Les pirates des Caraïbes ne sont pas les seuls à sévir dans les cinémas de Vince Guzzo.

Les pirates des Caraïbes ne sont pas les seuls à sévir dans les cinémas de Vince Guzzo.

Le piratage de films a atteint de telles proportions dans ses 12 cinémas de la région montréalaise qu'il porte maintenant des lunettes de vision nocturne pour repérer les contrevenants.

«J'ai épinglé quatre personnes qui tentaient de copier Pirates des Caraïbes, dit M. Guzzo. Ils se divisent en deux groupes: ceux qui le font pour le plaisir et les criminels professionnels.»

L'expérience de M. Guzzo démontre à quel point les ciné-pirates montréalais donnent du fil à retordre aux grands studios de Hollywood. L'homme d'affaires dit en avoir pincé une douzaine, dont un qui avait caché sa caméra dans son casque de vélo.

Une copie de film illégale sur six provient de Montréal, estime l'Association canadienne des distributeurs de films. Les copies de contrebande faites à Montréal sont écoulées sur le marché des DVD dans 45 pays, affirme Serge Corriveau, enquêteur à l'emploi de l'association.

L'Association américaine du cinéma estime que le piratage en salle a privé les producteurs, les distributeurs, les cinémas, les clubs vidéo et les chaînes de télé payante de revenus de 18,2 milliards US en 2005.

Le piratage est aussi attribuable au vol de copies dans les studios et au détournement des DVD distribués à des fins promotionnelles.

Le Canada paie le prix de sa tolérance à l'endroit des pirates. En mai, Warner a annulé ses projections promotionnelles au Canada, arguant que 70% des films qu'elle y avait lancés au cours des 18 mois précédents avait été piratés.

L'Alliance internationale pour la propriété intellectuelle, qui représente 1900 entreprises produisant des films, des livres, des logiciels et tout autre bien protégé par le droit d'auteur, a ajouté le Canada à sa liste noire, tout juste après la Chine et la Russie.

Cédant aux pressions, le gouvernement fédéral a amendé le Code criminel en juin. S'ils sont déclarés coupables d'avoir copié un film projeté en salle, les ciné-pirates sont maintenant passibles d'une peine de deux ans de prison.

Auparavant, la police devait prouver que les pirates avaient l'intention de distribuer leur copie avant de porter des accusations.

Un résidant d'Ottawa a été arrêté en juin en vertu de la nouvelle loi et doit comparaître en septembre.

Le mois dernier, la Police régionale de Peel, en Ontario, a arrêté 18 personnes et saisi plus de 40 000 DVD d'une valeur totale de 800 000$ sur le marché noir.

Il est difficile d'épingler les ciné-pirates parce qu'ils utilisent des caméras fonctionnant en mode nocturne et disséminent les films piratés sur la Toile, explique un ex-pirate montréalais ayant requis l'anonymat.

Selon lui, c'est l'illégalité même du geste qui le justifie; mais dans le réseau des pirates, chacun se glorifie d'être le premier à avoir copié un nouveau film.

Un pirate peut empocher jusqu'à 3000$ US en échange d'une copie de bonne qualité, selon l'Association américaine du cinéma.

M. Guzzo croit qu'un seul des pirates qu'il a coincés était un professionnel et que les autres étaient des frimeurs. Il se peut que les ciné-pirates ciblent les cinémas montréalais parce qu'ils présentent des superproductions en français et en anglais, avance M. Corriveau, un ex-agent de la GRC.

Comme les films doublés en français sont généralement lancés d'abord à Montréal, les copies pirates peuvent débarquer en premier dans les autres marchés francophones, croit Pat Marshall, porte-parole de Cineplex Entertainment, qui exploite 14 cinémas à Montréal.

Les cinéphiles comme Dan Yates croient que les patrons des grands studios imputent aux pirates un problème qu'ils ont créé.

«Chaque fois que je télécharge un film piraté, il est vraiment de bonne qualité. Il ne peut provenir que de sources proches de l'industrie», dit M. Yates, qui travaille chez La Légende, revendeur de DVD de Montréal.

«La plupart des gens n'ont pas envie de visionner ces trucs copiés avec une caméra parce qu'ils sont vraiment de mauvaise qualité.»

Hollywood amplifie le phénomène du piratage en salle afin de présenter le Canada comme un repaire de pirates, soutient Michael Geist, professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste du droit de l'internet.

«Si le piratage en salle est un problème, c'est un bien petit problème», dit-il. Les grands studios ont empoché des recettes de 42,6 milliards US l'an dernier, selon le journal Hollywood Reporter.