Le passage des fleurons de l'économie québécoise à l'étranger n'est pas une fatalité mais, à l'heure de la mondialisation, seule une expansion agressive peut les mettre à l'abri des prédateurs.

Le passage des fleurons de l'économie québécoise à l'étranger n'est pas une fatalité mais, à l'heure de la mondialisation, seule une expansion agressive peut les mettre à l'abri des prédateurs.

C'est l'analyse que fait Louis Hébert, spécialiste des fusions et acquisitions à HEC Montréal, alors que Van Houtte vient d'annoncer son achat par le fonds américain Littlejohn et qu'Alcoa lance une offre hostile sur Alcan.

«La meilleure défensive, c'est l'offensive», dit M. Hébert. À preuve : l'exemple de la Suisse, petit pays qui a su mettre au monde des multinationales comme Nestlé, Novartis et ses fameuses banques.

«Ce sont des entreprises qui se sont internationalisées très tôt», souligne-t-il.

Sévère, Louis Hébert soupçonne Alcan d'avoir manqué de diligence sur le front des acquisitions après avoir réalisé celle de Pechiney, en 2003.

«C'était une grosse bouchée, mais c'était aussi s'engager sur un boulevard à deux directions», dit-il.

Le professeur ajoute que le titre du géant de l'aluminium était sous-évalué, ce qui le plaçait dans la mire de consolidateurs. «Les gestionnaires sont payés de plus en plus cher pour créer de la valeur pour les actionnaires, ça fait partie de leur mandat de rendre cette valeur apparente», soutient-il.

Si on n'a pas l'habitude de voir Alcan comme insuffisamment ambitieuse, le cas de Van Houtte est plus clair à cet égard.

Société diversifiée sur trois fronts (la distribution, les bistrots et les machines à café), elle dispersait ses forces d'expansion à l'heure où Starbucks et Second Cup s'imposaient sur son territoire, résume Louis Hébert.

«C'est une entreprise qui n'a pas investi ni rénové ses bistrots», renchérit Vincent Sabourin, directeur du groupe de recherche en stratégies et exécution de l'UQAM.

Les deux experts s'entendent pour affirmer que les gouvernements ne peuvent jouer qu'un rôle mineur contre les prises de contrôle étrangères des sociétés publiques.

Dans les faits, observe M. Hébert, les limites à la propriété étrangère tendent à disparaître dans tous les pays développés. Et au chapitre des principes, il est loin d'être clair que c'est une mauvaise chose.

«Une protection artificielle peut mener à une perte de compétitivité, un peu comme au Canada où trop de compagnies se mises à compter sur la faiblesse du dollar», fait-il valoir.

MM. Hébert et Sabourin croient que l'État dispose tout de même de certaines armes dépourvues de double tranchant pour soutenir ses compagnies, comme des politiques d'achat favorables aux firmes du pays, une fiscalité attrayante, l'appui au développement technologique et à la formation de la main-d'oeuvre, un bon réseau d'éducation et des investissements dans la qualité de vie des citoyens.

Un bilan qui se défend

Tout compte fait, le Québec est arrivé jusqu'à maintenant à tirer son épingle du jeu de la mondialisation, soutient Louis Hébert.

Modestes mais nombreuses, les acquisitions faites par les compagnies canadiennes à l'étranger surpassaient en valeur les prises de contrôle par des étrangères jusqu'à il y deux ans. Un surplus de 15 à 30 milliards par an s'est alors renversé en un déficit de 25 milliards.

«Il faut aussi regarder des histoires comme celle de Couche-Tard et de Garda», insiste M. Hébert.

Selon lui, il faut de surcroît considérer les ventes d'entreprises comme propices à un cycle de renouvellement du paysage d'affaires québécois.

«Dans les années 70, plusieurs sièges sociaux de compagnies anglophones ont déménagé, mais ça a permis à des entreprises québécoises de prendre la relève», fait-il remarquer.

Les implications des ventes pour les communautés locales ne seraient pas non plus à trancher au couteau.

Van Houtte a ainsi de bonnes chances de profiter de son passage aux mains d'un propriétaire financier, qui pourrait le renflouer tout en laissant intacte la direction de l'exploitation.

«On ne perd pas de siège social, et on a un bailleur de fonds qui va relancer les activités», prédit Vincent Sabourin. Cette relance pourrait toutefois passer par le démantèlement des trois divisions.

Dans le cas d'Alcan, raisonne Louis Hébert, Alcoa a promis de préserver l'organisation en place, et l'expertise de l'entreprise dans la production d'énergie à bas coût protège les emplois locaux.

Le mécénat n'est pas nécessairement menacé non plus, juge le professeur. Il donne l'exemple de Rogers qui, à mesure qu'elle vole des parts de marché à Bell au Québec, prend aussi sa place sur le terrain des investissements dans la communauté.

Selon lui, la disparition d'un siège social est surtout dommageable pour l'expertise qui gravite autour. Ainsi, même si Alcoa entend maintenir des quartiers généraux à Montréal, le risque lui apparaît «assez élevé» de voir se vider un impressionnant réservoir de connaissances sur le secteur de l'aluminium.