Les universités québécoises crient famine et accumulent les déficits d'opération. Pourtant, elles se lancent allègrement dans d'ambitieux projets immobiliers, pour lesquels le financement et la rentabilité sont loin d'être assurés.

Les universités québécoises crient famine et accumulent les déficits d'opération. Pourtant, elles se lancent allègrement dans d'ambitieux projets immobiliers, pour lesquels le financement et la rentabilité sont loin d'être assurés.

Faut-il s'inquiéter de ce qui arrive à l'Université du Québec à Montréal actuellement ? Oui, parce qu'en cas de pépin, ce sont les contribuables vont payer la note.

Si les universités peuvent continuer de dépenser sans avoir d'argent, c'est parce qu'elles gèrent deux budgets: un budget de fonctionnement, alimenté par les frais de scolarité et les subventions gouvernementales, et un budget d'investissement, dont les fonds proviennent surtout de dons et d'emprunts sur les marchés financiers.

Les deux plus récents projets d'investissement immobiliers de l'Université du Québec à Montréal, le Complexe des sciences et l'Ilôt Voyageur, ont suscité l'inquiétude des firmes comme DBRS et Moody's, qui évalue le risque des titres émis pour financer ces projets.

Le Complexe des sciences, un ensemble de classes et de résidences, a coûté à l'Université 100 millions de plus que prévu. L'Ilôt Voyageur, un mégacomplexe de classes, de résidences et de bureaux, est en train d'être revu parce que la rentabilité escomptée ne sera pas au rendez-vous. En attendant, les travaux se poursuivent sur le chantier.

Moody's a réagi en réduisant par deux fois la cote de crédit des titres émis par l'UQAM pour financer ses projets. Avec ces deux investissements, l'UQAM est devenue l'université la plus endettée au Canada. Sa dette est passée 7397 $ à 17 366 $ par étudiant, ce qui représente 130% de ses revenus.

La firme de New York aurait réduit davantage la cote de l'université si ce n'était de la probabilité quasi-certaine que le gouvernement du Québec vole au secours de l'UQAM en faillite.

En principe, les titres émis par les universités pour financer leurs projets ne sont pas garantis par le gouvernement du Québec. Les universités sont des entités autonomes, qui ont toute la latitude voulue pour gérer leurs activités, a fait savoir un porte-parole du ministère des Finances, Jacques Delorme.

En réalité, comme le croit Moody's, il est à peu près certain que le gouvernement ne laissera jamais une université québécoise faire faillite et qu'il renflouera les coffres vides si nécessaire.

Mais même s'il risque d'hériter de la facture, le gouvernement n'a pas un mot à dire sur les projets entrepris par les universités. La règle, c'est que le gouvernement participe au financement des immeubles qui abritent des salles de cours, mais pas des résidences ou des bureaux, explique Marie-Claude Lavigne, la porte-parole du ministre de l'Éducation.

Les universités ne sont pas obligées non plus de soumettre leurs projets au gouvernement pour approbation. «Quand l'Université de Sherbrooke a décidé récemment de construire un nouveau pavillon, on l'a appris dans les journaux», illustre la porte-parole du ministre Jean-marc Fournier.

Toutes les universités québécoises importantes ont émis des titres de dettes sur les marchés financiers pour financer des projets d'expansion et sont par le fait même plus ou moins lourdement endettées.

L'Université de Montréal, qui pilote un projet d'extension de son campus dans l'ancienne gare de triage du CP, à Outremont, aura aussi recours aux marchés pour financer cet investissement de 1 milliard de dollars.

Le président du Syndicat des professeurs, Louis Dumont, s'en est inquiété publiquement. «Ce projet soulève beaucoup de questions, précise-t-il. Quelle est la logique derrière un investissement d'un milliard dans des immeubles alors que l'université n'a même pas les moyens d'assumer ses dépenses de fonctionnement ?», s'interroge-t-il.

Selon lui, l'université construit des immeubles et laissent dépérir sur son campus des immeubles qui pourraient être agrandis ou recyclés. «On dirait que les dirigeants ne pensent pas que la population étudiante va bientôt se mettre à diminuer», souligne le professeur.

Le projet de l'Université de Montréal à Outremont prévoit la construction de 19 pavillons universitaires, de 800 à 1000 résidences universitaires, des logements et des immeubles locatifs.

Même si le financement du projet n'est pas assuré, l'université a déjà acheté le terrain au coût de 18 millions. Une aubaine, selon l'université, qui estime la valeur du terrain sur le marché à 45 millions.

Fausse aubaine, estime toutefois Louis Dumont, qui croit que le terrain vaudrait peut-être 45 millions une fois aménagé et décontaminé, et une fois la voie ferrée déplacée, le tout à grands frais. Une dépense qu'aucune entreprise privée ne voudrait faire, dit-il.

Le coût du seul aménagement du terrain est estimé à 120 millions. Le gouvernement du Québec a promis 30 millions, le reste devrait venir de la ville de Montréal et du gouvernement fédéral.

Si ces fonds sont versés, il restera tout de même près de 900 millions à trouver. Où ? L'Université de Montréal compte sur les deux gouvernements, sur des dons et sur des partenariats avec l'entreprise privée. La recette est toujours la même, c'est le dosage des ingrédients qui varie, aime à dire le responsable du projet, Alexandre Chabot.