«Quand je visite une PME, deux indices me font penser qu'elle va bien: le patron a le temps de me parler et je vois des employés discuter entre eux», dit Pierre-André Julien, titulaire de la chaire de recherche Bell pour des PME de classe mondiale de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

«Quand je visite une PME, deux indices me font penser qu'elle va bien: le patron a le temps de me parler et je vois des employés discuter entre eux», dit Pierre-André Julien, titulaire de la chaire de recherche Bell pour des PME de classe mondiale de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

Cet économiste est considéré par ses pairs comme l'un des meilleurs spécialistes des PME dans l'univers francophone, sinon le meilleur.

Ses travaux l'ont conduit à observer une centaine de petites entreprises au Québec et ailleurs dans le monde et à intervenir auprès d'elles.

L'une d'entre elles est Genfoot, une entreprise qui fabrique des chaussures depuis 1898 à Lachine. Elle commercialise ses produits sous la marque Kamik.

«Les ouvriers s'arrêtent souvent pour faire le point sur la production. Ils gèrent mieux leur temps et ils travaillent mieux. Genfoot exporte dans plusieurs pays et a même un distributeur en Chine», illustre-t-il

Qualité du temps de travail

Selon M. Julien, c'est la qualité du temps de travail qu'il faut mesurer, pas sa quantité. «Il y a encore des entreprises qui se vantent du fait que leurs cadres sont au bureau le samedi. C'est terrible. Il faut du recul pour bien travailler ! La réflexion se fait dans la détente. C'est dans cet état que notre cerveau fonctionne le mieux», insiste-t-il.

L'expert remarque que les entrepreneurs dont il observe et accompagne le cheminement depuis plus de 10 ans comprennent très bien ce discours. La plupart d'entre eux ont de plus accordé à leurs employés des pauses de production pour qu'ils participent à des activités de formation.

M. Julien déplore que, encore aujourd'hui, des entreprises misent sur les bas salaires et les cadences d'enfer pour rivaliser avec les Chinois et les Indiens. Il cite en exemple la PME fondée par le cycliste Louis Garneau.

«Cette PME n'est pas productive au sens où on l'entend généralement, mais elle fait de l'argent. Louis Garneau n'est pas productif, il est compétitif parce que ses employés et lui ont des idées et prennent le temps de les échanger», affirme-t-il.

Performance financière

Le rapport Nouveaux modèles d'organisation du travail dans le secteur manufacturier québécois, publié en 2003 par le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), confirme les observations de Paul-André Julien.

Ce document est basé sur une enquête menée auprès de 628 dirigeants d'établissements québécois de plus de 50 employés.

Selon ses auteurs, Paul-André Lapointe, Guy Cucumel, Paul R. Bélanger, Benoit Lévesque et Pierre Langlois, professeurs à l'Université Laval et à l'UQAM, la performance financière des entreprises est directement liée aux innovations qui se démarquent du modèle tayloriste.

«Plus les innovations sont importantes et, dans une certaine mesure, plus la participation est grande, meilleures sont les performances», écrivent les chercheurs.

Les impacts

Par ailleurs, la forme de cette participation a également des impacts. Ainsi, les résultats font dire aux chercheurs que les groupes de résolution de problèmes sont davantage susceptibles de contribuer à l'amélioration des performances financières que les équipes de travail.

Les signataires précisent toutefois que, dans les établissements où l'on note une forme ou une autre de participation, il y a très souvent d'autres innovations en lien avec la gestion de la qualité et de la production ainsi que diverses mesures de flexibilité.

L'importance des groupes de résolution de problèmes – ces ouvriers qui arrêtent souvent pour réfléchir, comme les décrit Paul-André Lapointe – est l'une des découvertes majeures de l'enquête du CRISES.

Performance sociale

«Les ouvriers travaillent-ils plus fort ou plus intelligemment?» se sont aussi demandé les chercheurs. Réponse: les deux.

Ainsi, dans les cinq années précédant le sondage, la charge de travail des employés de production s'était accrue de 35,8% et celle des employés d'entretien, de 45,4%. Quand aux problèmes de santé et aux pressions sur le rendement et la production, ils avaient grimpé de 17,8% pour le premier groupe et de 47,6% pour le second.

Le travail s'était donc intensifié de manière importante, peu importe le type d'innovation dans l'entreprise.

En contrepartie, cette intensification s'était accompagnée, dans les entreprises innovantes, d'une hausse de la qualification des travailleurs. Parmi les indicateurs de ce phénomène, on note le fait que les ouvriers de production ont plus de pouvoir sur leur travail, une plus grande sécurité d'emploi ainsi que de meilleurs salaires.

Et, encore une fois, ce sont les travailleurs engagés dans des modèles participatifs qui avaient connu les hausses les plus importantes de leur qualification.

«Au chapitre des performances, plus un modèle de travail s'éloigne du taylorisme, plus les performances économiques et sociales sont élevées», conclut le CRISES.