Aucun média québécois n'en a parlé, et pourtant, il se passe actuellement, à l'autre extrémité du pays, des événements d'une portée considérable.

Aucun média québécois n'en a parlé, et pourtant, il se passe actuellement, à l'autre extrémité du pays, des événements d'une portée considérable.

Depuis minuit dimanche soir, la Colombie-Britannique et l'Alberta peuvent être considérées comme une seule entité sur le plan économique, avec l'entrée en vigueur du TILMA (Trade, Investment and Labour Mobility Agreement), que l'on pourrait traduire par Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre.

Le protectionnisme interprovincial est très développé au Canada. Évidemment, il ne peut y avoir de barrières tarifaires à l'intérieur d'un même pays.

En revanche, les provinces disposent de tout un arsenal d'instruments pour mener la vie dure aux entreprises de l'extérieur : normes et réglementation, lois du travail, politiques d'achat des administrations publiques et des sociétés d'État, subventions, mesures vexatoires s'appuyant sur des prétextes aussi variés que l'hygiène publique ou la protection du consommateur.

En réalité, toutes ces entraves au commerce visent à protéger les secteurs les moins compétitifs de l'économie. Au bout du compte, c'est le consommateur qui en fait les frais et toute la société qui s'appauvrit.

Une première tentative pour débroussailler tout ça a été faite en 1994, lors d'un sommet des premiers ministres provinciaux. À part les déclarations de bonnes intentions, il n'est pas sorti grand-chose de concret de la rencontre. Depuis ce temps, certaines provinces ont signé des accords bilatéraux dans des domaines spécifiques; ainsi, l'Ontario et le Québec se sont entendus, quoique très partiellement, sur la mobilité de la main-d'oeuvre dans le secteur de la construction.

Mais pour le reste, comme le soulignait encore le Conference Board la semaine dernière, l'économie canadienne reste sérieusement handicapée par les entraves interprovinciales au commerce.

Ironiquement, note l'auteur de l'étude, le Canada multiplie les missions économiques à l'étranger et se montre même intéressé à signer d'autres accords de libre-échange (notamment avec l'Amérique centrale, la Corée du Sud et l'Inde); mais pendant qu'il déploie autant d'activité à l'extérieur, il est incapable de faire le ménage dans sa propre cabane. Ce qui fait dire au Conference Board qu'en matière de commerce, les Canadiens mettent la charrue devant les boeufs!

Avec le TILMA, l'Alberta et la Colombie-Britannique font un effort sans précédent pour faire sauter les entraves entre les deux provinces. Voyons plutôt :

- Chaque province reconnaît les compétences des travailleurs qualifiés de l'autre province. Autrement dit, dans tous les secteurs de l'économie y compris la construction, les travailleurs albertains pourront travailler sans aucune contrainte partout en Colombie-Britannique, et vice-versa. Pour une soixantaine de professions où l'ajustement des normes est plus complexe, comme les avocats, les médecins ou les enseignants, on a prévu une période de transition de deux ans. Mais en 2009, les avocats des deux provinces pourront pratiquer et plaider n'importe où, sans restriction. Ce sera une totale mobilité de la main-d'oeuvre.

- Les deux provinces harmoniseront complètement leurs règlements, lois et procédures, en ce qui concerne l'investissement. Les entreprises n'auront besoin que d'une seule autorisation pour faire affaires partout dans les deux provinces. Une entreprise enregistrée en Colombie-Britannique est automatiquement reconnue en Alberta, et vice-versa. Il va de soi que toutes les entraves au commerce entre les deux provinces disparaîtront.

Chaque province conserve évidemment son autonomie dans des secteurs comme les richesses naturelles, l'eau, les politiques sociales, la santé. Il est même prévu que les deux partenaires peuvent continuer de subventionner à leur guise le livre, la musique, le cinéma et autres industries culturelles même si, en principe, les subventions constituent une entrave au commerce.

Malgré ces exceptions, il est clair que les deux provinces se dirigent vers une intégration économique d'une intensité jamais vue au Canada. Elles formeront un bloc redoutable.

Sur le plan démographique, leur population atteint 7,7 millions, la même que celle du Québec (de façon plus précise, le Québec compte 72 000 habitants de moins, mais sa croissance démographique est beaucoup plus faible, de sorte que l'écart est appelé à se creuser davantage avec le temps).

L'Ontario compte 12,7 millions de personnes. Sur le plan économique, le produit intérieur brut (PIB) de deux provinces du TILMA de situe à 384 milliards, par rapport à 537 milliards pour l'Ontario et seulement 275 milliards pour le Québec.

Deux autres provinces, la Saskatchewan et l'Ontario, ont déjà manifesté de l'intérêt pour le TILMA. Si jamais l'Ontario y adhère, le paysage économique canadien sera bouleversé de fond en comble.

Il va de soi que l'Accord a des opposants. Pour l'essentiel, il s'agit des mêmes lobbies (syndicats, groupes auto-proclamés «populaires», lobbies de gauche) qui ont brandi les pires épouvantails lors des négociations de libre-échange avec les États-Unis, il y presque 20 ans. Avec le recul du temps, on réalise à quel point leurs arguments manquaient de substance.

Pour le Québec, le nouvel accord risque de forcer des choix difficiles, surtout s'il s'étend à d'autres provinces.

Pour créer le TILMA, la Colombie-Britannique et l'Alberta ont du renoncer chacune à une partie de leurs pouvoirs, pour le bénéfice des deux. Les provinces qui voudront y adhérer devront faire la même chose. D'où le dilemme en perspective : ou bien adhérer à un riche marché d'où sont bannis les obstacles à la circulation des marchandises, des investissements et des travailleurs, ou bien conserver ses entraves et laisser passer le train encore une fois...