L'un se définit comme un «gars de chiffres», l'autre a toujours rêvé de découvrir des médicaments.

L'un se définit comme un «gars de chiffres», l'autre a toujours rêvé de découvrir des médicaments.

Ensemble, Luc Dupont et son frère Éric ont fondé une entreprise. Ont connu du succès. L'ont scindé en deux. Et apprennent aujourd'hui à confier leurs bébés à d'autres.

Si gravir les échelons d'une entreprise est un signe de succès pour un homme d'affaires, on peut dire que ça va mal, mais alors vraiment mal, pour Éric Dupont et son jeune frère Luc.

Les deux hommes ont fondé en 1991 les Laboratoires AEterna - une biotech de Québec qui s'est scindée en deux depuis, donnant naissance à Æterna Zentaris et Atrium. Dans ses beaux jours, Éric Dupont était à la tête de la première; Luc, de l'autre.

Mais depuis sept ans, Éric Dupont a dégringolé tellement d'échelons qu'à 42 ans, il ne fait aujourd'hui même plus partie d'Æterna Zentaris. Et si son frère Luc est toujours actif au sein d'Atrium, on peut lire la même tendance à la baisse dans son CV.

Des étoiles qui pâlissent? Les deux frères sourient lorsqu'on leur présente les choses sous cet angle.

Parce que leur dégringolade, loin d'être accidentelle, est au contraire savamment calculée.

À mesure que leurs sociétés grandissent et s'internationalisent, les deux frères se livrent à un exercice qui demande beaucoup d'humilité: ils s'effacent devant des gens qu'ils qualifient «plus compétents» qu'eux.

«Il y a tellement d'entreprises où tu cherches ce qui ne marche pas pour finalement comprendre que c'est le président qui s'accroche et qui ne veut pas se tasser, lance Luc Dupont. Il n'a pas grandi à la même vitesse que la société. Il s'obstine, il s'entête. Et il pénalise des employés, ses actionnaires, tout le monde.»

Éric et Luc Dupont ont juré que ce ne serait pas leur cas.

Nées «d'une feuille blanche», leurs deux sociétés naviguent aujourd'hui en eaux internationales.

Son marché

Atrium, qui commercialise autant des vitamines et des minéraux que des ingrédients qui entrent dans la composition de cosmétiques et de médicaments, compte aujourd'hui 660 employés et écoule ses produits dans plus de 50 pays. Chiffre d'affaires en 2006: 306 M$ US.

Æterna Zentaris, elle, développe des médicaments contre le cancer et les maladies hormonales. Elle figure parmi la poignée de biotechs québécoises qui ont déjà amené des produits sur le marché, et qui en comptent d'autres sur le point de franchir le fil d'arrivée.

Difficile, de laisser le contrôle à d'autres? «Honnêtement, oui, avoue Luc. Mais le plus important dans la vie n'est pas de connaître ses forces, mais ses faiblesses.»

Ne croyez pas cependant que les frères Dupont soient en train de développer un complexe d'infériorité pour autant.

«Il y a des gestionnaires professionnels qui ne sauraient pas quoi faire s'ils devaient partir de zéro, fait remarquer Éric. Ils sont bons quand ils ont une armée à diriger. Et nous, c'est là qu'on devient moins bons.»

Les samedis de la pizza

Parce que pour partir de zéro, Éric et Luc Dupont sont partis de zéro.

«On avait 24 et 26 ans, pas d'argent, pas de crédibilité, pas de projet Éric Dupont éclate de rire. La question était: qu'est-ce qu'on va faire? On ne pouvait pas faire comme les autres: il n'y avait personne d'autre!»

Nous sommes en 1991. À l'époque, le mot «biotechnologie» n'évoque pas une industrie florissante, encore moins un pôle technologique du Québec.

Le domaine se résume à quelques fanatiques qui, dans leurs labos, manipulent des organismes vivants pour découvrir de nouveaux produits.

Éric Dupont est du nombre. Il travaille à l'époque sur un post-doctorat en neuro-endocrinologie et rêve de percées scientifiques. Mais comprend que le monde universitaire n'est pas fait pour lui.

«Ces projets-là sont longs à financer, il y a toutes sortes de comités.»

C'est dans son propre salon qu'il tombe sur la solution. Son frère Luc - qui aussi son colocataire! - étudie la comptabilité.

«Je lui ai dit: on va finir nos études. Et on va se partir une société.»

Ils y parviendront. En grande partie grâce au fameux «modèle à deux têtes» des laboratoires AEterna - voir autre texte. Mais aussi parce qu'ils travaillent d'arrache-pied à leur projet.

«Les samedis de la pizza! s'exclame Éric Dupont. Les employés rentraient le samedi et on faisait venir de la pizza. Nous, on rentrait le dimanche en plus. On a fait ça pendant très longtemps. On n'avait pas le choix: on ne connaissait rien, et il fallait apprendre.»

Au fur et à mesure que la société grandit, les deux frères se répartissent les tâches.

Luc reste à Québec pour s'occuper des opérations, tandis qu'Éric part ouvrir des marchés à l'international.

«Je faisais quatre fois le tour du monde chaque année, se rappelle-t-il. De 20 à 22 pays chaque fois. Toute l'Asie, toute l'Europe, et ensuite l'Amérique. Toute d'une shot, trois semaines parti. C'était de l'ouvrage.»

Et maintenant? Ensemble, Éric et Luc Dupont possèdent 10% de chacune des deux sociétés qu'ils ont fondées.

Vous allez regarder le cours de vos actions en vous croisant les bras?

Éric Dupont sourit. «Je vais me reposer, ça c'est clair!», dit-il. Il rappelle ensuite qu'il est président de Cap Diamant, un fonds d'investissement qui investit dans des PME, surtout de la région de Québec.

La perle rare

«On prend pour l'instant des positions minoritaires, dit-il. Mais un moment donné, dans le secteur des sciences de la vie que je connais, on va trouver la perle rare. Et on prendra alors une position majoritaire.»

Son frère Luc refuse de voir aussi loin. Car il est toujours président du comité exécutif d'Atrium.

«Quand je vais avoir mon signal clair du conseil, je vais faire comme Éric: prendre un petit break. Et ensuite je vais me raccrocher assez rapidement à autre chose - on verra quoi. Mais à mon âge, non, je ne resterai pas à la maison les bras croisés!»