Tous connaissent les jeans Tommy Hilfiger, mais peu savent que l'un des principaux financiers de l'entreprise vit à Westmount.

Tous connaissent les jeans Tommy Hilfiger, mais peu savent que l'un des principaux financiers de l'entreprise vit à Westmount.

Et encore moins que cette famille a eu un litige avec le fisc concernant le transfert de sa colossale fortune canadienne dans un paradis fiscal.

Selon nos informations, la famille Stroll et Revenu Québec ont négocié une entente sur des actions qui ont atteint une valeur de 125 millions de dollars.

Il s'agit des actions de Tommy Hilfiger Canada que la famille Stroll a transférées dans les îles Vierges britanniques, à la fin des années 1990.

Au terme des négociations, Revenu Québec a accepté d'imposer les actions sur une valeur de 17 millions de dollars.

En convainquant le fisc que les actions ne valaient pas 125 millions, la famille Stroll a pu éviter une facture additionnelle d'impôts pouvant atteindre plusieurs dizaines de millions de dollars.

C'est une dispute devant les tribunaux entre Revenu Québec et Leo Stroll Strulovitch de son vrai nom qui nous a permis d'en apprendre plus sur cette famille multimillionnaire du prêt-à-porter. En avril 2003, Leo Strulovitch a contesté en Cour une réclamation du ministère du Revenu du Québec.

Le litige tire son origine de la vente, en 1997, des actions que détenait M. Strulovitch dans la société Tommy Hilfiger Canada.

L'homme d'affaires, alors âgé de 66 ans, avait cédé ses actions à l'entreprise Tomcan, incorporée dans les îles Vierges britanniques, un paradis fiscal. Tomcan était la propriété indirecte de son fils, Lawrence Stroll, un des principaux dirigeants de l'empire Tommy Hilfiger US.

Leo Strulovitch a alors déclaré au fisc que les actions avaient été vendues pour la somme de 8,1 millions de dollars en 1997, selon des documents en Cour du Québec. Mais après avoir passé la transaction au crible, Revenu Québec a constaté que le fils a revendu les mêmes actions quelques temps plus tard pour la somme de 125 millions de dollars. Moins de 10 mois séparent les deux transactions.

Après deux ans de discussions, les deux parties se sont entendues à l'amiable en décembre 2001. La valeur des actions a été fixée à 17 millions, sur laquelle a été basée la nouvelle cotisation d'impôts.

Toutefois, selon nos informations, la valeur semble avoir été fixée de manière arbitraire. Aucun document n'a d'ailleurs été produit pour indiquer comment les deux parties ont fait passer la valeur de 125 à 17 millions de dollars.

Revenu Québec a cédé de guerre lasse, nous dit une source haut placée au gouvernement. Et au fédéral, Revenu Canada a accepté les transactions pour des raisons inexpliquées. À la section de l'évitement fiscal de Revenu Canada, le responsable du dossier à l'époque, William Rosenberg, n'a pas voulu répondre aux questions de La Presse Affaires.

En convainquant le fisc que les actions ne valaient que 17 millions, plutôt que 125 millions, la famille Stroll s'est évité une facture additionnelle d'impôts oscillant entre 45 et 60 millions de dollars, selon nos estimations, basées sur les documents produits en Cour.

Selon nos informations, les employés de Revenu Québec croulaient sous les dossiers en 2001 et le fisc manquait de personnel qualifié pour démêler la série de transactions complexes de Tommy Hilfiger. De son côté, la famille Strulovitch avait embauché les meilleurs comptables et fiscalistes en la matière, de la firme Sweibel Novek. Mis au courant de l'histoire, le professeur de fiscalité Luc Godbout, de l'Université de Sherbrooke, s'interroge sur le degré de planification de ce genre de transactions. " Je ne peux pas commenter le dossier auquel vous faites allusion, car je n'ai vu aucun des documents sur lesquels vous vous appuyez. Mais si vous me demandez si une telle transaction se prépare à l'avance, sur une base théorique, je vous dirais oui, considérant les sommes en jeu et les impacts fiscaux potentiels. Un mois, trois mois, six mois, voire plus? Difficile d'être catégorique ", a dit M. Godbout.

L'affaire serait restée dans l'ombre n'eut été un détail d'interprétation de l'entente de 17 millions. En effet, le litige actuel devant les tribunaux ne porte pas sur la valeur de la transaction, mais sur la façon d'imposer ce montant.

Revenu Québec veut imposer les 17 millions comme un dividende étranger, tandis que la famille Stroll soutient que ce montant doit être imposé comme un gain en capital. La nuance ferait passer la facture d'impôts au Québec de 3 millions à 4,5 millions de dollars, selon nos estimations.

En avril 2005, la Cour du Québec a donné raison à la famille Stroll sur cette interprétation de l'entente. La cause est actuellement devant la Cour d'appel, à la demande de Revenu Québec.

Joint au téléphone, l'avocat de Leo Strulovitch, Sidney Sweibel, soutient que la famille n'a pas utilisé de stratagème pour éviter de payer de l'impôt. Selon M. Sweibel, les deux transactions sont indépendantes. Si la valeur de Tommy Hilfiger Canada a explosé en quelques mois, c'est uniquement parce que l'entreprise a changé de stratégies d'affaires.

" La deuxième transaction est une transaction commerciale, avec un changement dans la direction de la compagnie et dans les activités qui, à la fin, a ajouté beaucoup de valeurs et rendu l'entreprise plus stable ", a dit M. Sweibel, de la firme d'avocats Sweibel Novek, spécialisée en litige fiscal.

Selon M. Sweibel, cette valeur aurait été créée parce que la société mère en Bourse, Tommy Hilfiger US, a racheté les droits sur ses produits partout dans le monde et devenait donc le percepteur direct des revenus. À l'époque, l'un des principaux actionnaires et dirigeant de Tommy Hilfiger US était le fils, Lawrence Stroll.

" Le ministère du Revenu a vérifié les transactions de A à Z et de tous les côtés. Ils ont été satisfaits avec la question de l'évaluation et même, ils ont pu monter l'évaluation à un niveau supérieur à ce que le contribuable avait déclaré originalement. L'évaluation a été regardée au niveau provincial comme fédéral Il y a une grande explication donnée à la Cour sur cette évaluation ", dit M. Sweibel.

Vérification faite, aucune explication sur l'évaluation n'a été produite en Cour. Nous avons demandé à quels documents faisait référence M. Sweibel, mais la firme d'avocats nous à référé à la courte lettre d'entente entre Revenu Québec et la famille Stroll. Cette lettre ne donne aucun détail sur la façon d'établir l'évaluation de 17 millions.

À Revenu Québec et Revenu Canada, les porte-parole Linda Di Vita et Colette Gentes-Hawn n'ont pas voulu commenter, compte tenu de la confidentialité des dossiers des contribuables.