Malgré les prix records du brut, les présages sont mauvais pour le secteur énergétique: non seulement les profits des sociétés pétrolières au dernier trimestre seraient à la baisse, mais la production mondiale d'or noir a atteint un sommet en 2006.

Malgré les prix records du brut, les présages sont mauvais pour le secteur énergétique: non seulement les profits des sociétés pétrolières au dernier trimestre seraient à la baisse, mais la production mondiale d'or noir a atteint un sommet en 2006.

Pire, elle pourrait baisser de 3% par an d'ici 2030, selon une étude. Et l'éthanol?

Loin d'être une solution, ce carburant produit à partir du maïs notamment fera grimper les prix des aliments, en plus de coûter une fortune en subventions, dit la CIBC.

La fièvre qui pousse les Américains à transformer le maïs en éthanol ne sert à rien sinon à faire grimper le prix de la nourriture, affirment des économistes qui s'inquiètent pour l'inflation mondiale. Et c'est George Bush lui-même qui pourrait bientôt... rire jaune.

Dans un rapport publié hier par Marchés mondiaux CIBC, l'économiste en chef Jeff Rubin se montre cinglant envers la politique énergétique du président Bush. Non seulement la production d'éthanol aura des effets «négligeables» sur l'environnement et l'autonomie énergétique des États-Unis, dit-il, mais elle exerce déjà «d'immenses et constantes tensions sur le prix des aliments».

«Le prix de cette politique est énorme et augmente avec chaque gallon d'éthanol produit. La politique d'énergie renouvelable du président Bush ne fait qu'attiser l'inflation», tranche l'économiste.

Il suffit de quelques chiffres pour mesurer l'ampleur de la fièvre jaune qui déferle au sud de la frontière. En 2000, les Américains ont produit environ un milliard de gallons d'éthanol.

Sept ans plus tard, motivés par l'objectif du président Bush de réduire sa dépendance envers le pétrole et le Moyen-Orient, ils ont multiplié leur production... par six.

Et c'est loin d'être terminé. L'administration américaine vise maintenant le chiffre des 35 milliards de gallons pour 2017.

L'économiste Jeff Rubin estime qu'au rythme où vont les choses, l'objectif sera littéralement pulvérisé. Selon lui, les 35 milliards de gallons seront atteints cinq ans plus tôt que prévu, soit dès 2012.

Les effets: selon les chiffres de Marchés mondiaux CIBC, l'immense demande pour le maïs a fait grimper son prix de 60% en deux ans. Et il n'y a pas que les amateurs d'épluchette qui en subissent les contrecoups.

Le prix des autres céréales augmente aussi à mesure que les producteurs s'en détournent pour faire pousser du maïs. Les producteurs de porcs doivent payer plus cher pour nourrir leurs animaux, ce qui fait aussi gonfler le prix de la viande.

Sans compter tous les produits - tortillas, sirop et autres fécules - qui dérivent directement du maïs.

Et il y a les subventions. En 2006, la production d'éthanol a coûté 8 milliards US en subventions aux Américains. Tout ça, souligne la CIBC, pour une production d'éthanol qui équivaut... à 1% de la consommation d'essence aux États-Unis.

«Si l'on compare les énormes investissements et les subventions avec l'indice de la montée en flèche des prix des aliments, le bilan énergétique net de la politique intérieure américaine sur l'éthanol est dérisoire», écrit Marchés mondiaux CIBC.

Un effet boomerang

L'économiste Jeff Rubin explique le faible bilan énergétique de l'éthanol par l'immense quantité d'énergie nécessaire pour le produire.

Il faut alimenter en essence la machinerie agricole pour cultiver et récolter le maïs, puis acheminer le maïs par camion à l'usine d'extraction - qui, elle aussi, consomme de l'énergie.

L'éthanol est ensuite envoyé vers les stations-service, et encore via la route, puisqu'il ne peut être transporté par pipeline comme le pétrole.

Conséquence: «peu de bénéfices au niveau du gaz à effet de serre comparativement à l'essence», dit M. Rubin.

En fait, dans le cas où l'usine d'extraction d'éthanol fonctionne au charbon, l'éthanol pourrait même afficher un pire bilan environnemental que l'essence.

Mais c'est la montée des prix de la nourriture, aux États-Unis comme partout sur la planète, qui risque de faire le plus mal.

Car si la nourriture ne compte que pour 15% de l'indice des prix à la consommation des Américains, elle peut représenter jusqu'à 40% du budget de ses habitants les plus pauvres.

Et il s'agit d'une dépense bien difficile à remplacer. Stéfane Marion, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale, souligne également que la nourriture compte pour une bonne partie du budget des habitants des pays émergents.

Conséquence: dans ces pays, une augmentation du prix des aliments se répercute très rapidement sur l'inflation.

Un problème qui semble bien loin des États-Unis? Pas depuis que les pays émergents sont devenus la «base manufacturière de la planète» et qu'ils comptent pour 50% du PIB mondial, avertit M. Marion.

«C'est un risque non négligeable pour l'économie mondiale, parce que les pays émergents sont les plus vulnérables à une augmentation du prix des denrées agricoles. Je crois que les Américains ne comprennent peut-être pas les répercussions de ces décisions à moyen et long terme via les ramifications qui passent par les pays émergents.»

Bref, en faisant grimper les prix de la nourriture partout sur la planète, les Américains risquent de lancer un boomerang qui pourraient bien leur revenir dans les dents.

«C'est loin d'être évident, pour l'instant, que cette politique est soutenable à long terme dans un contexte d'économie mondiale», dit Stéphane Marion.