Une nouvelle bataille se prépare entre Vidéotron et les géants Bell, Telus et Rogers.

Une nouvelle bataille se prépare entre Vidéotron et les géants Bell, Telus et Rogers.

Une guerre de licences, imperceptible pour le consommateur moyen, qui viendra déterminer si la filiale de Quebecor a un avenir dans le sans-fil.

Robert Dépatie a bien des raisons de se réjouir ces jours-ci. Vidéotron, qu'il dirige depuis 2003, est devenu en 31 mois un incontournable de la téléphonie résidentielle au Québec.

Le câblodistributeur a raflé un demi-million de clients à Bell Canada. Et pas plus tard que la semaine dernière, les nouveaux abonnements ont atteint un sommet historique.

Voilà pour le positif.

L'homme de 49 ans a beau déborder d'enthousiasme, il est aussi inquiet. De gros nuages d'incertitude planent. Car en dépit du succès grandissant de son entreprise en téléphonie résidentielle, en câblodistribution et dans Internet, l'avenir est loin d'être assuré dans un secteur crucial: le sans-fil.

Vidéotron souhaite se lancer tête première dans cette industrie. Investir 500 millions de dollars pour développer son propre réseau au Québec, qui viendrait concurrencer ceux de Bell, Rogers et Telus. Mais la volonté et les millions ne sont pas tout.

Au Canada, c'est le gouvernement fédéral qui octroie les licences aux fournisseurs de sans-fil, dans le cadre d'enchères complexes et coûteuses.

La prochaine aura lieu l'hiver prochain, et un détail majeur n'a toujours pas été réglé: Industrie Canada réservera-t-elle une partie des licences pour les «nouveaux entrants» comme Vidéotron? Il le faut absolument, insiste Robert Dépatie.

«Nous, on a clairement dit qu'on ne participerait pas aux enchères (si aucune fréquence n'est réservée) parce qu'on est sûr de ne pas avoir de chances», lance le dirigeant, qui accorde rarement des entrevues.

L'enjeu est majeur. Pour Vidéotron, cette enchère représente «la dernière chance» de développer son propre réseau sans fil, admet son président.

D'après M. Dépatie, la prochaine mise en vente de licences par le gouvernement (après celle de 2008) n'aura pas lieu avant deux ou trois ans.

«Ça nous amène en 2010. Rajoute 16 mois à deux ans pour développer le réseau, ça nous amène en 2012. Là, en quatre ans, il s'en est passé des choses.»

Le taux de pénétration du sans-fil aura eu le temps de beaucoup trop monter d'ici là pour justifier un investissement massif dans un nouveau réseau, croit le dirigeant.

Ce taux tourne aujourd'hui autour de 60% au Canada, nettement derrière ceux de l'Europe et des États-Unis.

Guerre de fric

Robert Dépatie est persuadé que Bell, Rogers et Telus, qui détiennent l'ensemble des réseaux sans fil au pays, seront prêts à payer des sommes colossales pour empêcher la venue de nouveaux acteurs.

Surtout dans une industrie aussi lucrative, qui génère chaque mois des revenus de 1 milliard au Canada.

«Je pose la question: combien tu serais prêt à payer si tu t'appelles Bell? Pour empêcher quelqu'un de rentrer, je serais prêt à payer beaucoup, parce que ça va me coûter beaucoup plus cher si je perds 10%, 15% ou 20% de ma clientèle», explique-t-il.

Au cours d'une enchère en 2001 -où aucune licence n'a été réservée aux nouveaux entrants-, Bell, Telus et Rogers ont presque tout raflé. La vente a permis au gouvernement fédéral d'amasser 1,48 milliard de dollars; du total, seuls 12 millions ne provenaient pas des trois géants.

Une intense partie de lobbying est en cours pour influencer les critères qui encadreront la mise aux enchères. Même Pierre Karl Péladeau, grand patron de l'empire Quebecor, met la main à la pâte pour tenter de convaincre le gouvernement conservateur.

MM. Dépatie et Péladeau ne sont pas seuls dans leur bataille. La plupart des analystes partagent leur point de vue.

Selon ces experts en télécoms, seule la mise de côté d'une partie des licences -Vidéotron plaide pour que 40 des 100 mégahertz disponibles soient réservés aux nouveaux venus- permettra l'arrivée d'une vraie concurrence et de meilleurs prix pour les Canadiens.

Une thèse que réfutent avec vigueur les entreprises déjà établies. En gros, elles font valoir que si Vidéotron a les moyens de mettre sur pied un réseau sans fil de 500 millions, il a aussi les moyens de payer ses licences au même prix que tout le monde. Point à la ligne.

Robert Dépatie fulmine. «Tout le monde dit que Quebecor et Vidéotron ont assez d'argent. Mais cette année, on va dépenser 350 millions dans le réseau. L'an dernier, on a dépensé près de 310 millions. On investit une bonne partie de tout ce qu'on génère comme BAIIA (bénéfice avant intérêt, impôt et amortissement), donc il n'en reste pas beaucoup à la fin de la journée en termes de cash-flow.»

Vidéotron aurait tout de même les moyens d'entrer dans une surenchère et de payer très cher pour des licences, concède Robert Dépatie, mais cela viendrait entraver la rentabilité de sa division sans-fil.

L'entreprise préférerait alors passer son tour. Sans doute pour toujours.

Pour l'heure, Vidéotron offre la téléphonie sans fil à ses clients -environ 31 000- en louant le réseau de Rogers. Un modèle d'affaires qui limite énormément la quantité de forfaits et de fonctionnalités que le groupe peut offrir à ses clients.

Et qui n'est pas du tout viable à moyen et long terme, dit Robert Dépatie.

Avec son propre réseau sans fil, Vidéotron pourrait offrir des prix «agressifs» comme il l'a fait en téléphonie locale, affirme le dirigeant.

L'entreprise manitobaine MTS Allstream mène le combat aux côtés de Vidéotron pour qu'un partie des nouvelles licences soient réservées aux nouveaux entrants.