Le côté moins noble, c'est qu'il faut conquérir le pouvoir pour agir. Cette lutte, inévitablement, est dure. Mais il ne faut pas lui tourner le dos : il est naïf de croire qu'il pourrait en être autrement. Et tout aussi naïf de s'imaginer que les rivalités entre entreprises concurrentes ou équipes sportives sont plus élégantes.

Une vision intergénérationnelle permet de faire des constats différents. Les deux principaux problèmes du Québec sont les conséquences multiformes de la mondialisation et bien sûr, le déclin démographique. Nous approchons d'un moment où beaucoup de gens vont partir à la retraite, mais ils laissent derrière eux peu d'enfants. En 1971, il y avait huit travailleurs pour un retraité au Québec. Aujourd'hui, c'est cinq contre un et dans 20 ans, il y a aura à peu près deux travailleurs pour un retraité. Actuellement, nous vivons au Québec avec un niveau de vie confortable. Mais il y aura moins de travailleurs pour générer les revenus nécessaires pour couvrir des besoins en explosion. Nous arrivons donc à un moment où il faut tenir aux Québécois un discours de vérité. Et leur dire que les services publics ne sont pas gratuits. Et que la collaboration avec le secteur privé n'est pas nécessairement un enfer : le privé peut fournir certains services, venir en appoint. Il faut commencer à dire ces choses, même si les gens ne les reçoivent pas comme de bonnes nouvelles.

Il me semble qu'entre la religion de l'État et la religion du marché, il y a une voie de passage. Elle est d'autant plus difficile à déployer au Québec que le Québec moderne s'est construit une identité en misant énormément sur l'État. Pendant des siècles, les francophones étaient exclus des réseaux d'argent. L'État était le seul levier que les francophones contrôlaient majoritairement, et c'est pour cela qu'ils y ont énormément investi. Ça nous a permis des progrès formidables. Mais nous sommes dus pour une vigoureuse modernisation. Il ne faut pas tomber dans le piège de la défense dogmatique du modèle québécois sous prétexte qu'il nous a servis.

Q: Vous avez monté un groupe de recherche sur les questions interculturelles. Quelle place ont-elles au Québec ?

R: Elles jouent un rôle dans bien des situations. Pour le moment, le Québec est encastré dans le système politique canadien, ce qui offre des avantages et des inconvénients. L'un des inconvénients est que les immigrants entendent deux discours identitaires contradictoires à leur arrivée. Le premier, c'est celui du gouvernement du Québec : il y a ici une majorité francophone qui souhaite préserver sa culture. Mais en même temps, cet immigrant entend le discours sur le multiculturalisme : le Canada non seulement respecte, mais glorifie vos cultures d'origine. Il en découle une espèce de confusion identitaire, d'autant que nous vivons dans des sociétés occidentales de plus en plus ouvertes, où l'on fait la part belle à l'expression des diversités et des sensibilités minoritaires. C'est très bon a priori, ça part d'une bonne intention. Mais cela mine aussi la cohésion des sociétés.

Condensé d'une entrevue radiophonique diffusée à Radio Ville-Marie 91,3 FM avec Joseph Facal, professeur de management à HEC Montréal et ancien président du Conseil du Trésor, et Thierry Pauchant, professeur titulaire, Chaire de management éthique, HEC Montréal.