13 septembre 2007. Patrick Lamarre, président de la branche nucléaire de la firme d'ingénierie SNC-Lavalin, prononce un discours teinté de nationalisme devant des gens d'affaires de Toronto.

13 septembre 2007. Patrick Lamarre, président de la branche nucléaire de la firme d'ingénierie SNC-Lavalin, prononce un discours teinté de nationalisme devant des gens d'affaires de Toronto.

«Je ne suis pas le genre de nationaliste économique qui s'inquiète chaque fois qu'une firme étrangère montre de l'intérêt envers une entreprise canadienne, lance-t-il. (...) Mais je sais reconnaître le moment où l'économie canadienne se fait démanteler pièce par pièce, et ce que cela signifie pour l'avenir du pays.»

Un mois plus tôt, Armand Laferrère, président de la division canadienne du géant français Areva, publiait une lettre dans journal Le Devoir intitulée «Un partenariat nucléaire servirait l'intérêt du Québec».

Il tente d'y faire vibrer la fibre sentimentale des Québécois pour la France, «deux nations étroitement liées d'un point de vue historique et culturel».

Une percée de l'industrie nucléaire dans les bons sentiments? Pas vraiment. Plutôt une bataille qui n'est pas sans rappeler celle que se livrent Alstom et Bombardier pour le métro de Montréal. L'enjeu: les lucratifs contrats entourant l'extension du parc nucléaire ontarien.

La province voisine considère le nucléaire pour combler ses futurs besoins en énergie. Elle n'est pas seule.

Selon l'Association nucléaire mondiale, 34 réacteurs nucléaires sont actuellement en construction sur la planète, et on pourrait en voir jusqu'à 107 pousser d'ici 2020 - un bond de géant pour une «flotte» qui compte actuellement 439 bâtiments.

Dans l'industrie, l'expression «renaissance nucléaire» est sur toutes les lèvres. Et Énergie atomique du Canada limitée (EACL), une société d'État fédérale qui conçoit des réacteurs, salive déjà.

«Ça fait 30 ans qu'on n'avait pas vu ça, dit Jerry Hopwood, vice-président, mise au point des réacteurs. Nous devons considérer cette opportunité très sérieusement. Il n'y aura peut-être pas une deuxième renaissance nucléaire.»

EACL espère profiter de l'engouement pour vendre la technologie canadienne, les réacteurs Candu, à travers le monde.

Pour ça, l'agence fédérale et ses partenaires industriels - les divisions canadiennes de Babcock & Wilcox, General Electric et Hitachi, ainsi que SNC-Lavalin nucléaire - se sont regroupés sous une même bannière: Team Candu.

Un nouveau branding pour séduire les clients, mais aussi un moyen de faire contrepoids à une industrie mondiale où les grands acteurs s'allient: Areva-Mitsubishi, General Electric-Hitachi, Westinghouse-Toshiba.

Roumanie, Argentine, Chine, Inde, Turquie, Royaume-Uni: Team Candu vise plusieurs marchés. Mais ironiquement, c'est dans son propre bastion, l'Ontario, que le groupe est aujourd'hui menacé.

Tant l'Ontario Power Generation - qui opère les centrales nucléaires de Pickering et Darlington- que Bruce Power - une entreprise privée qui gère la centrale Bruce - ont lancé des études environnementales sur la possibilité de prolonger la vie de leurs réacteurs existants et en construire de nouveaux.

Le hic: même si les tous les réacteurs ontariens sont des unités Candu conçues par Énergie atomique du Canada, les deux entités ont annoncé que, cette fois, elles évalueraient aussi les technologies étrangères dans leur processus de sélection.

Bref, ce sont des appel d'offres en bonne et due forme qui se dessinent en Ontario, sans passe-droit pour la technologie maison de Team Candu.

La société française Areva, en particulier, est bien décidée à profiter de l'ouverture pour percer le marché canadien. Dirigée par son homme au Canada, Armand Laferrère - ancien conseiller du président Nicolas Sarkozy - la plus grande firme nucléaire de la planète multiplie les interventions pour vendre sa technologie aux Canadiens.

L'enjeu pourrait être de taille. Car pour Duane Bratt, spécialiste des politiques nucléaires canadiennes au Mount Royal College de Calgary, c'est tout simplement l'avenir d'Énergie atomique du Canada qui est en train de se jouer.

«Si Areva obtient les contrats ontariens, c'est la mort d'EACL tel que nous la connaissons, tranche-t-il. Comment la société pourrait-elle vendre à l'international si son principal marché, l'Ontario, lui tourne le dos?»

«Le marché international du nucléaire est très protégé, ajoute-t-il. Vous ne voyez pas Areva ou EACL vendre aux États-Unis, vous ne voyez pas EACL ou Westinghouse (un géant américain) vendre en France.»

Sauf que M. Bratt serait surpris qu'Énergie atomique du Canada n'obtienne pas le contrat. «Je crois qu'ils ont trop d'avantages politiques, sans compter quelques avantages technologiques», dit-il.

Selon lui, deux raisons motivent la décision de procéder par appel d'offres.

«D'abord faire baisser le prix en forçant EACL à soumettre une proposition plus basse. Ensuite, générer des subventions sous une forme quelconque de la part du gouvernement fédéral.»

En attendant, les membres de Team Candu comme SNC-Lavalin nucléaire font valoir que le nucléaire reste «l'une des seules industries restantes à être basée au Canada, à manufacturer au Canada et à exporter à l'international».

Tandis qu'Areva martèle son propre message: «Un appel d'offres concurrentiel et transparent est dans l'intérêt de tous.»