Dans le cadre d'une série d'entrevues réalisées par la Chaire de leadership Pierre-Péladeau, de HEC Montréal, des leaders québécois sont invités à partager à propos d'aspects qui leur semblent cruciaux dans leur travail quotidien de direction.

Dans le cadre d'une série d'entrevues réalisées par la Chaire de leadership Pierre-Péladeau, de HEC Montréal, des leaders québécois sont invités à partager à propos d'aspects qui leur semblent cruciaux dans leur travail quotidien de direction.

Nous publions des extraits d'une entrevue avec Monique Simard. Vedette du film Wow! de Claude Jutra à 18 ans, vice-présidente de la CSN à 33 ans, députée à 46 ans, vice-présidente du Parti québécois pendant la campagne référendaire de 1995, Monique Simard dirige depuis 1998 la petite maison de production Virage.

Faut-il être chanceux pour devenir leader?

Monique Simard: Ma grand-mère m'a dit un jour que je n'avais pas choisi ma famille, mais que je pouvais choisir mes amis. C'est vrai que je suis née dans un milieu privilégié qui m'a donné une grande ouverture au monde. J'ai eu la chance, à 17 ans, de travailler au Pavillon de la jeunesse d'Expo 67.

J'y ai rencontré des êtres extraordinaires qui m'ont marquée et qui ont orienté mes choix de vie. Mais ces choix m'appartiennent. Lorsque j'ai accepté, l'année suivante, de tourner dans un film de Claude Jutra, j'ai beaucoup appris.

Après mes études au Collège Sainte-Marie, j'ai opté pour l'UQAM et les sciences politiques. J'aurais pu faire un choix plus traditionnel, mais je voulais m'inscrire dans l'effervescence sociale qui animait le Québec de ces années-là. À un moment donné, on fabrique soi-même sa chance.

Comment vous êtes-vous intéressée à la condition des femmes?

J'ai rencontré une adjointe du syndicaliste Marcel Pepin en 1972. C'est comme ça que je suis entrée à la CSN. C'était dans les années 1970, une période troublée pour le mouvement syndical. On a vécu le front commun du secteur public, l'emprisonnement des leaders syndicaux. J'étais au coeur de l'action. Encore une fois, j'ai eu de la chance, parce qu'à ce moment-là, on faisait de la place aux jeunes. Je ne connaissais rien des relations du travail, mais on m'a fait confiance, et j'ai travaillé fort. Je me suis vite indignée des conditions qui étaient faites aux travailleuses. Je voyais bien qu'il y avait de la discrimination.

Alors, à la CSN, on a mis sur pied un premier comité des femmes. Je me suis fait connaître à la CSN à cause de cela. C'était en marge de mon travail de négociatrice, mais je suis rapidement devenue porte-parole de la CSN sur ces questions-là. Ensuite, j'étais de toutes les batailles concernant les réformes de la législation pour la reconnaissance des droits des femmes. C'est probablement ça qui m'a amenée à être élue à la vice-présidence quelques années plus tard.

Quelle différence essentielle faites-vous entre le leadership dans une grande organisation publique comme la CSN et une petite organisation privée comme Virage?

Au fond, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de différences. On a du leadership ou non. Ce sont les conditions de son exercice qui varient d'une grande organisation à une petite organisation.

Pour moi, d'avoir débuté dans une grande organisation m'a apporté beaucoup. J'ai pu apprendre à naviguer et diriger dans une structure complexe et à communiquer dans un tel contexte. Une chose cependant me paraît essentielle à rappeler et il s'agit de la question des collaborateurs immédiats. Le rapport et la confiance avec eux sont fondamentaux et on doit davantage compter sur eux dans une grande organisation pour des raisons évidentes de proximité.

Dans les moments difficiles, comment avez-vous fait pour rebondir?

Je ne crois pas que le grand public se rende compte à quel point est lourde la responsabilité de négocier des conditions de travail pour des centaines de milliers de travailleurs.

Dans les années 1980, les syndicats étaient souvent malmenés dans les médias. Si on est attaqué personnellement, ça devient extrêmement pénible. Mais il faut tenir, et la force de caractère ne suffit pas.

Encore une fois, j'ai eu la chance, dans les moments éprouvants, d'avoir le soutien de mes proches et d'une poignée d'amis, ce qui m'a permis de garder la tête assez froide pour passer au travers. Mais j'ai vraiment rebondi, comme vous dites, lorsque je suis revenue au cinéma comme productrice, et que j'ai fait un film sur la condition des petites filles dans le monde.

Mon premier documentaire, Des petites filles et des marelles, m'a ramenée aux valeurs fondamentales que j'avais toujours défendues et que je défends toujours.

Le syndicalisme, la politique et maintenant le cinéma. Comment reliez-vous ces trois carrières si différentes?

Dans ma vie, j'ai fait quoi? L'Expo 67, c'était un emploi d'étudiant. À la CSN, je suis restée 19 ans. Ce n'était pas un travail, mais un engagement social. Si j'ai prôné un certain type de société, défendu l'égalité des femmes, non seulement au travail, mais dans toute la société, c'est que je portais en moi un idéal de justice qui me poussait à agir.

Mon passage en politique était une autre façon de suivre la même trajectoire. Je voulais faire avancer un projet de société qui correspondait à mes valeurs. Je suis moins naïve que je l'étais à l'époque, mais je ne pense pas avoir changé fondamentalement.

À 56 ans, devant des injustices flagrantes, je veux m'indigner autant que je le faisais à 20 ans. Mes choix de productions s'inscrivent dans cet engagement social et politique au sens large. C'est moi qui ai produit le film-choc de Claude Labrecque, À hauteur d'homme, sur la campagne de Bernard Landry en 2003.

Je prépare actuellement un documentaire qui s'appellera Des billes, des ballons et des petits garçons. C'est une suite à celui que j'ai fait pour dénoncer les conditions de vie des petites filles. On se penche maintenant sur l'enfance des petits garçons pour essayer de comprendre pourquoi, une fois adultes, ils sont souvent des bourreaux. C'est un autre volet du même engagement social que je veux vivre pleinement, encore aujourd'hui.

Le mot de la fin

Boris Cyrulnik a nommé " résilience " la capacité de rebondir d'individus qui ont été soumis à de grands traumatismes. Les leaders n'y échappent pas. Le leadership n'est jamais " un long fleuve tranquille ". Monique Simard a connu du succès très tôt dans sa vie, mais elle a aussi fait des erreurs et connu des échecs. Et même dans les moments apparents de grands succès, comme tous les leaders, elle a eu à faire face à l'adversité.

Jacqueline Cardinal est biographe et professionnelle de recherche à la chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal et le professeur Laurent Lapierre en est le titulaire.

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